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Comment représenter les travailleurs et travailleuses de la culture ?

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Plus que jamais se pose la question de la représentation des travailleurs et des travailleuses de la culture. Comment les syndicats belges peuvent-ils les intégrer dans leur diversité et collaborer, ou non, avec les structures de fédérations déjà existantes ou en construction ? Nous avons sollicité les représentants syndicaux de la CSC et FGTB francophone et néerlandophone qui nous ont envoyé leurs réponses, avec trois points de vue différenciés : une réponse commune de Robrecht Vanderbeeken, responsable syndical ABVV-Acod Cultuur, et Tijs Hostyn, responsable syndical ACV Puls, une réponse collective de la CSC Culture francophone et celle de Stéphane Piron, secrétaire fédéral au Setca (FGTB).
Cet article a paru dans le n°117 de Politique (septembre 2021).

Les travailleurs de la culture forment un groupe particulièrement hétérogène. Travailler dans la culture n’a pas la même signification selon qu’on est comédienne, technicien, administrative, plasticien, associatif, ouvrière, réalisatrice ou écrivain. Et cela se réalise avec des fonctions et des contrats très différents qui induisent un éclatement de sa représentation dans les instances syndicales. Pourquoi est-il si difficile de représenter la culture dans la concertation sociale ?

ROBRECHT VANDERBEEKEN ET TIJS HOSTYN (ABVV-Acod Cultuur et ACV Puls) : Si l’on prend par exemple le secteur de l’enseignement, on y observe une grande homogénéité de types d’organismes, à savoir les écoles, et de contrats, pour les personnes qui y travaillent. Dans ce genre de contexte, un syndicat est à même de bien organiser les travailleurs et aussi de les défendre. Le syndicat est en fait le seul qui prend à cœur leurs intérêts et peut jouer un rôle de premier plan dans le dialogue social.

Dans le secteur culturel, les choses se présentent de manière complètement différente. Il y a un éparpillement en sous-disciplines qui fonctionnent souvent de manière largement indépendante les unes par rapport aux autres. Rien que dans le milieu musical, de la musique classique à la techno, ce sont des mondes complètement distincts. De plus, il y a une grande diversité d’organismes, entre ceux qui sont subventionnés et les commerciaux, des grandes structures hiérarchisées jusqu’aux petites initiatives horizontales auto-organisées.

Par ailleurs, il y a, comme vous l’indiquez, une croissance sauvage de statuts en matière de droit du travail : de fonctionnaire à intérimaire, de bénévole à indépendant, de la personne qui s’engage elle-même comme travailleur via son asbl jusqu’à celle qui se fait rémunérer sous la forme de droits d’auteur via une sous-traitance. C’est aussi un univers très concurrentiel avec énormément de candidats dans la marge, qui veulent se faire une petite place dans le secteur, et qui pour cela sont parfois les plus grands sponsors de leur propre création par le biais d’un job complémentaire. Et puis, il y a les hoppers[1.Travailleurs qui changent régulièrement d’emploi. (NDLR)] qui combinent plusieurs jobs – dans l’enseignement, l’horeca, ou comme artiste – et les travailleurs « flex » qui sont sans cesse actifs d’un endroit à un autre.

Cette diversité se traduit dans la manière dont s’organise la défense des intérêts. Il y a, pour chaque forme d’art, une « corporation » qui intervient en faveur de ses propres intérêts : les acteurs, les régisseurs, les musiciens, etc. Ce travail sur mesure en groupes de pression est bien nécessaire, même si cela engendre un grand nombre d’intérêts qui se croisent et parfois s’affrontent. Dans cet environnement complexe et dynamique, les organisations syndicales essaient d’organiser les travailleurs culturels de manière collective – sans distinction de genre, d’organisme, de fonction, ou de statut –, en jouant plus un rôle de soutien que de leadership. Nous voulons faire évoluer l’ensemble du secteur culturel vers des pratiques et rémunérations équitables, et de manière solidaire avec les autres métiers. C’est cette approche plus large qui est notre rôle et notre force. Nous avons acquis, grâce à nos combats sociaux, un mandat officiel de représentation des travailleurs culturels dans le dialogue social au sein des commissions paritaires, du Conseil national du travail (CNT), de la Commission des artistes, et à l’égard des différentes autorités.

