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Tony et Mia nous (em)mènent en bateau

«Alors les filles, on a participé au Grand Harcèlement du 21 décembre? 50~000 personnes dans la rue, sans même un appel à la grève générale: paraît que les patrons n’en sont pas encore revenus. — Les syndicats non plus, à mon avis. Leur intention, c’était de montrer les muscles. Mais surtout pas de cogner. — Tu aurais voulu cogner, toi? — Oui, parfaitement, j’aurais voulu cogner! Rien que le vocabulaire utilisé me donne déjà envie de cogner. La compétitivité (entendez : la loi de la jungle). La concurrence des pays à bas salaires (comprenez : surexploités). Les partenaires sociaux. Partenaires, sans blague!! Et le harcèlement, tiens! Quand les gens descendent dans la rue, c’est du harcèlement de patronat. Mais quand un patron exige le retour aux 40h, sous peine de délocalisation, ça ce n’est pas du harcèlement! — Non, c’est du chantage, nuance. — … Et je ne supporte pas d’entendre, dans la même journée, voire dans le même journal parlé, qu’une augmentation des salaires de 5% serait irresponsable puis, quelques minutes plus tard, que la Bourse de Bruxelles a fait un bond de 30% en un an! Et que personne ne vienne me dire que ça n’a aucun rapport. Le réalisme économique, je connais, merci. C’est celui qui exige que les salaires stagnent quand les profits grimpent. Une loi de la nature en quelque sorte. — Je ne saurais trop te recommander le dernier livre de J.K. Galbraith, oui, le grand économiste. Il y dénonce tous les «mensonges de l’économie». À commencer par la façon dont certains termes «déplaisants», comme «capitalisme», sont remplacés par des expressions «inodores et insignifiantes» comme «économie de marché», qui a l’avantage de cacher les rapports de pouvoir économiques. On devrait en lire un chapitre à haute voix au début de chaque séance de négociations… — Dites, vous avez vu les négociateurs? Plutôt la mode unisexe, non? Je ne suis pas une obsédée de la parité, mais là, quand même… Et en particulier côté syndical… Pas étonnant qu’on parle tant d’heures supplémentaires et si peu de temps partiel… — Tu regrettes le bon vieux temps de Mia De Vits? Je ne sais pas, je n’ai pas l’impression qu’elle se soit vraiment beaucoup préoccupée de la cause des femmes… — Un qui semble regretter ce temps béni, c’est Tony Vandeputte, l’ex-Grand Négociateur de la FEB. Il fallait les voir, ces deux-là, sur le plateau télé , en train d’évoquer ensemble, presque la larme à l’œil, leurs souvenirs des négociations passées. Ah le bon vieux temps, où on s’engueulait mais où on savait s’apprécier… On aurait dit des sportifs à la retraite évoquant des matches âprement disputés. Votre coup droit, mon cher, magistral!! Oui, mais vous, votre revers, j’ai bien failli me le prendre dans l’oeil… — OK, mais la journaliste poussait dans ce sens. «Qu’est-ce que vous appréciez chez Mia? Et Tony, il est comment? Quand il sortait en pleine négociation, pour faire un tour dans la nuit, ça vous tapait sur les nerfs…? Tony, franchement, c’était un truc pour énerver vos interlocuteurs, non?» — Oui, d’accord, la journaliste en rajoutait, mais ce n’était pas une raison pour tomber dans le panneau. Tony ça l’arrangeait bien de faire copain-copain : tous dans le même bateau au nom des intérêts supérieurs de l’Entreprise, c’est bien un discours patronal, non…? Mais Mia!! Franchement, ça me donnait moins envie de défiler que de me défiler. Mais bon, si on peut au moins harceler… Harceleurs de tous les pays, unissons-nous!»