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Pacte léonin pour une vision sécuritaire de la migration

Depuis une quinzaine d’années, la politique d’Immigration de l’Union européenne repose essentiellement sur des bases sécuritaires. Le Pacte européen sur l’immigration et l’asile de 2008 signé par les Vingt-Sept en est une nouvelle illustration. Bienvenue dans l’«Europe forteresse».

En 2008, les États membres de l’UE ont adopté un Pacte sur l’immigration et l’asile présenté comme un instrument « équilibré, cohérent et juste », pour donner « une impulsion nouvelle, dans un esprit de responsabilité mutuelle et de solidarité (…) mais aussi de partenariat avec les pays tiers », à la définition d’une politique qui prenne en compte « l’intérêt collectif et les spécificités de chaque État membre ». Qu’en est-il de cet ambitieux programme, un peu plus d’un an après la conclusion du Pacte ? Deux remarques en préalable. Même s’il est truffé d’intentions vertueuses, le Pacte sur l’immigration et l’asile ne revêt aucun caractère juridiquement contraignant. Il n’implique par conséquent pour les États membres aucune obligation de résultat. Par ailleurs, il s’inscrit dans la continuité de la politique mise en œuvre par l’UE depuis le début des années 2000, en reprenant à son compte des programmes déjà largement engagés. Au regard des initiatives prises depuis l’adoption du Pacte, on constate que les deux axes qui fondent cette politique sont restés les mêmes : d’une part, une gestion principalement sécuritaire des questions d’immigration et d’asile, d’autre part une approche déséquilibrée du fait migratoire, qui met au pas les pays d’émigration et instrumentalise les migrants au bénéfice principal des États membres de l’UE.

Inspiration sécuritaire

L’harmonisation de la politique migratoire européenne, telle qu’elle était conçue par la Commission européenne dès 1999, devait reposer sur la mise en place de normes communes dans trois domaines : l’intégration des immigrés en situation régulière, la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés et la gestion des frontières pour lutter contre l’immigration illégale. Très vite, il est apparu que les États membres accordaient priorité au dernier volet, ce dont témoignent l’abondance des textes adoptés dans ce domaine et l’intense coopération policière déployée à cet effet, ainsi que l’association quasi systématique, dans les discours institutionnels, des termes « trafic de stupéfiants », « grande criminalité », « terrorisme » et « immigration », pour désigner les quatre fléaux supposés menacer l’Europe. Le séisme qui a suivi le 11 septembre 2001 est venu à point nommé pour légitimer ces orientations, consacrées neuf mois plus tard au sommet européen de Séville qui a fait de la lutte contre l’immigration clandestine une priorité pour l’UE. C’est cette tendance que traduit le chapitre du Pacte consacré au contrôle des frontières, qui prévoit la généralisation des visas biométriques, la systématisation de l’enregistrement électronique des entrées et des sorties du territoire européen, la création d’un corps de garde-frontières, et surtout le renforcement de l’agence Frontex. Instituée en 2005, cette « agence européenne des frontières », dont le budget a presque doublé entre 2007 (42 millions d’euros) et 2009 (71 millions d’euros), est le symbole de l’européanisation des moyens de contrôle. Parmi ses attributions, la plus médiatisée concerne la coordination d’opérations de surveillance à la frontière extérieure de l’Union en des points jugés particulièrement « à risques » en termes migratoires, comme les zones maritimes qui séparent la côte ouest-africaine des îles Canaries ou la Libye du sud de l’Italie et de Malte. Avec succès, puisque le nombre de « migrants clandestins » interceptés ou refoulés par les patrouilles de Frontex fait régulièrement l’objet de communications publiques triomphalistes (le Premier ministre espagnol s’est ainsi félicité, fin 2009, de la diminution de moitié des arrivées « illégales » en Espagne par la mer). On omet toutefois de préciser que ni le cadre institutionnel ni le programme de travail de Frontex ne font référence au respect des droits fondamentaux, et qu’aucun mécanisme d’identification d’éventuels réfugiés n’est prévu pour assister les personnes ayant besoin de protection lors des opérations d’interception ou de renvoi. En théorie, la question n’est pas étrangère aux préoccupations des États membres, qui ont réaffirmé, au mois d’octobre 2009, la nécessité d’énoncer « des règles claires concernant la participation à des opérations conjointes en mer tenant dûment compte de la nécessité d’assurer la protection des personnes ». Mais c’était lors d’une discussion sur l’augmentation des moyens opérationnels de Frontex, visant à des contrôles renforcés des frontières maritimes extérieures et à une participation systématique de Frontex aux vols de retour commun (autrement dit, à la généralisation des expulsions par « charter européen »).