CSC Culture : Il convient de revenir un peu à l’Histoire et de constater que les syndicats se sont effectivement construits et structurés selon deux axes : tout d’abord, le métier (ou la profession) des travailleurs qui, en leur imposant les mêmes contraintes et souffrances, les a amenés à construire ensemble des revendications et des structures communes. Dans cet axe, nous trouvons alors les centrales professionnelles « sectorielles » qui, en agissant dans un secteur particulier de l’appareil de production et en mobilisant des travailleurs partageant le même métier, constituent le premier élément de diversité des luttes. Ensuite, il y a la question, belge, du statut professionnel. Les travailleurs sont ouvriers ou employés (incluons ici les cadres) ou fonctionnaires. Et ici, à nouveau, les combats se sont différenciés et des structures syndicales organisées selon le statut se sont construites.

Le problème de l’action collective et syndicale pour les travailleurs de la culture est donc lié à cet historique de construction des structures de représentation. En effet, si tout le monde parle d’un « secteur culture », il est plus difficile de s’entendre sur son contour et ses limites, du moins si l’on s’en tient aux mêmes définitions que celles qui ont mené, en fonction des deux axes ici exposés, à la création des centrales professionnelles. Cette diversité se traduit également dans le foisonnement de fédérations professionnelles. Et cette pluralité de représentation – syndicale, patronale, et « corporatiste » – aboutit à des positions divergentes, voire contradictoires. Et les défauts de protections sociales et de conditions de travail ont aussi à voir avec le fait que la culture est une réalité qui mêle des opérateurs publics, non marchands et marchands, où les inégalités sont une préoccupation trop peu prise en compte.

Actuellement, les syndicats sont en difficulté pour organiser/coordonner les combats multifacettes des travailleurs de la culture, car le secteur est avant tout transversal et empiète, en quelque sorte, sur les « domaines » de plusieurs structures. Pour ne parler que de la CSC, au moins 4 organisations sont peu ou prou concernées, la CNE, l’ACV Puls, l’ACV-CSC Transcom et l’ACV-CSC Services publics[2. Respectivement en charge des employés et des cadres (CNE et ACV Puls), du transport, de la poste, des télécoms et de la culture (ACV-CSC Transcom) et des travailleurs des secteurs publics (ACV-CSC Services publics). (NDLR)]. Et, si on incluait tous les travailleurs qui interviennent dans la production artistique, il faudrait encore interpeller d’autres structures. Pour le dire de manière directe, la culture heurte les organisations syndicales et les bouscule quant aux limites de leurs zones d’influence. Enfin, pour corser le tout, alors même que les artistes et techniciens culturels revendiquent la mobilité et l’universalité de l’art notre pays a cloisonné la culture en fonction des communautés linguistiques, sans capacités budgétaires réelles du côté francophone. Cela n’arrange pas non plus les débats internes aux organisations syndicales restées nationales.

La plateforme CSC Culture, en unissant les secteurs culture de la CNE et de l’aile francophone de l’ACV-CSC Transcom, est un début de réponse à cette situation. Le but étant ici de rassembler les revendications des travailleurs de la culture, tout en respectant au mieux leurs différences et particularités, et de construire, avec eux, une expression politique. L’exercice est périlleux car il s’agit de convaincre, aussi bien en externe qu’en interne, et aussi d’établir la confiance, et d’élaborer un mode de fonctionnement syndical nouveau, orienté « réseau intersectoriel ».

