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Conseil communal et vigilance citoyenne

Le suivi des conseils communaux fut une des marques de fabrique de Démocratie schaerbeekoise. Les trois cents compte rendus alternatifs rédigés sur une période de trente ans ont relayé des points de vue citoyens et attiré l’attention des mandataires communaux.
Cet article a paru dans le n°116 de Politique (juin 2021).

Dès 1988, le conseil communal est apparu comme une instance accessible à la vigilance citoyenne où celle-ci pouvait s’exercer utilement. Le conseil communal est l’instance législative de la commune, où les conseillers et conseillères sont invitées à approuver les propositions de décisions portées par le collège des bourgmestre et échevins (l’équivalent du Conseil des ministres au niveau de la commune). Il se réunit en moyenne dix fois par an. Y sont, entre autres, présentés et, idéalement, discutés avant approbation :

  • les budgets de la commune et du CPAS ;
  • les règlements concernant des taxes, le statut du personnel communal… ;
  • les subventions reçues et les partenariats conclus, en ce compris les contrats de quartier ;
  • des plans d’action et leurs rapports d’avancement ;
  •  les marchés publics, la gestion immobilière, les travaux envisagés aux bâtiments communaux et l’acquisition d’équipement ;
  • les conventions avec des associations, ainsi que les décisions de subventions ;
  • la présentation des comptes et rapports d’activité des ASBL paracommunales.

La séance est en grande partie ouverte à la presse et au public. Se tient toutefois à huis clos la partie de l’ordre du jour qui concerne des questions de personnes (fonctionnaires à sanctionner, par exemple).

Le regard citoyen

Le moyen choisi par Démocratie schaerbeekoise pour exercer sa vigilance a été :

  • d’envoyer aux séances du conseil communal un observateur, chargé de rédiger un rapport des décisions et discussions ;
  • de diffuser ces rapports dans un journal trimestriel envoyé aux membres cotisants, mais aussi aux bourgmestre, échevins et conseillers communaux. Depuis les années 2000, ces rapports sont également publiés sur un site internet (www.demoscha.be).

Ce sont en tout quelque 300 séances du conseil communal qui ont ainsi été suivies pendant trente ans. Ce regard vigilant est important, et nous voulons penser qu’il a été utile à plusieurs titres :

  •  assurer de la publicité (en sens noble du terme) aux débats, aux orientations, aux décisions ;
  •  donner à savoir aux édiles – qui prendraient l’habitude de fonctionner en club fermé avec un risque d’abus de pouvoir – qu’un minimum de surveillance existe ;
  •  freiner par notre présence tierce les agressivités, les attaques de langage, les débordements à l’égard d’une opposition parfois en très faible nombre ou d’un bord irréductiblement opposé ;
  •  apporter du soutien, par notre présence et les échos donnés, aux premiers élus écologistes arrivés au conseil dans les années 1980 et chargés d’incarner quasi seuls l’opposition face à de vieux crocodiles aux idées parfois rances ;
  •  faire découvrir le sérieux et l’engagement de tel conseiller, ou au contraire mettre en lumière la désinvolture de tel autre (n’intervenant sur aucun sujet, voire venant juste faire acte de présence – pour toucher ses jetons à peu de frais… ?) et, de son voisin que l’on a tant vu sur les affiches électorales, l’incompétence, voire le souci principalement clientéliste…

Les édiles les plus ouverts nous ont laissé entendre combien ce « miroir tendu » est utile et salutaire quand on exerce le pouvoir qui, par nature, isole et écarte de la réalité. Dès le départ en effet nos compte-rendus se sont voulus subjectifs : ils ont toujours laissé la place à des commentaires personnels (généralement imprimés en italique, pour les démarquer du compte-rendu lui-même).

Améliorations obtenues et limites de l’exercice

L’exercice a ses limites aussi qui, les forces diminuant, nous ont finalement persuadés de jeter l’éponge : un public, fût-il réduit, peut encourager à forcer sur le« cinéma » et les effets de manche (on se souviendra de passes d’armes exagérément théâtrales à l’époque de Laurette Onkelinx, Daniel Ducarme ou Bernard Clerfayt – Schaerbeek a eu ses vedettes !).