Directive « de la honte »

Il est d’ailleurs significatif de relever que le premier texte législatif adopté par le Conseil de l’UE, deux mois après la conclusion du Pacte, concerne la coordination en matière d’expulsion. Qualifiée par les ONG de « directive de la honte », la directive « retour » rend possible la détention, jusqu’à dix-huit mois, des étrangers en instance d’expulsion – y compris les enfants, les malades et autres personnes vulnérables, ainsi que les requérants d’asile – en attendant l’organisation de leur départ, et permet qu’ils soient interdits de séjour dans toute l’UE pendant une période de cinq ans à dater de leur expulsion. On notera que la coordination des procédures d’éloignement des « irréguliers » intervient alors qu’il n’existe pas de définition commune de la notion de « séjour régulier ». Ainsi, du fait de la disparité dans le traitement des demandes d’asile, un demandeur d’asile irakien pourra, en Allemagne, être reconnu réfugié et acquérir un droit au séjour qui l’autorise à se déplacer régulièrement dans les vingt-sept pays de l’Union. Au contraire, en Grèce, il sera débouté de sa demande, interdit de séjour et frappé d’une mesure d’expulsion qui pourra être exécutée manu militari – en application de la directive retour – par les forces de police de tous les pays de l’UE ! Les effets de cette harmonisation par le bas des modalités d’éloignement n’ont pas tardé à se faire sentir, puisque dans la foulée de la directive « retour » l’Espagne et l’Italie ont décidé, en 2009, d’augmenter la durée légale de la détention administrative des migrants. L’enfermement des migrants reste au demeurant l’un des domaines où les différences d’un pays à l’autre sont les plus marquées, la seule constante étant l’augmentation régulière du nombre de « camps d’étrangers » : on en compte entre 250 et 300 dans l’Europe des Vingt-Sept.

Organiser l’immigration légale

Le chapitre du Pacte consacré à l’immigration légale – c’est-à-dire la migration de travail et l’immigration familiale – relève quant à lui de la quadrature du cercle, tant les contradictions entre l’affirmation des principes posés, les vrais moteurs de la politique qu’il cherche à promouvoir, et les pratiques différenciées des États membres semblent insurmontables. La première de ces contradictions réside dans le projet même de politique « commune » sur les questions liées à l’emploi des migrants, alors que chaque État membre tient à garder la haute main sur l’admission des travailleurs étrangers sur son sol. Ce que le Pacte rappelle d’entrée, en soulignant « qu’il revient à .chacun. de décider des conditions d’admission sur son territoire des migrants légaux et de fixer, le cas échéant, leur nombre ». Ajoutant pour compenser, sans craindre le paradoxe, que les politiques menées doivent être « concertées, en tenant compte de l’impact qu’elles peuvent avoir sur les autres États membres ». La formule traduit le compromis trouvé par les États membres pour régler le différend entre tenants et opposants des régularisations de sans-papiers. Certains, comme l’Espagne et l’Italie, entendaient conserver cette soupape pour mieux accompagner les fluctuations de leur marché de l’emploi, notamment dans les secteurs gourmands en main-d’œuvre peu qualifiée (agriculture, bâtiment, services à la personne). D’autres, partisans, à l’instar de la France, d’une immigration « choisie » et « contingentée », souhaitaient prohiber les régularisations massives afin d’éviter les « appels d’air ». Dans un cas comme dans l’autre, la suite a montré combien la planification est difficile dans ce domaine. Après avoir été pendant une décennie l’un des principaux pays pourvoyeurs d’emploi pour les migrants, l’Espagne, durement frappée par la crise économique, est entrée en récession fin 2008, avec un taux de chômage atteignant, en février 2009, 15,5% de la population active, qui n’a pas épargné la main-d’œuvre étrangère, au contraire. Quant à la France, qui rêvait de se poser en modèle, elle a dû réviser son projet d’immigration sélectionnée, une commission d’experts nommée par le gouvernement ayant estimé courant 2008 « qu’une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d’immigration de travail, et inefficace contre l’immigration irrégulière ».