STÉPHANE PIRON (Setca) : Dans le secteur de la culture, il n’existe pas de convention sectorielle définissant le statut de la délégation syndicale. Les organisations syndicales désireuses d’installer une concertation dans une structure où il n’y a pas d’élection syndicale organisée doivent dès lors passer par la convention collective de travail (CCT) numéro 5[3.Cette convention relative au statut des délégations syndicales au sein des entreprises ne prévoit ni le nombre de mandats ni le nombre de travailleurs minimum nécessaire à l’installation d’une délégation syndicale. La CCT numéro 5 précise que ces conditions doivent être déterminées en commission paritaire et, qu’à défaut, ces précisions soient apportées en entreprise. En commission paritaire 304, il n’y a pas eu de convention sectorielle sur le statut de la délégation syndicale. C’est donc par la seule voie de négociation directement en entreprise qu’une délégation syndicale peut être instaurée.] pour pouvoir s’organiser syndicalement et, de ce fait, permettre la concertation sociale dans cette même structure.

Il est important de différencier les grosses structures des plus petites. En effet, dans les grosses structures (à partir de 50 travailleurs), des élections syndicales peuvent être organisées. Il est alors plus facile de s’organiser syndicalement, ce qui permet d’avoir une concertation sociale entre les représentants des travailleurs et les employeurs. Tout cela en gardant une coordination avec les instances syndicales qui siègent dans les commissions paritaires. La réalité de ce que vivent les travailleurs des grosses structures remonte donc plus facilement. Ce n’est pas le cas des plus petites structures qui, elles, n’ont pas cette possibilité d’organiser des élections syndicales. Il est donc moins évident pour les organisations syndicales de percevoir les difficultés vécues par ces travailleurs dans ces plus petites structures. La problématique est encore plus difficile avec les artistes isolés.

Par contre, dans l’ensemble du secteur, il faut aussi tenir compte de la diversité des métiers d’artistes. Sous une même appellation, il y a plusieurs métiers différents avec chacun leur spécificité. Ce n’est pas le cas dans d’autres secteurs.

Enfin, il faut aussi tenir compte d’une autre catégorie de travailleuses ou travailleurs du secteur, ce sont ceux qui ne dépendent d’aucune structure. Qu’ils soient créateurs ou intermittents, il est plus difficile pour les organisations syndicales de les représenter. Ces travailleurs représentent pourtant une grande partie des travailleurs du secteur. Au Setca, nous avons une structure qui les rencontre et s’organise pour les représenter.

De nombreux travailleurs culturels vivaient déjà, avant la crise du covid-19, en situation de précarité, que cela soit parce qu’ils effectuent des prestations relativement courtes ou parce qu’ils sont soumis à des subsides au projet, donc temporaire. Ils ont rarement l’occasion d’être représentés par un délégué syndical. Quelles stratégies syndicales faudrait-il développer pour répondre à ces situations fragmentées et permettre une représentation effective de ces travailleurs ?

ROBRECHT VANDERBEEKEN ET TIJS HOSTYN (ABVV-Acod Cultuur et ACV Puls) : C’est en ayant une délégation syndicale au sein de l’organisme concerné que nous pouvons, en principe, défendre les travailleurs « flex » au mieux. Un délégué se doit en effet de défendre les intérêts de tous les travailleurs. Le problème, c’est que la plupart des organismes culturels sont de petite taille et n’ont donc pas de délégation syndicale. De plus, dans le secteur de la musique et des spectacles, il n’y a pas de convention collective de travail donnant aux travailleurs le droit démocratique de s’organiser. Visiblement, certains managers culturels se sentent trop branchés pour ça ? C’est un constat aussi sur le plan international : les secteurs professionnels où les syndicats sont minorisés sont aussi ceux qui présentent le plus de situations d’abus et de précarité. Pensons à Deliveroo ou à Amazon. On peut malheureusement étendre ce constat au secteur culturel, malgré son progressisme dans d’autres domaines.

