Retour aux articles →

CPAS : l’inflation ?

La municipalisation de la protection sociale aurait dû aller de pair avec le transfert des moyens correspondants en provenance du fédéral… Mais ces moyens furent insuffisants… alors que le nombre de bénéficiaires explosait.

Depuis 2004, la panoplie des sanctions contre les chômeurs n’a cessé de s’élargir et le nombre de victimes de chacune d’entre elles n’a fait qu’augmenter. Sans remise en cause réelle du politique qui continue, y compris à travers les majorités diverses composant aujourd’hui les différents exécutifs, à clamer que « le fer de lance des politiques de l’emploi est l’activation ». Dans ce concert unanime, le seul acteur politique à faire entendre une voix quelque peu discordante, ce sont les CPAS. Souvent sur le ton de la plainte, les CPAS ont maintes fois fait savoir qu’ils trouvaient que le fédéral leur refilait trop aisément ceux dont il ne voulait plus (voir ci-dessous) sans les moyens d’y faire face. Ce qui fait dire aux associations de terrain que ce que les CPAS demandent, c’est moins la fin des exclusions que des moyens supplémentaires pour les accueillir. Ceci dit, l’enjeu financier est essentiel. En effet, transférer la protection sociale du fédéral vers les CPAS, si les flux financiers ne suivaient pas, cela reviendrait à prétendre la maintenir au niveau fédéral alors même qu’on la municipaliserait, même sans la régionaliser franchement. Maggie De Block dans le gouvernement précédent, Willy Borsus dans l’actuel, ont chaque fois assuré que les CPAS recevraient des compensations… que les CPAS s’empressent d’accueillir tout en répétant qu’elles sont insuffisantes. Car le danger serait de ne tenir compte que des revenus délivrés par les CPAS, ce qu’on appelle le Revenu d’intégration sociale (l’ancien minimex). En effet, les CPAS sont amenés à accorder toutes sortes d’aides complémentaires qui ne sont pas compensées à ce stade et qui touchent au premier chef les chômeurs sanctionnés, exclus ou même simplement appauvris par la dégressivité. C’est d’autant plus criant quand on observe le cas de la mesure de fin de droit des allocataires d’insertion (voir ci-dessous).

Une hausse constante… qui s’intensifie

Le nombre de bénéficiaires du droit à l’intégration sociale (DIS)[1.Le DIS s’exerce soit par le revenu d’intégration, soit par la mise au travail sous contrat article 60] a fortement augmenté depuis 2004, c’est-à-dire depuis le début des mesures de sanctions massives contre les chômeurs. Ces hausses sont encore renforcées par des événements conjoncturels comme la crise de 2008. Ainsi, alors que la croissance du nombre mensuel moyen de bénéficiaires se situait entre 1,7% et 3,5% de 2004 à 2008, elle a atteint 9,1% en 2009. Bien qu’ayant ralenti par rapport à 2009, la croissance en 2010, avec un taux de 4,9%, est restée supérieure aux taux observés avant la crise financière et économique de la fin 2008. On observe ensuite une diminution en 2011 suivie d’une légère reprise en 2012. Depuis 2013, la tendance est à nouveau orientée clairement à la hausse : le nombre de bénéficiaires a crû de 3,4% en 2013 et de 4% en 2014 pour atteindre 113 274 bénéficiaires en moyenne par mois. L’année 2014 a connu un taux de croissance supérieur à ceux précédant la crise économique et financière de 2008. Au cours des quatre premiers mois de 2015, depuis donc les premières fins de droit en allocation d’insertion, le nombre de bénéficiaires du DIS a explosé avec un taux de croissance moyen de 9,8%. C’est le taux le plus élevé jamais observé depuis 2003. L’augmentation se manifeste dans toutes les régions (Flandre +8,5%, Bruxelles +6,6%, Wallonie +13,13%), tout en étant plus tangible dans les petites communes (+12,5%) que dans les cinq grandes villes du pays (+9,3%). Le groupe des personnes ayant charge de famille, avec une hausse de 16,2%, a connu la plus forte augmentation. Il comprend en majorité (80,1%) des femmes isolées ayant un ou plusieurs enfants à charge. Ce n’est pas une surprise puisque le profil des allocataires d’insertion était exactement le même.

