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Basisbereikbaarheid, une révolution tardive pour la mobilité

La Flandre ambitionne de réaliser un important transfert modal : 40% des déplacements (et même 50% autour d’Anvers, Gand, et Bruxelles) doivent se dérouler de manière durable. La basisbereikbaarheid « accessibilité de base » est l’instrument choisi afin de rendre possible cette révolution pour la mobilité.

La basisibereikbaarheid[1.Traduction littérale : « l’accessibilité de base », expression qui sera utilisée plus loin. Il ne s’agit pas ici de l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, mais de la possibilité pour l’ensemble des personnes de rejoindre un lieu. (NDT)] signifie bien plus qu’une simple adaptation du transport public : c’est une restructuration de l’ensemble de la politique de mobilité, pour laquelle la Flandre a été subdivisée en 15 régions de transport[2.Voir : https://bit.ly/3eAyl8E.].

De la « mobilité de base » à l’« accessibilité de base »

La mobilité de base était centrée sur l’offre de transport, avec l’ambition de fournir un arrêt de bus à maximum 750 m pour chacun ; elle est remplacée par une accessibilité de base orientée par la demande, en mettant l’accent sur l’accessibilité du lieu de travail et des écoles.

Le terme d’accessibilité de base apparaît pour la première fois dans l’accord du gouvernement régional flamand de 2014-2019[3.Voir : https://bit.ly/3QkYwO9.]. Combinée avec des réseaux mieux interconnectés et la mise en œuvre d’une mobilité partagée, cette approche devait accroître le nombre de voyageurs de 7 % avec un budget restant constant pour le transport public. C’était en tout cas la volonté politique en 2015 lorsque la note conceptuelle relative à l’accessibilité de base a été rédigée[4.Voir : https://bit.ly/3D2Wdw5.]. À cette époque il n’était évidemment pas encore question du covid qui aura un grand impact sur le transport en commun.

Le rôle de régisseur pour l’administration régionale

Pour la mise en œuvre de cette mobilité de base, De Lijn avait reçu un nombre (trop ?) important de leviers. Les autorités locales se sont plaintes d’avoir trop peu à dire. L’accessibilité de base modifie cette situation. De Lijn est désigné comme « exploitant interne »[5. Cette désignation a lieu pour répondre aux dispositions du Règlement européen (CE)1370/2007 relatif au transport en commun de personnes par rail et par route.] pour le réseau principal et le réseau complémentaire ; le gouvernement régional décide quant à lui pour le réseau principal et le Conseil régional du transport est chargé du réseau complémentaire et du transport sur mesure[6. Le réseau de transport public se composera, à l’entrée en vigueur de la « basisbereikbaarheid » de quatre couches hiérarchisées : le rail, le réseau principal, le réseau complémentaire et le transport sur mesure.]. En ce qui concerne ce transport sur mesure, chaque région de transport reçoit un budget fixe (enveloppe fermée) qu’elle peut affecter en fonction de ses propres préoccupations.

Lors de l’élaboration du réseau principal et du réseau complémentaire, il est apparu que toute l’expertise se trouvait toujours au sein de De Lijn et que les conseils régionaux du transport suivaient docilement les propositions de réseaux. Une autorité de transport a donc été créée au sein de l’administration régionale : c’est elle qui gère les budgets et les contrats avec les exploitants, ainsi que les tâches spécifiques de régie concernant les lignes de transport public et le transport sur mesure, dont De Lijn s’occupait auparavant[7. La Wallonie a également créé une autorité organisatrice du transport à côté du TEC. Voir : http://mobilite.wallonie.be. (NDT)].

Un réseau par niveaux

La Flandre se caractérise par un aménagement du territoire problématique : lotissements suburbains de villas, construction en ruban, magasins le long des routes, trafic de transit… Pour pouvoir desservir toutes les zones d’habitation comme prévu par le décret sur la mobilité de base, les lignes de bus louvoient à travers le paysage, ce qui a eu pour conséquence un allongement important des durées de déplacement pour les voyageurs. En se basant sur un réseau hiérarchisé, comprenant les différentes couches évoquées plus haut, le voyageur est guidé vers des lignes qui assurent un meilleur service, tant sur le plan des fréquences que de la fiabilité.

Ceci aboutit à un modèle de correspondances, dans le cadre duquel les voyageurs doivent changer de transport plus souvent. Les navetteurs se réjouiront des temps de parcours plus rapides, mais, pour un certain nombre de personnes, avoir plusieurs correspondances n’est pas aussi évident. La ponctualité devient plus importante dans un tel modèle, car un seul bus en retard aura un grand impact sur l’ensemble du trajet. Autre conséquence : la disparition de 1 à 5 arrêts en moyenne et l’augmentation des distances entre les arrêts, ce qui peut constituer un frein supplémentaire pour les plus âgés.

Les points de correspondance, désormais dénommés Hoppinpunten (auparavant on parlait de « points mobi »), fournissent des informations aux voyageurs et répondent aux normes PMR (personnes à mobilité réduite). Les conseils régionaux du transport ont estimé qu’il fallait 1800 Hoppinpunten. Aujourd’hui, il n’y en a même pas 100…

Vers une approche économique et écologique

Au début des années 2000, toutes sortes de moyens ont été consacrés pour mettre en œuvre la mobilité de base, avec comme préoccupation de permettre aux groupes sociaux « faibles » d’être plus mobiles au sein de la société, et ce pour combattre l’exclusion sociale en matière de mobilité. Les dépenses publiques pour le transport en commun se sont donc accrues en raison de la politique de mobilité de base. Par ailleurs, il est apparu que la mobilité de base ne constituait pas la réponse espérée face à l’exclusion sociale en matière de mobilité, en tout cas pour les déplacements du temps libre et les habitants des régions rurales.