Une autre difficulté réside dans l’organisation socio-économique proprement dite de la profession elle-même : un grand nombre de travailleurs culturels travaillent de manière discontinue en fonction de la nature de leur job et retombent dans des périodes intermédiaires de chômage. Grâce à ce que l’on appelle le statut de l’artiste, certains peuvent heureusement bénéficier d’une indemnisation sans dégressivité du montant du revenu de remplacement. C’est un soutien nécessaire mais il a cependant comme effet que l’on pousse de plus en plus de travailleurs culturels vers le chômage ; la part de travail non rémunéré a augmenté au fil des années, tandis que la mise au travail proprement dite a diminué. Un nombre croissant de donneurs d’ordre, confrontés eux-mêmes à une réduction des subventions culturelles, ne paient plus que pour la prestation, et pas pour sa préparation. Ils partent d’un raisonnement erroné selon lequel le travailleur culturel bénéficie d’une sorte de « revenu de base ». Cette évolution rend les professions créatives de plus en plus précaires.

Les syndicats ont par conséquent le rôle difficile de devoir représenter et défendre les travailleurs, culturels surtout par rapport à leur dossier de chômage. C’est ainsi que nous nous retrouvons dans une situation de négociation entre l’Onem et nos affiliés qui, de par la nature de leur travail, ont des dossiers fort complexes sur le plan des contrats de travail. Même si nous investissons par conséquent de plus en plus dans la fourniture de services pour les travailleurs culturels, en comparaison avec les autres professions, et même si cela se passe souvent de manière aisée et que nous payons un grand nombre d’indemnités, nous n’arrivons pas à atteindre nos objectifs en cette matière parce que nous nous heurtons régulièrement à des problèmes bureaucratiques. Cela pèse malheureusement sur notre image. C’est une tâche ingrate mais nécessaire, même si le chômage n’est pas normalement notre activité principale.

CSC Culture : Le syndicat n’est jamais que le résultat de la coalition de ses affiliés, travailleurs avec ou sans emplois. Il faut donc, d’une part, que le syndicat favorise l’affiliation, ce qui suppose d’améliorer le service spécifique aux travailleurs de la culture, particulièrement pour les bénéficiaires du « statut d’artiste », et pour ceux qui devraient en bénéficier… Mais le syndicat s’organise surtout avec ses militants, délégués syndicaux, et la difficulté réside dans la contradiction entre une réalité du travail culturel – temporaire – et le fait syndical qui s’inscrit dans la durée. Le défi syndical est donc d’assurer la présence militante dans le travail culturel au quotidien, y compris dans le cadre de projets temporaires. Des conventions sectorielles existent, par exemple pour permettre une représentation syndicale le temps d’un tournage, mais elles sont trop peu utilisées et pourraient être améliorées. Ce qui suppose que les représentants patronaux jouent le jeu du fait syndical, ce qui n’est pas du tout garanti… À l’heure actuelle, il nous semble que la meilleure stratégie possible est d’établir, ou de rétablir, une confiance entre les travailleurs de la culture et les organisations syndicales. Il s’agit de s’investir dans des espaces de dialogue, de débat, de confrontation des modèles.

Il s’agit, idéalement, d’aboutir à un constat partagé qui permette l’élaboration d’une parole politique. Les syndicats ont les moyens matériels et humains d’organiser la rencontre. Ils ont aussi leurs entrées dans les grandes structures de dialogue social en Belgique : Conseil national du Travail, commissions paritaires et fonds sectoriels, les divers comités de gestion de la sécurité sociale, de l’Onem, de l’Inami… Les questions posées par les individus, les collectifs, dans des réunions, forums, actions de soutien ou campagnes, doivent être portées vers ces structures, et les syndicats peuvent le faire. Pour les syndicats, accueillir les travailleurs de la culture et assurer leur représentation, malgré la grande diversité des situations, impliquera l’adoption d’une posture nouvelle, d’un regard nouveau sur le travail. Il s’agira également de faire évoluer les dispositifs pour tenir compte des réalités culturelles, ce qui passe par des évolutions du « statut fédéral de l’artiste », mais aussi par le soutien des communautés culturelles à leurs artistes et techniciens, et par des réflexions sur les contours des commissions paritaires « culturelles ».