Par ailleurs, le conseil communal a les apparences du lieu où tout se décide, mais c’est loin d’être le cas : les dossiers sont préparés par le collège et l’administration, ils sont préalablement présentés et discutés en commission, la matière est rarement exposée in extenso lors du conseil, lerapporteur en est donc réduit à
prendre note de ce que l’autorité veut bien en dire (et qui peut rester incompréhensible pour le citoyen lambda). Par égard pour nos forces de bénévoles, nous avions toujours convenu que le rapporteur ne s’engageait pas à étudier lui-même les dossiers pour affiner sa critique.

Néanmoins, lorsque le rapporteur était lui-même spécialiste de l’une ou l’autre question, son regard sur la discussion se révélait bien sûr autrement acéré et critique. Au fil des années, des améliorations allant dans le sens des exigences citoyennes de transparence et de participation sont apparues ou ont pris de l’ampleur :

  • envoi par mail de l’ordre du jour du conseil aux journalistes et citoyen·nes intéressé·es (pendant longtemps, on découvrait l’ordre du jour et les projets de résolutions en arrivant dans la salle au conseil même)
  • publication de cet ordre du jour sur le site internet de la commune ;
  • rédaction et publication sur le même site d’un procès-verbal décisionnel (contrairement aux compte-rendus de Démocratie schaerbeekoise, ce procès-verbal ne donne cependant aucun écho des discussions qui précèdent les votes);
  • enregistrement des séances avec suivi possible en direct sur YouTube.Sur le plan politique et de saine gestion, nous mettrons en avant l’attention plus grande portée aux ASBL paracommunales.

L’amélioration la plus importante est toutefois, sans conteste, la possibilité offerte aux citoyen·nes d’interpeller le conseil. Lorsque cette faculté a été introduite, un minimum de 100 citoyen·nes majeur·es habitant la commune était requis pour souscrire à la demande d’interpellation ; désormais, vingt citoyen·nes portant la demande sont suffisant·es. À la réponse du collège, s’est ajoutée progressivement l’autorisation aux différents groupes politiques qui composent le conseil, de réagir brièvement (en une minute trente !) à cette interpellation.

Le collège (le plus souvent le bourgmestre) clôture le sujet. Une certaine frustration subsiste, il faut le signaler, de la part des personnes interpellatrices qui souhaiteraient « avoir le dernier mot » et pouvoir réagir à ce que l’autorité leur assène. On aperçoit ici l’espace disponible pour une vigilance citoyenne : face à un pouvoir communal qui ronronne, cette possibilité d’interpellation est un outil précieux, et le travail de suivi laisse un beau champ d’intervention aux citoyen·nes, particulièrement sur des sujets de fond (comme la politique du logement par exemple).

Loin de nous la prétention de nous arroger le mérite de ces avancées démocratiques. Leur instauration progressive, précédée et accompagnée par un mouvement citoyen local, éclaire toutefois le rôle moteur, ou à tout le moins annonceur et précurseur de transformations, que peuvent avoir les initiatives citoyennes. Il est particulièrement encourageant et réjouissant aussi de réaliser l’effet multiplicateur de telles initiatives qui, portées par quelques personnes motivées, peuvent obtenir des effets bénéfiques et pérennes pour toute une communauté.

Un paradoxe et une déception

Nous finirons par deux observations. Tout d’abord le paradoxe éprouvé par les rapporteurs de Démocratie schaerbeekoise eux-mêmes : quel soulagement lorsque vous êtes libéré à 21h d’une séance entamée peu après 18h30 qui n’a connu aucune interpellation citoyenne, sans ordre du jour substantiel, sans point politiquement sensible, sans débats de fond, sans questions des conseillers d’opposition ! Mais la démocratie ne sort pas grandie de telles séances. La vigilance citoyenne est exigeante – et la présence à ces séances du conseil communal permet de réaliser combien un mandat de conseiller requiert de travail et d’implication si on veut l’exercer sérieusement.

Ensuite, la communication : de la même façon que la politique-spectacle a plus d’éclat et de retentissement que le travail de fond de saine administration d’une collectivité territoriale, Démocratie schaerbeekoise s’est heurtée au manque d’attrait de ses rapports ardus et fort longs (son journal n’a jamais connu une diffusion grand public), et n’a pas entretenu longtemps un compte Facebook, qui nécessite par nature des nouvelles courtes, fréquentes et sensationnelles : tenter l’exercice de résumer cinq heures de conseil communal en deux phrases nous amenait fatalement à valoriser les coups de gueule spectaculaires ou la nouvelle anecdotique – procédé à l’opposé de notre goût du politique.