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Les indépendantistes écossais pris en tenaille

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La polarisation de la campagne législative autour de l’organisation d’un second référendum sur l’autodétermination a mobilisé le camp unioniste, dominé par les conservateurs. La dynamique Corbyn a, quant à elle, érodé la capacité des indépendantistes à fédérer le vote progressiste.

Au Royaume des gamblers, Theresa May n’est pas la seule à avoir perdu son pari à l’occasion des élections législatives anticipées du 8 juin 2017. Un an après avoir remporté le précédent scrutin régional, la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon misait sur une large victoire de son Parti national écossais (SNP, centre gauche indépendantiste) pour relancer le débat constitutionnel. Un nouveau triomphe devait la conforter dans sa volonté d’organiser un second référendum sur l’indépendance, trois ans seulement après la défaite serrée du camp sécessionniste lors de la consultation de 2014.

Les partis opposés à l’indépendance gagnent du terrain

C’est dire si la désillusion fut cruelle. Après le score historique de 50% des voix aux législatives de 2015, qui lui avait permis de rafler 56 des 59 circonscriptions en jeux, le SNP plonge à 36.9% et perd 21 sièges. Un reflux qui bénéficie principalement aux conservateurs locaux, qui glanent 28.6% (+13.7) des voix et obtiennent 12(+11) mandats supplémentaires, soit leur meilleur résultat depuis 1983. Un exploit de taille pour leur dirigeante Ruth Davidson, qui parachève la dédiabolisation du parti de Margareth Thatcher dans cette place forte de la gauche. Cette performance confirme le « sorpasso » réalisé l’année précédente, lorsqu’ils avaient relégué en troisième position le parti travailliste écossais. Avec 26% (+ 2.6) des suffrages, celui-ci reprend plusieurs de ses bastions historiques.

S’il reste de loin le premier parti en obtenant le second meilleur score de son histoire, le SNP fait néanmoins figure de grand perdant. Ce résultat marque en effet un basculement des rapports de forces politiques entre unionistes et séparatistes. Alors que les deux camps faisaient jeu égal en termes de voix à l’occasion des derniers scrutins, la balance penche désormais clairement en faveur des opposants à l’indépendance.

Le SNP piégé par la question de l’indépendance

Prospectus électoral du camp indépendantiste lors du référendum sur l’indépendance de 2014

Après une décennie de succès, le parti pâti cette fois d’un alignement des planètes particulièrement défavorable. Alors que les « vagues jaunes » successives résultaient moins de son discours séparatiste que de sa capacité à cristalliser le rejet des politiques conservatrices, le SNP s’est trouvé piégé par la thématique constitutionnelle. Fidèle à son engagement d’empêcher une sortie de l’Écosse du marché unique contre la volonté de ses habitants[1], Mme Sturgeon avait en effet relancé le débat sur l’indépendance. C’est dans cet esprit qu’elle avait fait adopter, le 28 mars, une résolution au Parlement régional réclamant des négociations avec Westminster en ce sens, s’attirant les foudres de l’opposition travailliste, conservatrice et libérale-démocrate.

Le déclenchement subséquent des élections anticipées a placé au cœur des débats la question de l’indépendance, rejetée par une majorité de la population malgré un regain de popularité au lendemain du Brexit. Le SNP s’est alors vu contraint de mettre en sourdine des revendications considérées comme centrales encore quelques semaines plus tôt. De fait, Nicola Sturgeon a rapidement délaissé le terrain constitutionnel au profit d’un discours socio-économique nettement orienté à gauche, pourfendant les coupes budgétaires prônées par les tories et appelant au vote tactique progressiste en sa faveur.

Cette stratégie n’a toutefois pas suffit à lever les doutes sur les réelles intentions des nationalistes et l’usage politique que feraient ces derniers d’une éventuelle victoire. Au surplus, certaines de leurs prises de position ont contribué à sortir le parti de la ligne « anti-tories » tracée par Mme Sturgeon. Son prédécesseur à la tête du gouvernement régional, Alex Salmond, a notamment affirmé que l’élection devait « renforcer le droit du parlement écossais de décider de l’opportunité d’un nouveau référendum ». Une brèche dans la stratégie nationaliste dans laquelle n’a pas manqué de s’engouffrer l’opposition unioniste qui, sans surprise, cherchait à faire de ce scrutin une consultation sur l’avenir institutionnel de la région.