STÉPHANE PIRON (Setca) : La crise du covid-19 a, en effet, aggravé la précarité pour les travailleuses et travailleurs du secteur. D’une part, l’augmentation du nombre de cas à gérer dans un temps très court et sans renfort rapide au vu de la complexité de la législation et, d’autre part, la complexité des dossiers des artistes – qui nécessitent plus de temps qu’un dossier dit « classique » – a submergé les services chômage de notre organisation syndicale. Sans oublier le fait que les travailleurs de nos services devaient, eux aussi, faire face à des changements de conditions de travail liées à cette même crise sanitaire.
La stratégie mise en place a consisté à renforcer prioritairement notre structure, à améliorer l’accueil et le délai pour traiter les dossiers. Ensuite à interpeller les politiques sur la nécessité de faciliter l’accès aux mesures de soutien liées à la pandémie. Par ces deux axes, une partie de la réponse à cette situation exceptionnelle pouvait être apportée.

On a pu voir récemment les fédérations professionnelles du monde culturel se regrouper pour peser sur les décisions ministérielles et, à plus long terme, mener un combat… qui ressemble fort à de la lutte syndicale. Qui est légitime pour représenter les travailleurs culturels ? Existe-t-il une collaboration active avec les fédérations professionnelles ?

ROBRECHT VANDERBEEKEN ET TIJS HOSTYN (ABVV-Acod Cultuur et ACV Puls) : À l’arrière-plan, il y a beaucoup de collaboration. En mettant la pression à plusieurs, nous faisons bouger les choses. Le fait que d’autres se mettent parfois en avant est secondaire. La lutte sociale est aussi un théâtre politique, où un grand nombre d’instances ont un rôle à jouer. La force du secteur culturel est que, grâce à la notoriété des artistes, nous arrivons facilement à toucher les médias. Cet avantage compense parfois le manque de force collective qui existe en raison de l’individualisme forcené et la fragmentation du terrain culturel. Ce qui compte, c’est que nous avancions ensemble.

Les groupes de pression jouent un rôle très utile dans la formation de fronts sociaux. Pensons ainsi au collectif Engagement en ce qui concerne le mouvement #MeToo, à State of the Arts à propos de la politique culturelle flamande, ou à StillStanding pour les mesures contre le coronavirus : ils peuvent mener une action efficace avec leur propre centre d’intérêt. Comme activistes, ils ont aussi plus de liberté de mouvement que les syndicats, parce qu’ils ont moins de responsabilités ou parce qu’ils sont moins liés à un historique de concertation avec les autorités politiques ou les employeurs.

Comme organisations syndicales, nous travaillons à l’intérieur des rapports de force, et donc à plus long terme, en nous centrant sur certaines revendications. On ne peut pas subitement mettre de côté ces précédents historiques et les accords conclus. Ce n’est d’ailleurs pas nécessaire : c’est justement grâce à ce travail de longue haleine que nous en arrivons finalement à réaliser des progrès. La continuité que nous offrons et le fait que nous rassemblons tous les groupes de métiers : c’est là notre rôle. Pour des activistes, c’est parfois plus difficile, parce qu’ils s’appuient souvent sur des bénévoles. À côté de cela, nous menons aussi nos propres actions : dans les organismes, par secteur, ou au plan interprofessionnel. En général, avec un accent mis sur la situation salariale ou la sécurité et la durabilité du cadre de travail.

En synthèse, le défi c’est de danser ensemble un tango de lutte. Il arrive bien sûr que, comme partenaires de danse, nous nous marchions sur les pieds mutuellement, ou que nous écrasions des orteils, ou soyons trop centrés sur nous-mêmes. Ce sont des points d’attention. Parfois, nous devons aussi, en tant qu’organisation syndicale, donner un coup de frein, parce que certains défenseurs d’intérêts promeuvent des propositions idéologiques libérales ou agissent de manière corporatiste, pour leurs intérêts propres. Nous ne nous rendons alors pas très populaires, mais c’est notre mandat et notre mission.

