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Biocarburants industriels : une fausse bonne solution

Ils occupent des espaces agricoles qui ne profitent pas à l’alimentation, ils dépensent une énergie proportionnelle à celle qu’ils produisent… Les agrocarburants sont-ils vraiment une solution d’avenir dans un monde où des centaines de millions de gens ne mangent pas à leur faim et où la crise énergétique n’en est qu’à ses prémices ? Et l’Europe dans tout cela ? Elle commence à s’interroger sur son soutien au développement des carburants dits écologiques.

Mars 2007 : les 27 chefs d’État de l’UE, sous la pression du lobby agro-industriel et dans l’«euphorie médiatique» du réchauffement climatique, décident qu’à l’horizon 2020 les carburants pour le transport devront comporter au moins 10% d’énergie renouvelable. Avril 2008 : le président en exercice du Conseil européen, le Premier ministre slovène ainsi que l’Agence européenne de l’environnement demandent une révision à la baisse de cette décision. Ils sont relayés au niveau international par des instances de l’ONU telles que la FAO Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture , par Jean Ziegler, ex-rapporteur de l’ONU sur la sécurité alimentaire, qui demande rien de moins qu’un moratoire sur les agrocarburants Le pétrole étant un produit géologique issu de la biomasse, nous préférons le terme d’«agrocarburants» à celui de «biocarburants». Ce revirement rapide et spectaculaire n’est pas seulement dû à l’augmentation brutale des prix alimentaires, il est aussi dû au fait que les experts indépendants du lobby industriel reconnaissent que les agrocarburants industriels ne sont pas efficaces vis à vis des problèmes urgents à résoudre (climat, énergie, alimentation) et qu’ils engendreraient d’autres problèmes majeurs. Depuis 3 ans, au niveau européen, un certain nombre d’organisations paysannes, de réseaux spécialisés dans le transport et l’énergie, et d’associations d’environnement et de solidarité internationale avaient alerté l’opinion publique sur les dangers d’une fuite en avant dans les agrocarburants. La crise des prix alimentaires depuis six mois a délié les langues. Même si les agrocarburants ne sont pas la raison majeure de cette crise, leur développement potentiel à l’avenir a pesé fort dans la spéculation financière vis-à-vis des matières premières agricoles depuis l’été 2007. Il faut dire qu’au Brésil la déforestation a repris de manière brutale (le soja et la canne à sucre déplacent l’élevage bovin vers l’Amazonie), qu’en Argentine, des paysans sont morts de faim pendant l’été austral au milieu de champs de monoculture de soja transgénique, que la grande île de Sumatra, déjà largement envahie par les plantations de palmier à huile destinés à l’industrie agro-alimentaire occidentale (les «matières grasses végétales» des biscuits industriels et des margarines, des savons…) ne sera bientôt plus qu’une immense plantation avec le développement de l’utilisation d’huile de palme en carburant. Sans oublier l’Afrique, dont les territoires immenses suscitent bien des appétits industriels, et l’Europe, où les usines d’agrocarburants, à coup de subventions publiques, ont fleuri dans de nombreux pays. Avec Patrick Sardones, de l’association Eden (Confédération paysanne), résumons les enjeux énergétiques et alimentaires liés aux agrocarburants :«On ne peut que faire la constatation suivante : à l’échelle de la planète, nous n’en sommes qu’à environ 2% d’agrocarburants incorporés dans les carburants routiers. Or les effets en termes de concurrence avec la production alimentaire et de pression sur les écosystèmes naturels et les systèmes agraires traditionnels se font déjà sentir. Par ailleurs, nous sommes dans un contexte d’augmentation de la consommation de carburants. Dans l’hypothèse où cette croissance se maintient jusqu ‘en 2020 au rythme de 1,5% par an, la consommation de carburant routier en 2020 aura augmenté de 21,4% par rapport à 2007, de même que les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur. Si l’objectif de 10% d’incorporation d’agrocarburants diminuant les émissions de GES de 35% par rapport aux carburants pétroliers est atteint, les émissions de GES du secteur des transports routiers auront tout de même augmenté de 17,2%. Avant d’établir des objectifs contraignants d’incorporation d’agrocarburants dans les carburants routiers, il est nécessaire d’avoir des objectifs contraignants de stabilisation, voire de diminution de la consommation de carburants routiers.»