« Carte bleue » européenne

La seconde contradiction de taille tient à l’aspiration des pays européens à attirer l’immigration de travail lorsqu’ils en ont besoin – notamment dans le cadre de la concurrence avec les autres grands pôles économiques internationaux – tout en évitant son installation durable lorsqu’elle est moins utile. Une équation résolue dans le Pacte par l’encouragement à « renforcer l’attractivité de l’UE pour les travailleurs hautement qualifiés » (afin de ne pas les laisser échapper vers les États-Unis ou le Canada) en veillant « à ce que ces politiques n’encouragent pas la fuite des cerveaux » (c’est-à-dire en s’assurant qu’ils retourneront d’où ils viennent une fois accomplie la mission qu’on attend d’eux). La « carte bleue européenne » mise en place par une directive du 25 mai 2009, répond à ce double objectif. Elle facilite l’admission des travailleurs étrangers qualifiés par la simplification des démarches, « de manière à soutenir la compétitivité et la croissance économique de la Communauté » et en fonction des priorités des États membres. Mais sa durée de validité, qui ne peut excéder cinq ans au total, exclut d’emblée pour son titulaire la possibilité de s’installer en Europe une fois cette période écoulée afin, dit le préambule de la directive, d’encourager la « migration circulaire ». Une notion bien imprécise, pour un mécanisme censé répondre à l’intérêt des pays d’émigration, mais qui présente surtout celui de donner bonne conscience à ses concepteurs, car rien ne garantit qu’à l’issue des ses cinq ans d’activité en Europe le travailleur « hautement qualifié » retournera faire profiter son pays de son expérience. En revanche, la limitation de son droit au séjour constitue pour le pays d’accueil un garde-fou contre ses éventuelles prétentions à rester là où il aura transféré ses attaches.

Le droit d’asile malmené

De la partie du Pacte consacré au droit d’asile, il n’y aurait presque rien à dire tant sur ce thème, le texte ne fait que recycler les projets en cours. Ainsi est programmée, à l’horizon 2012 au plus tard, une procédure d’asile unique et harmonisée dans tous les États membres. Mais, dans un précédent programme de travail du Conseil européen datant de 2004, la procédure d’asile unique était prévue pour 2010. De même qu’était déjà annoncée la création d’un Bureau d’appui européen destinée à faciliter les échanges d’informations entre pays – confirmé par le Pacte, ce bureau a été ouvert à la fin 2009 à La Valette, capitale de Malte. Pas nouveau non plus, le souci de mettre en place des mécanismes de solidarité entre les États de l’UE pour assurer le « partage du fardeau » que représente la demande d’asile, certains en subissant les effets de façon disproportionnée en raison de leur position géographique, comme la Grèce, Malte, ou l’Italie. Cependant les moyens proposés par le Pacte ont peu de chances de répondre aux problèmes rencontrés par ces pays : il s’agit de mécanisme de « répartition » plus équitable des réfugiés, par le biais de leur « réinstallation interne » au sein des différents États membres, mais dont le moteur est le volontariat… ce qui ne laisse guère d’espoir au vu de la tendance au réflexe de « chacun pour soi » dont ils font en général preuve. Une situation dont les principales victimes sont les candidats à l’asile, fort maltraités dans les pays qui sont « contraints » de les accueillir. Le taux, voisin de zéro, de réfugiés reconnus en Grèce, le fait que les demandeurs d’asile soient détenus à Malte ou à Chypre, ou victimes d’un racisme exacerbé en Italie sont la conséquence directe de cette absence de solidarité. Les vœux ardents, exprimés fin 2009 par un Commissaire européen chargé de l’asile en fin de mandat, de voir l’avènement « d’un droit d’asile commun en ligne avec les traditions humanitaires de l’Europe » risquent de rester lettre morte au vu de l’évolution du nombre de réfugiés admis dans l’Union au cours des dix dernières années. Si une timide remontée a été enregistrée en 2008, ce nombre était en décroissance constante depuis le début des années 2000, à l’instar d’ailleurs de ce qui s’est passé dans tous les pays industrialisés. Des statistiques qui traduisent la stratégie d’évitement des pays riches vis-à-vis de leurs obligations internationales. De fait, ce sont les pays parmi les plus instables sur le plan économique ou politique qui accueillent aujourd’hui la plupart des réfugiés : selon les statistiques établies par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), quatre cinquièmes d’entre eux résident dans les pays dits en développement, Pakistan, Congo et Tanzanie en tête.

