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« Città Verde » : du danger d’être cohérent en politique

C’était couru ! Dès lors que la région de Charleroi est devenue la terre promise des effets d’annonce, la décision du ministre Philippe Henry de retoquer le permis de Città Verde Città Verde est le nom de ce projet commercial thématique qui pourrait voir le jour à Farciennes. Il y est question d’un investissement de 200 millions d’euros et – selon ses partisans – de 1500 emplois. Les adversaires du projet sont plus circonspects et estiment que le solde net de création d’emplois est quasi nul, tandis que la menace sur les centres-villes est, elle, indéniable ne pouvait donner lieu qu’à une bronca d’anthologie dans cette terre où les espoirs déçus font litière aux emportements et aux colères. Et de ce côté, tout s’est passé comme prévu, si on peut écrire… À tout seigneur tout honneur, c’est le PS qui a ouvert le feu, sur le mode «tonnerre de Brest». La violence de l’attaque et l’absence totale de ménagement donne à penser qu’il s’agissait tout à la fois… d’annuler l’annulation et d’estourbir le jeune ministre Écolo. L’exercice fit davantage penser au tir aux clays qu’à un désaccord politique. On n’eût pas assez de la gamme et des quatre arpèges pour entonner les variations sur un thème commun : feu sur ce ministre néfaste et sa décision funeste. On peut comprendre cette hostilité immodérée de la part de politiciens locaux qui cherchent – c’est bien normal – à attirer dans leur commune frappée de plein fouet par la crise, investisseurs & emplois. Mais de la part d’un Magnette, ou d’un Demotte, c’était moins attendu et invite à la réflexion… Puis ce fut Chastel, qui surjoua le rôle du «courroucé» sans qu’on sache si sa fureur visait Philippe Henry ou le fait de s’être laissé prendre de vitesse pour dénoncer le mauvais procédé envers la région de Charleroi. Même le CDH estima qu’il devait lui aussi prendre sa part au procès en sorcellerie, mais à sa manière, c’est-àdire quelques jours plus tard et avec des formules tellement alambiquées qu’on ne savait plus trop s’il aurait fallu accorder ce permis-là, ou pour d’autres projets sans qu’on sache au juste lesquels, mais bref André Antoine avait bien raison de dire ce qu’il disait et de faire ce qu’il faisait, ici et à tout jamais.

On peut comprendre cette hostilité immodérée de la part de politiciens locaux qui cherchent (…) à attirer dans leur commune (…) investisseurs et emplois. Mais de la part d’un Magnette, ou d’un Demotte, c’était moins attendu et invite à la réflexion…

Mais, déjà, les choses commençaient à prendre une autre tournure… D’abord, parce que Philippe Henry, loin d’accepter le rôle propitiatoire du maladroit qui découvre la vie politique, s’est mis à défendre sa décision à l’aune de la DPR (Déclaration de politique régionale). Qu’avait-il fait d’autre qu’être… conséquent? Et loin d’envisager de démissionner, comme on le lui suggérait à mi-mots, il déclarait fort benoîtement qu’il en appelait à ce que les mensonges sur son prétendu isolement au sein du gouvernement «ne se reproduisent plus». Ensuite parce que le numéro 2 du gouvernement, le «poids lourd» Écolo Jean-Marc Nollet s’est lui aussi mêlé au débat. Normal pour ce Carolorégien qu’on tentait de mettre en contradiction avec son jeune collègue en prétendant qu’il avait, en réunion du comité de développement stratégique de la région de Charleroi, approuvé le projet sans moufter. Nollet l’a fort habilement jouée, sur le fond et sur la forme : en qualifiant d’amateurisme le traitement du dossier par Philippe Henry, Paul Magnette a versé dans l’arrogance; car, disait-il, rien n’est moins amateur que cette volonté de replacer au coeur du débat l’articulation entre les mastodontes commerciaux des périphéries de ville et les commerces de proximité. Peut-on vouloir la redynamisation des centres-villes en créant toutes les conditions de leur désertification? Promouvoir le développement durable, est-ce applaudir à tous les projets commerciaux qui fleurissent ici et là? C’était aussi pour le parti Écolo indiquer avec clarté qu’il n’était plus un partenaire gouvernemental toléré pour autant qu’il ne sorte pas de ses lubies comme les subventions au photovoltaïque et les bus expérimentaux qui roulent au biométhane. Convenons que dans ce registre, le tandem Nollet-Henry ne s’en est pas laissé compter. Comme enhardis par cette belle leçon de cohérence politique, d’autres intervenants ont fait entendre leur voix : sans esprit polémique, le Setca a rappelé que les centres commerciaux ne constituent pas une panacée et doivent être pris pour ce qu’ils sont, à savoir une manière de déplacer la chalandise, le Moc a souligné que la décision du ministre Henry était cohérente et obligeait à définir un schéma de développement commercial durable, en dépassant les effets de manche et les effets d’annonce. Et c’était au fond également la position exprimée par le ministre Marcourt lors du débat au Parlement wallon. On est bien loin des lazzis et des imprécations des premiers jours. Tant mieux. Même les forums de discussion sur le net gagnent en profondeur : les injures des premiers jours vis-à-vis de Philippe Henry font place à des échanges sur ce qui «marche» le mieux pour l’emploi et le développement; et les clivages ne passent pas là où l’on croit, étrangement. En c’est en ce sens que cet événement, d’apparence périphérique, prend toute son importance : à force de croire et de vouloir faire croire qu’être de gauche consiste à accepter tout au nom de l’emploi et des investissements – pêle-mêle Ryanair, des stades de football, des centres commerciaux… – il faudra bien un jour organiser notre aggiornamento et dire que ce développement-là est en contradiction avec le projet de société porté par les mouvements sociaux et les forces de progrès. Il ne faudrait pas qu’à force de vouloir attirer les investisseurs commerciaux, les femmes et les hommes politiques de la région de Charleroi ne pensent que Thermidor est une marque de thermostat…