Les jeunes toujours plus nombreux

Les jeunes âgés de 18 à 24 ans occupent toujours la première place du tableau, avec une part de 31,9% des bénéficiaires du revenu d’intégration alors que cette tranche d’âge représente seulement 10,7% de la population belge. Ici, davantage que la limitation à trois ans, ce sont les mesures visant spécifiquement les jeunes qui expliquent leur part prépondérante : allongement de la durée du stage d’insertion, sanctions durant le stage qui retardent l’ouverture du droit, non-accès pour les personnes ayant atteint 25 ans ou davantage en fin de stage…

Pas encore les réfugiés

Les réfugiés qui ont été reconnus ces derniers mois ou qui ont reçu le statut de protection subsidiaire ne sont pas encore visibles dans les statistiques. Celles-ci ne sont stables qu’après six mois parce qu’il s’agit de demandes de remboursement (de l’équivalent) du revenu d’intégration, qui ne peuvent être introduites qu’après leur octroi. L’impact du nombre de réfugiés reconnus et de bénéficiaires de la protection subsidiaire sera observable dès le prochain trimestre. À noter que, pendant les cinq premières années, l’aide est remboursée intégralement par le fédéral. Ce qui n’empêche qu’un plan de répartition s’impose plus que jamais, sans quoi les CPAS les plus sollicités auront davantage encore de soucis…

De l’assurance à l’assistance

En 10 ans de chasse aux chômeurs, les CPAS ont vu leurs bénéficiaires augmenter de 50%. Cela leur pose des difficultés financières et organisationnelles, mais cela les oblige aussi à consacrer leurs forces à davantage de demandeurs, avec tous les risques que cela comporte pour la qualité du travail effectué. Pour les personnes concernées, le passage d’un système assurantiel à un système assistantiel les fragilise, tant en termes de conditions d’octroi et de prise en compte des ressources (de l’intéressé ou de ses débiteurs d’aliments) qu’en ce qui concerne le maintien de l’allocation. La logique émancipatrice de notre système de protection sociale est mise à mal, par le renvoi d’un nombre croissant de personnes vers des systèmes de survie, qu’ils soient délinquants ou fassent appel à des solidarités amicales ou familiales. La cohésion sociale, enfin, est particulièrement menacée par cette logique de l’exclusion. Il est urgent de retisser les filets de la sécurité sociale pour qu’ils servent de socle à une société de partage de l’emploi[2.Tous les chiffres sont issus du Bulletin numéro 12 – septembre 2015 – du SPP Intégration sociale. Les fédérations de CPAS – wallonne et bruxelloise – ont également publié des chiffres détaillés consultables sur leur site.].


Les huit mesures de transfert de l’Onem vers les CPAS

Public qui vient demander l’aide des CPAS suite : • au plan d’activation des chômeurs (élargi aux plus de 50 ans) • aux sanctions provisoires • aux exclusions définitives • à la dégressivité des allocations de chômage • à la fin de droit aux allocations d’insertion (limitation à trois ans) Mesures qui ont un effet de prolongation de l’aide des CPAS : • Prolongation de trois mois du stage d’insertion • Évaluations pendant le stage d’insertion, chaque évaluation négative prolongeant le stage de six mois Mesures mixtes : • Modification des conditions d’accès aux allocations d’insertion : moins de 25 ans en fin de stage et conditions minimales de diplôme pour les moins de 21 ans


Débrouille

Le gouvernement Di Rupo a limité à trois ans le bénéfice des allocations d’insertion (chômage sur la base des études). Cette mesure a pris sa pleine mesure à partir de janvier 2015, date à laquelle des milliers de personnes sont arrivées en fin de droit. Pour les personnes ayant droit au CPAS, le changement a parfois été indolore : il y a 60 centimes de différence entre le revenu d’intégration (RI) au taux isolé et l’allocation d’insertion correspondante. Cependant, les règles d’octroi étant fort différentes, il était à craindre que beaucoup d’exclus ne se voient pas reconnaître le droit au RI. À ce stade, les chiffres indiquent que seuls 35% des fins de droit ont effectivement obtenu cette aide de dernier recours. La majorité dans la nature a soit basculé dans un système de débrouille, soit, pour la plupart sans doute, dû faire appel à la solidarité familiale.


ALTER SOCIAL CLUB est une rubrique réalisée une fois sur deux avec le concours de la revue Ensemble et du collectif Solidarité contre l’exclusion. www.asbl-csce.be