CSC Culture : À la CSC Culture, nous n’estimons pas avoir le monopole de la représentation, tant il est clair que cet exercice implique une connaissance intime des situations, ce qui n’est pas notre cas en ce moment. Notre plateforme est toute récente et a été créée au début de la crise sanitaire. Nous essayons depuis lors, malgré la restriction des contacts sociaux, malgré la mise au point mort des événements culturels, de nous faire connaître, de rencontrer les artistes et les techniciens de la culture, de rencontrer des collectifs, des fédérations professionnelles, des associations actives dans le secteur, et aussi de communiquer, en interne de la CSC, sur les situations réellement vécues. Et si, pour représenter, il faut connaître, pour connaître, il faut du temps. Notre objectif est bien la représentation des travailleurs, mais elle passera au travers de mandats clairs, donnés en toute confiance et connaissance.

D’emblée, la collaboration active avec les fédérations professionnelles nous a semblée utile et nécessaire. Nous nous heurtons cependant à la difficulté de la cohabitation, dans plusieurs fédérations professionnelles, d’intérêts patronaux et d’intérêts de travailleurs. Et il faut bien reconnaître que, si on excepte les filières culturelles marchandes, où les choses sont plus claires, les intérêts des organisateurs, des donneurs d’ordre, et les intérêts des travailleurs eux-mêmes, sont souvent imbriqués. Il arrive aussi fréquemment que les fonctions des uns et des autres s’inversent ou s’alternent, selon les événements, les productions, les collaborations… Pour la CSC, qui se bat pour les intérêts des travailleurs, notamment en soutenant les collectifs d’action et de revendication, il n’est pas question de se mobiliser pour les intérêts du patronat. Or, dans la culture non marchande, subventionnée ou subsidiée, cette position nette est souvent difficile à tenir.

Alors oui, à l’avenir, nous allons sûrement privilégier le travail et les échanges avec, par exemple, l’Upact, qui annonce clairement vouloir identifier et porter la parole des travailleurs, ceci sans réduire à rien les relations déjà établies par ailleurs. Tout cela reste évidemment à imaginer et à construire.

STÉPHANE PIRON (Setca) : À la question « qui est légitime pour représenter les travailleurs culturels ? », nous répondons que ce sont les organisations syndicales reconnues qui siègent dans les commissions paritaires. Ce sont elles qui sont les garantes d’une sécurité sociale forte et solidaire. La Belgique a un système de concertation sociale unique et efficace qui a fait ses preuves.

Dans le secteur culturel, il existe presque autant de fédérations patronales que de fonctions. Ce qui ressemble plus à du corporatisme qu’à du syndicalisme, ne facilitant pas une vision collective. Ce qui nous renvoie à la première question. Ces fédérations professionnelles représentent aussi des employeurs. Et elles ne se font pas uniquement le porte-parole des travailleurs du secteur. Leur intérêt peut être double.
Il est évident qu’il est important d’être attentif à tous. Mais cela doit se faire à travers nos systèmes de concertation existants (Conseil national du travail, commissions paritaires). Les différentes synergies entre les représentants des travailleurs et les représentants des employeurs et des politiques doivent se faire dans ces organes. Le crédit apporté par les politiques aux fédérations professionnelles contourne le bon fonctionnement de la commission paritaire 304. La crise du covid-19 a malgré tout pu mettre en évidence que tout n’est pas parfait. Les pressions des fédérations professionnelles, en partie entendues par les politiques, témoignent de la complexité du problème. Ces derniers temps, plusieurs rencontres ont été organisées entre les fédérations professionnelles. Tous ces enjeux sont au cœur de ce que l’on appelle la réforme du statut d’artiste.

Les réponses de Robrecht Vanderbeeken et Tijs Hostyn ont été traduites par Jean-Paul Gailly, membre du collectif éditorial de Politique.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-SA 3.0 ; Théâtre royal flamand – Koninklijke Vlaamse Schouwburg à Bruxelles, prise en 2006 par Ben2.)