Non-sens énergétique

Alors que l’agriculture a pour sens fondamental de transformer l’énergie solaire, captée grâce à la photosynthèse dans les plantes, en aliments énergétique (sucres, amidon…), qui vont transporter cette énergie dans toute la chaine alimentaire jusqu’aux humains, l’agriculture industrialisée développée au XXe siècle a cessé de remplir cette fonction pour devenir énergivore. Il semble dès lors illusoire et très loin du bon sens de croire que des plantes cultivées intensivement comme le sont le maïs, le blé, la betterave, le colza vont pouvoir être transformées en carburant avec un bon rendement énergétique. Sans compter que la distillation des sucres ou l’esthérification des huiles de ces plantes pour les transformer en carburant est coûteuse elle-même en énergie. Il faut cependant tenir compte du fait que les sous-produits de la transformation en carburants sont des tourteaux valorisables en alimentation animale. C’est donc une erreur de produire industriellement du carburant à partir de ces plantes. L’efficacité énergétique est en effet très faible Voir étude de l’association Eden : http://www.espoir-rural.fr/nos-partenaires/energies-durables-en-normandie/agro-carburants-synthese.html L’énergie utilisée pour produire l’éthanol de maïs, de blé, de betterave et pour le diester de colza est quasiment égale à l’énergie contenue dans le produit final ! Les résultats en ce qui concerne la diminution des gaz à effet de serre (GES) sont également médiocres. Seuls les résultats énergétiques de l’éthanol de canne à sucre sont satisfaisants. Mais l’Europe n’en produit pas et le développement à grande échelle de la canne à sucre au Brésil pose beaucoup de problèmes sociaux et environnementaux. Il vaut donc mieux privilégier une meilleure autonomie énergétique des exploitations agricoles en favorisant l’huile végétale pure pressée à la ferme plutôt que des usines d’agrocarburants : celles-ci ont une rentabilité énergétique et climatique très contestée, une rentabilité économique dépendante de très fortes subventions (défiscalisation), et vont favoriser les grandes exploitations au détriment de l’emploi rural. L’implantation de beaucoup de ces usines près de grands ports montre que la priorité sera en fait donnée à l’importation d’agrocarburants tropicaux moins chers. Le non-sens énergétique de l’orientation actuelle est confirmé par l’industrie européenne des engrais http://www.efma.org/Members/Press/Press%202006/PR%20re%20Forecast%202006.pdf.., qui prévoit une augmentation de la consommation d’engrais azotés en lien avec l’expansion des agrocarburants : rappelons que la fabrication des engrais azotés représente environ 40% de la consommation énergétique des exploitations ouest-européennes! Les procédés industriels conduisant à la deuxième génération d’agrocarburants (qui permettront de transformer d’autres formes de biomasse : déchets de forêt, taillis, déchets organiques agricoles et urbains…) ne seront pas opérationnels avant 10 ans. S’ils semblent plus prometteurs du point de vue énergétique que les cultures intensives annuelles, il faut toutefois ne pas mettre en péril la matière organique des sols en prélevant ce qui leur est restitué naturellement (forêt) ou sous forme d’engrais organique pour les déchets agricoles. Ajoutons que les volumes de carburants à en attendre ne pourront représenter qu’une part marginale des carburants que nous consommons aujourd’hui. Quant aux critiques sur les agrocarburants de la première génération, les agro-industriels ne les justifient aujourd’hui plus que comme une étape en attendant la deuxième génération, alors qu’il s’agit en fait de procédés industriels différents !

Ouvrir un débat

La seule incorporation de 5,75% d’agrocarburants dans les carburants pétroliers (objectif de l’UE pour 2010, qui ne sera pas atteint) nécessiterait 20% de la surface céréalière. En utilisant toute la surface agricole de l’UE, on ne pourrait fournir que 30% des besoins actuels en carburants. Si l’on choisit d’importer ces produits, on déplace le problème de la concurrence avec l’alimentation dans ces pays et on maintient une grande dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de l’extérieur. Au lieu de donner la priorité à la réduction des transports, les pays industrialisés développent de grands projets de production d’agrocarburants dans des pays tropicaux comme la Colombie, l’Indonésie, la Malaisie, le Brésil… Cela est fait au détriment de la sécurité alimentaire des populations et de la biodiversité. Les forêts primaires d’Asie du Sud-Est sont ainsi transformées en plantations de palmier à huile, tout à fait stériles du point de vue biodiversité. Il apparaît donc nécessaire d’engager un large débat en Europe sur les priorités à donner à l’utilisation des terres (alimentation, urbanisation, infrastructures, énergie, réserves naturelles…). Il faudra y inclure le fait qu’une production massive de produits animaux (viande, lait, oeufs) caractéristique des pays industrialisés, consomme de grandes surfaces agricoles, sur place ou importées. Il faut par ailleurs s’interroger sur le très important lobbying agro-industriel en faveur des agrocarburants, avec le soutien jusqu’à présent de la Commission européenne. Face à la difficile légitimation de la politique agricole commune (PAC) actuelle du point de vue international et social et en anticipant une forte baisse du budget agricole après 2013, ils essaient d’orienter l’opinion publique (plus sensible à la dépendance énergétique européenne qu’à la dépendance alimentaire parce que mal informée) vers la nécessité de subventionner la production et l’utilisation d’agrocarburants. Cela garantirait ainsi aux plus grandes exploitations et à l’industrie le maintien de fortes subventions publiques.

L’Europe doit faire marche arrière

Les exploitations agricoles peuvent contribuer positivement à infléchir la crise énergétique et climatique :   en modifiant les modes de production (diminuer en priorité la consommation d’engrais azotés) vers des productions plus autonomes et plus économes en énergie.   en adoptant des systèmes de production et des techniques culturales permettant de faire remonter les stocks de matière organique des sols, de façon à accroître les quantités de carbone séquestré dans les sols (qui représentent le double du carbone dans l’atmosphère)   si on favorise la production d’huile pure d’oléagineux pressée à la ferme ou localement, ainsi que la méthanisation.   si on soutient le développement de panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments agricoles Enfin, Il faut changer les politiques agricoles, commerciales actuelles. L’urgence climatique nous impose d’abandonner la logique de la PAC actuelle et de l’OMC, qui multiplie les transports, pour re-localiser l’économie, en donnant la priorité à l’efficacité, à l’emploi et à la préservation de l’environnement. L’Union européenne doit donc revenir sur sa décision d’utiliser 10% d’agrocarburants en 2020.