Dans le texte « Visions en mouvement pour la fonction du transport public en Flandre: pour qui le bus est-il essentiel ? », écrit par de Eva Van Eenoo, Kobe Boussauw et Koos Fransen[8.Dans D. Bassens et S. De Boeck (ed), De essentiële economie, Motor voor een sociaal-ecologische transitie, 2022, page 83 et suivantes.], les auteur·es relèvent un déplacement du transport public d’un rôle social vers une fonction économique. L’accroissement du taux de couverture des coûts devient un objectif en soi. Le transport en commun devient un instrument pour créer un transfert modal[9.En géographie des transports et des mobilités, le transfert modal désigne le report d’une partie des flux d’un mode de transport vers un autre, par exemple de la route vers le rail ou de la voiture vers le bus. (NDLR)] et combattre la congestion. Plus récemment, ce rôle a été complété en termes d’amélioration de la qualité de l’air et d’atteinte des objectifs climatiques.

Vision de mobilité 2040 et Plans régionaux de mobilité

Le décret sur la mobilité de 2009, remplacé par le décret sur l’accessibilité de base en 2019[10. Voir respectivement : https://bit.ly/3RLn8k9 et https://bit.ly/3TTIqxW. Le décret accessibilité de base a déjà été révisé à deux reprises, chaque fois au regards des plans de mobilité.], prévoyait l’adoption d’un Plan de mobilité pour la Flandre et un plan communal de mobilité pour chaque commune.

La mise en œuvre de l’accessibilité de base entraîne plus de collaboration au-delà des frontières communales. Chaque conseil régional de transport doit rédiger un Plan régional de mobilité. Initialement, ces plans devaient se situer dans le cadre global d’un Plan de mobilité pour la Flandre ; aujourd’hui ce plan est remplacé par une « vision » pour la mobilité sans dispositions contraignantes. Il n’est plus nécessaire de disposer d’un plan local de mobilité pour pouvoir conclure une convention de collaboration avec la Région flamande. À ce jour, aucun des plans régionaux de mobilité n’a été remis.

Du big bang attendu vers un pétard mouillé ?

Un des objectifs était de canaliser toutes les initiatives de transport collectif ou transport sur mesure. Il y en a toute une série : trains (SNCB), trams, bus, bus à la demande (De Lijn), différents initiatives pour le transport de groupes cibles (comme les centrales de mobilité pour le transport adapté (MAV), les services de transport adapté (DAV), les centrales pour moins mobiles (MMC)), transport scolaire pour l’enseignement secondaire spécialisé, transport non urgent de malades via les mutualités, taxis, mobilité partagée, services de navette dans les trois ports les plus importants, transport d’entreprise, transport scolaire ou pour les institutions de soins…

En offrant l’ensemble de l’offre de transport dans une seule centrale de mobilité, la Hoppincentrale, les différents moyens devraient pouvoir être utilisés de manière beaucoup plus efficiente. Mais il faut constater qu’il n’y a eu qu’un nombre restreint d’initiatives reprises en vue du démarrage de l’accessibilité de base prévu en juillet 2023. L’intégration du transport scolaire et flex+ (transport de personnes à mobilité réduite) est déjà reportée à septembre 2024. En première instance, seule l’offre de ceux qui ont obtenu des marchés publics sera reprise dans la Hoppincentrale.

Le 11 août 2022, la ministre flamande de la Mobilité et des Travaux publics Lydia Peeters (Open VLD) a fait savoir qu’elle renonçait à l’approche du « big bang »[11. Voir https://bit.ly/3gNzhIE.]. Ce changement de cap signifie que l’on va commencer, en janvier 2023, une mise en œuvre progressive. De quelle manière ? Cela n’apparaîtra que lors de la remise des plans concrets au mieux fin 2022 par les régions de transport.

Encore un changement de cap…

Après une date de démarrage annoncée à l’origine pour le 1er janvier 2021, puis le report au 1er janvier 2022, et enfin à juillet 2023, la ministre Peeters fait maintenant le choix d’une approche phasée. Un choix judicieux au vu de tous les points problématiques qui restaient et ne pouvaient pas être résolus facilement, comme une intégration réussie de la mobilité partagée (aucun opérateur de mobilité partagée n’a voulu réagir à l’appel d’offre[12.Voir https://bit.ly/3gV4gCw.]), l’harmonisation des tarifs entre les régions de transport et les projets de cahiers de charges pour les bus flex (nouvelle dénomination pour les bus à la demande), ce qui amène des questions par rapport à la faisabilité financière de l’approche de transport sur mesure.

Nous pouvons cependant déjà estimer que le concept de « basisbereikbaarheid » ne sera pas entièrement mis en œuvre pour les élections régionales de 2024.

Traduit du néerlandais par Jean-Paul Gailly.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-NC-ND 2.0 ; un tram De Lijn à Gand, photo prise en mars 2018 par Jean Claude Michel.)