Refoulements

Pourtant, c’est bien dans le domaine de l’asile qu’ont eu lieu les bouleversements les plus importants au cours des mois qui ont suivi la conclusion du Pacte. Au mois d’avril 2009, l’Italie prenait pour la première fois la décision de refouler plusieurs embarcations de migrants qui avaient déjà atteint ses eaux territoriales pour les remettre aux mains des autorités libyennes. Ce faisant, elle violait à la fois le droit maritime international, et le principe de non-refoulement qui interdit aux pays signataires de la convention de Genève sur les réfugiés de renvoyer des personnes pouvant avoir besoin de protection. Ce coup d’essai est devenu une habitude, permettant quelques mois plus tard aux autorités de se targuer d’avoir pu fermer le centre de détention de l’île de Lampedusa, à l’extrême sud de la Sicile, faute de migrants à y interner. Lequel centre avait vu transiter plus de 35 000 personnes en 2008… On retiendra que c’est en se référant explicitement au Pacte européen que les autorités italiennes ont justifié les refoulements opérés. Plus grave encore, ces violations manifestes des principes qui engagent l’UE dans le domaine du respect des droits humains ont été commises par un État membre sans susciter de réaction des instances de l’Union… sinon la recherche de solutions pour lui permettre de continuer. Ainsi la Commission européenne a-t-elle, en juillet 2009, proposé à la Libye – pays qui n’est pas signataire de la Convention de Genève précitée, par ailleurs connu pour maltraiter migrants et réfugiés et pour instrumentaliser leur présence au gré des ses intérêts diplomatiques – d’engager une coopération pour « parvenir à une gestion conjointe et équilibrée des flux migratoires ». Ainsi encore le HCR a-t-il, au même moment, conclu un accord pour travailler « en collaboration avec les autorités libyennes et la société civile afin de fournir de l’aide humanitaire aux personnes concernées dans les centres d’accueil et de détention ». Une façon, en délocalisant les procédures d’asile hors des frontières de l’UE, de dédouaner l’Italie de ses manquements passés et futurs, et de marquer une dangereuse étape dans le processus d’externalisation, par l’UE, de sa politique d’immigration et d’asile.

Politique de « donnant-donnant »