Les conservateurs fédèrent le vote unioniste et europhobe

La nationaliste Nicola Sturgeon (gauche) face à la conservatrice Ruth Davidson (droite)

Fustigeant l’ »obsession pour l’indépendance » du SNP, cette dernière a paradoxalement consacré l’essentiel de la  campagne à souligner le risque de conforter le SNP dans ses velléités séparatistes. Dans un climat de peur qui n’est pas sans rappeler celui instauré par le camp du Non lors du référendum de 2014, les tories sont apparus comme les plus aptes à ébrécher l’hégémonie nationaliste. Accusée par Nicola Sturgeon de se servir du refus de l’indépendance comme d’un écran de fumée dissimulant l’impopularité des politiques conservatrices, Ruth Davidson a largement profité de la polarisation autour de la question constitutionnelle, au détriment des thématiques sociales. On notera la contribution des travaillistes locaux à cette orientation, leur unique député sortant ayant ouvertement suggéré un vote tactique contre le SNP, si nécessaire au moyen d’un bulletin conservateur.

Les Scottish tories sont également parvenus à incarner le vote utile pour les partisans de la sortie de l’Union européenne (UE). Bien que minoritaires au nord du mur d’Hadrien, ceux-ci ne représentent pas moins un important vivier de voix, notamment dans les zones rurales et dans le secteur de la pêche, hostile aux quotas européens. Les conservateurs ont ainsi arra

Le soutien à l’indépendance a décru après un sursaut consécutif au référendum sur l’appartenance à l’UE

ché plusieurs bastions SNP dans lesquels le Brexit recueillait le plus de suffrages. Cette réussite tranche singulièrement avec l’incapacité des nationalistes à réactiver le sentiment national sur base de l’attachement européen. Cette stratégie bute en effet sur l’éclatement du vote favorable au maintien dans l’UE, qui n’épouse guère les lignes de démarcation entre unionistes et indépendantistes. Une étude Yougov, réalisée fin 2016, suggérait même que  les brexiters pour l’unité du Royaume seraient plus nombreux que les europhiles unionistes tentés par l’indépendance. Un constat peu encourageant pour l’avenir du second référendum, dont le report sine die est ouvertement évoqué par Mme Sturgeon.

L’effet Corbyn

Enfin, la spectaculaire dynamique autour du manifeste résolument ancrée à gauche de Jeremy Corbyn a contribué à éroder le cœur électoral du SNP, largement constitué de sympathisants travaillistes déçus. L’émanation écossaise du parti à la rose a en effet pleinement profité de sa remontée sondagière au niveau national. Ruiné par la dérive droitière du New Labour, et, surtout, par sa participation à la campagne catastrophique conduite en commun avec les conservateurs lors du referendum de 2014, il stoppe ainsi sa longue décente aux enfers. Cette prouesse doit peu à la dirigeante travailliste locale, Kezia Dugdale, critiquée pour avoir concentré ses attaques sur le SNP, et qui avait soutenu le rival de Corbyn, Owen Smith, durant la course pour le leadership du parti l’année dernière.

Manifeste du labour pour l’élection législative. Le virage à gauche du parti menace l’hégémonie du SNP

L’existence d’une voix unioniste crédible à gauche pourrait bien à l’avenir constituer le talon d’Achille des nationalistes. Les offensives jusqu’ici peu percutantes de l’opposition sur leur gestion gouvernementale ont pris une autre dimension sous la houlette de M. Corbyn. L’élu de la circonscription londonienne d’Islington-North ne s’est ainsi pas privé de dénier au SNP son caractère progressiste, pointant la hausse de la pauvreté infantile en Écosse et son refus d’augmenter l’impôt sur le revenu pour les plus fortunés. L’équation prendrait une tournure encore plus dramatique au cas où, comme l’envisage désormais un sondage, le labour parvenait à se hisser au pouvoir : le renvoi dans l’opposition du parti conservateur ôterait alors les indépendantistes de leur meilleur ennemi.

Convergences des gauches ?

Avec le retour au bercail d’une partie des électeurs travaillistes et la consolidation du bloc unioniste sous l’égide des tories, le SNP aura fort à faire pour préserver sa posture de rempart naturel pour les intérêts régionaux. Sa crédibilité sur le long terme dépendra notamment de sa capacité à jouer un rôle constructif dans l’opposition au nouveau gouvernement de Theresa May. L’étroitesse de la majorité du second mandat d’une première ministre largement affaiblie ouvre en effet la voie à une plus grande collaboration entre le labour et les nationalistes.

La nature plus conciliante de Corbyn, hostile à l’indépendance, mais nettement plus respectueux du droit à l’autodétermination, pourrait faciliter ces convergences. Nicola Sturgeon, qui se montre volontiers plus proche de ses positions que de celles du scottish labour, avait déjà envoyé des signaux en ce sens durant la campagne, appelant ouvertement à la constitution d’une alliance progressiste. Une telle dynamique risquerait d’atténuer le ressentiment contre Westminster qui a fait le succès des nationalistes, mais aurait le mérite de rassurer leurs partisans, qui considèrent avant tout l’indépendance comme un instrument de progrès social.

 

[1] Outre que les écossais se sont prononcés à 62% pour le maintien dans l’Union européenne, rappelons que la région dans laquelle vit 8.4% de la population du Royaume-Uni reçoit 17.5 des subsides européens dédiés au pays.