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Chantage !

Ce sera le 25 mai 2014. On jouera gros puisque, ce jour-là, toutes les élections auront lieu en même temps, à l’exception des élections communales. Outre pour l’Europe, on votera donc simultanément pour un gouvernement fédéral, un gouvernement wallon, un gouvernement bruxellois. Or, aujourd’hui, ces gouvernements ne s’appuient pas sur la même majorité. Si les socialistes et les humanistes sont bien présents partout, les libéraux ne le sont qu’au fédéral et les écologistes partout sauf là. Cette légère cacophonie permet des stratégies de communication subtiles et des doubles langages qui le sont tout autant. La rigueur fédérale imposée par les rapports de force Nord-Sud peut être équilibrée dans les régions et à la « Fédération Wallonie-Bruxelles » par une plus grande attention aux préoccupations sociales et environnementales. La main gauche régionale et communautaire du PS et du CDH peut toujours prétendre ne pas être responsable de ce que fait leur main droite fédérale.

Accepter un mal pour éviter un possible pire, c’est le plus sûr moyen pour qu’il advienne.

Mais ce qui fut rendu possible par le décalage dans le temps des élections précédentes ne le sera sans doute plus au soir du 25 mai. Il y aura eu une seule campagne électorale, avec des accents identiques quel que soit le scrutin. Il y aura immanquablement une seule négociation-cadre qui se déclinera ensuite aux différents niveaux pouvoirs. On entend d’ici les roulements de mécanique : on veut être au pouvoir partout ou nulle part. C’est logique. C’est cohérent. Pas d’illusion : un gouvernement de gauche, et même de centre-gauche, est impossible aujourd’hui sur le plan fédéral. Pour être pleinement légitime, tout gouvernement devrait pouvoir disposer d’une majorité au Nord et au Sud. Or, la Flandre est aujourd’hui la région d’Europe de l’Ouest où la gauche parlementaire (SP.A + Groen) est la plus faible. Celle-ci peut bien sûr se redresser. Le PTB peut éventuellement grappiller quelques pourcents. Mais au soir du 25 mai, ça ne pèsera pas. D’ailleurs, on connaît déjà le nom du vainqueur : ce sera soit Bart De Wever, et alors la N-VA imposera ses conditions, soit Kris Peeters, qui représente l’aile patronale du CD&V, si la droite flamande traditionnelle réussit son rétablissement, et l’alliance droite-gauche qui dirige ce pays depuis des lustres pourra continuer. Qui l’emportera ? Le message, seriné par tous les partenaires du PS au sein de la majorité fédérale et répété sur tous les tons par les éditorialistes en français et en néerlandais, tient en trois points :

  1. 1. La Belgique (ainsi que la sécurité sociale, la concertation sociale, bref le « modèle consociatif belge ») court à sa perte si la N-VA devait gagner les élections. C’est l’intérêt des francophones, qui se disent tellement attachés à la Belgique et à sa monarchie, que Peeters gagne contre De Wever. Il faut tout faire pour l’y aider.
  1. 2. Peeters peut encore gagner s’il peut prouver que ce gouvernement mène une politique conforme à ce qu’attendent le patronat flamand, les classes moyennes flamandes, les retraités, les habitants des périphéries urbaines et des petites villes, bref tous ceux qui ont fait le succès récent de la N-VA mais qui pourraient revenir au bercail si le CD&V et le VLD peuvent tirer argument de leur bilan.
  1. 3. Et pour que ce bilan soit présentable de leur point de vue, il faut que les socialistes francophones ne se montrent pas trop gourmands.

Ça porte un nom : chantage ! Mais ça marche ! Malgré une répartition des rôles cousue de fil blanc entre Di Rupo qui rassure, Onkelinx qui doit vendre le travail des ministres socialistes à sa base sans indisposer ses partenaires et Magnette qui est en campagne, le résultat de la politique gouvernementale ne trompe pas les organisations syndicales qui n’ont jamais été aussi critiques vis-à-vis de leurs habituels « relais politiques ». Elles ont raison de ne pas tomber dans le piège et pourraient même l’exprimer avec plus de force. La droite – flamande, mais pas seulement – a deux fers au feu. L’épouvantail de la N-VA est bien commode pour faire taire toutes les frondes sociales. D’ailleurs, si elle devait l’emporter, on gage qu’elle agirait sur l’essentiel selon les consignes de ses véritables commanditaires, ce qui ne changerait pas grand-chose sur le fond. De toute façon, accepter un mal pour éviter un possible pire, c’est le plus sûr moyen pour qu’il advienne.