Ce processus d’externalisation n’est pas seulement induit en matière d’asile, lorsque le Pacte invite « la Commission à présenter des propositions de coopération avec les États tiers en vue du renforcement des capacités de leurs systèmes de protection ». Il constitue la trame du « partenariat global avec les pays d’origine et de transit » qui constitue son chapitre V. Au nom de « la synergie entre les migrations et le développement », le texte place les pays d’où viennent et par où passent les migrants en route vers l’UE en position de garde-frontières obligés. Ils sont ainsi tenus de protéger à distance les frontières européennes en échange de contreparties financières, dans le cadre de l’Aide au développement dont bénéficient les pays d’Afrique subsaharienne, ou politiques : par exemple, le « statut avancé » obtenu par le Maroc auprès de l’UE, le même mois d’octobre 2008 où le Pacte sur l’immigration et l’asile était conclu. On ne peut s’empêcher d’y voir la récompense d’un pays qui n’a pas ménagé ses efforts pour jouer le rôle qu’on attend de lui dans la gestion des migrations. Sans revenir sur les événements de Ceuta et Melilla de 2005, au cours desquels près d’une vingtaine de Subsahariens ont trouvé la mort sous les balles de l’armée marocaine, par chute, ou par étouffement, lors des tentatives de franchissement des « grillages » qui ferment la frontière hispano-marocaine Migreurop, Guerre aux migrants, le livre noir de Ceuta et Melilla, Syllepse, Paris, 2007 , on évoquera le drame survenu le 28 avril 2008, au large d’Al Hoceima (nord-est du Maroc), où entre 29 à 33 migrants, dont quatre enfants, seraient morts noyés après que leur embarcation pneumatique ait été, selon plusieurs témoignages concordants, volontairement crevée par les forces de l’ordre. Aucune enquête indépendante permettant de faire la lumière sur cet événement n’avait, plus d’un an plus tard, été rendue publique. Un silence qu’autorise l’indifférence de l’Europe à ce qui se passe par-delà de ses frontières, et qui est sans doute à mettre au rang des bénéfices qu’elle entend tirer des accords conclus avec ses voisins. On pourrait encore évoquer les facilitations de visa accordées à l’Ukraine et aux pays des Balkans, en échange des accords de réadmission qu’ils ont signés avec l’UE : grâce à ceux-ci, les Vingt-Sept peuvent renvoyer sans formalité dans ces pays des étrangers en situation irrégulière, au risque de les exposer à des traitements contraires à leurs droits. Le HCR et plusieurs organisations internationales n’ont-elles pas régulièrement dénoncé le sort réservé aux demandeurs d’asile en Ukraine, et le climat de racisme qui y règne ? Cette politique de « donnant-donnant » est largement imposée. Certes, le Pacte met en avant le nécessaire partenariat avec les États tiers : « Une approche globale des migrations », explique son préambule, « n’a de sens que dans le cadre d’un partenariat étroit entre les pays d’origine, de transit et de destination ». Mais aucun travail de concertation avec les pays désignés comme « partenaires » n’a précédé son élaboration. Et si le ministre français de l’Immigration a fait, au cours des six premiers mois de l’année 2008, la tournée de tous les États membres de l’UE pour y négocier le Pacte, ce n’est qu’à un travail d’« explication » qu’il s’est livré ensuite, devant les ambassadeurs de trente-deux pays d’Afrique noire et du Maghreb, pour les convaincre que ce qui était « une chance pour l’Europe » l’était forcément aussi pour l’Afrique. Et qu’importe si les migrants en font les frais.

Danger humanitaire

Faut-il ne voir dans le Pacte européen sur l’immigration et l’asile qu’un « coup de matraque dans l’eau », selon l’expression d’un éditorialiste de l’hebdomadaire Jeune Afrique ? Sans doute pas, même si, comme on l’a vu, il innove peu et n’impose rien. Car en s’accordant sur son contenu, les pays européens ont marqué leur ancrage dans la vision sécuritaire de l’immigration qui est celle de l’UE depuis une quinzaine d’années, celle qui a fait dire en septembre 2009 au Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe que « dans toute l’Europe s’affirme la tendance à refouler, à n’importe quel prix, les flux de migrants en situation irrégulière, en mettant des vies humaines en grand danger, et ce souvent dans le cadre de la prétendue gestion des migrations ». Au-delà des dégâts humains qu’elle provoque, cette approche reste sourde aux voix, de plus en plus nombreuses, qui réclament une révision du dogme de la fermeture des frontières. Ce n’est pas seulement le Haut commissaire pour les réfugiés qui, au moment du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique, montre combien il est aujourd’hui difficile de distinguer « un réfugié climatique d’un migrant économique, un exode forcé d’une migration choisie ». C’est aussi l’Unesco dont les experts analysent, chiffres à l’appui, ce que pourrait être un scénario « Migrations sans frontières ». Ou encore le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement, qui plaide pour qu’on « lève les barrières » migratoires. Les gouvernements resteront-ils les seuls à nier l’évidence ?