Retour aux articles →

Crèche de Noël et paniques morales : adopter les gestes barrière

Crèche de Noël, wokisme, EVRAS, assistés, islam à l’école, pâtes carbo… Face aux contre-feux de la droite, comment ne pas jouer leur jeu et reprendre l’initiative ?   

Une panique morale, c’est le moment où des entrepreneurs politiques ou médiatiques transforment un objet culturel mineur en menace existentielle. Menace pour l’identité nationale, pour les enfants, pour les traditions, pour le groupe. Une divergence esthétique devient un combat moral total. Ces paniques charrient très souvent des relents racistes, sexistes, climatosceptiques ou même antisyndicaux. 

À quoi ça sert ?

Pour la droite populiste, l’usage peut être triple. Premièrement, c’est un contre-feu : quand l’actualité devient brûlante sur un sujet qui les abîme (budget, réformes antisociales etc.), on allume une polémique plus simple et plus émotionnelle. Cela sert aussi de diversion plus structurelle  : occuper, toute l’année, l’espace avec des symboles pour en laisser moins à des débats dangereux pour eux. Deuxièmement, comme l’a étudié le journaliste Thomas Franck, les paniques morales permettent à la droite de connecter affectivement avec des publics populaires quand le programme socio-économique rend difficile cette connexion. Troisièmement, c’est une arme pour décrédibiliser les luttes sociales, antiracistes, féministes ou LGBTQIA+. Pour l’extrême droite, c’est plus qu’une diversion systématique. 

La panique morale sert le récit central selon lequel notre identité « homogène » serait diluée et menacée par des éléments extérieurs au groupe, qui voudraient « nous remplacer ».

La panique morale sert le récit central selon lequel notre identité « homogène » serait diluée et menacée par des éléments extérieurs au groupe, qui voudraient « nous remplacer ». Il s’agit donc parfois d’une technique politique, mais cela alimente inévitablement un fond dans lequel certains croient vraiment et influence nos cadres de pensée durablement. La panique morale reste donc dangereuse. 

Pourquoi ça fonctionne ?

La panique morale fonctionne car elle se branche sur des vécus très affectifs. Beaucoup de gens ont le sentiment de ne pas contrôler grand-chose dans leur vie. Si on leur dit qu’on touche à leurs repères symboliques, la réaction de repli est immédiate. Et ces polémiques sont simples : pas besoin d’expertise, tout le monde peut avoir un avis tranché sur la question. 

Ce qu’il faut éviter 

Dénoncer immédiatement dans leur cadre  

Avant tout, il est important de comprendre qu’en récupérant leurs visuels, leurs éléments de langages, dans leur timing pour dénoncer, s’indigner ou exprimer un désaccord, c’est exactement ce qui est attendu par ceux qui lancent la polémique. Les progressistes amplifient la polémique en lui donnant écho, renforcent son cadrage et empêchent d’autres sujets d’apparaître. Si le cadrage moral est « Noël : le wokisme abîme nos traditions ». Vous avez beau debunker pour expliquer que ce n’est pas vrai, ce qui sera retenu c’est « la perte des traditions ». Notre cerveau retient très mal la négation. Il faut donc éviter le plus possible de dire « ce qui n’est pas » et lui préférer  « ce qui est », ou alors ne rien dire.  Autre geste important : il ne faut par ailleurs jamais partager leurs visuels ou les coupures de presse qui reprennent leur cadrage, dans le moment aigu de la polémique. Ne jamais participer à la propagation.

Il importe de  distinguer ceux qui fabriquent la polémique de ceux qui mordent à l’hameçon.

Le mépris de classe

Ensuite, il importe de  distinguer ceux qui fabriquent la polémique de ceux qui mordent à l’hameçon, et ne pas leur répondre de la même façon. La panique morale prospère sur le sentiment d’être rabaissé ou tourné en ridicule. Or, les entrepreneurs de la panique morale guettent la réaction moqueuse de progressistes mieux armés culturellement, puis s’en servent comme preuve que « ces élites méprisent le peuple ». En réagissant au quart de tour, on éloigne un peu plus des gens qui, au départ, n’étaient pas nécessairement nos adversaires.

Des réactions progressistes sont possibles

Option 1 : Ne pas réagir (dans l’instant)

Ne pas réagir (dans l’instant) semble être le premier bon réflexe à adopter. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, dans plein de contextes, cette réaction reste très efficace. Les polémiques ne vivent jamais très longtemps médiatiquement. Gagne une bataille de communication, le camp qui fait parler de son sujet, avec le bon cadrage, et non celui qui prouve qu’il a raison. Il faut donc apprendre à trier les polémiques utiles pour nos combats et celles qui nous piègent. Tout ne doit pas se prêter à débat ici et maintenant. Pensez à tous les débats auxquels la droite ne réagit jamais. 

Option 2 : Réagir maintenant, mais en déplaçant le débat

Quand la polémique a de faibles conséquences immédiates mais est virale, déplacer vers les conditions matérielles, ce n’est pas argumenter à leur polémique, c’est remettre l’attention là où se jouent les conditions de vie des gens et valoriser ce que nous voulons. Pour une polémique sur la crèche de Noël, par exemple « Nous ce qu’on veut ce sont des crèches pour tout le monde, alors que le gouvernement les sous-finance » (cfr. la réaction de la Ligue des Familles), ou « ce qu’on veut c’est pouvoir faire des cadeaux à nos proches malgré les mesures de l’Arizona ». Sur le « wokisme », déplacer le débat consiste à rappeler que ce qu’on défend n’est pas une querelle de symboles, mais que chacun soit traité à égalité dans l’accès à l’emploi, au logement et aux droits, quelle que soit son origine ou son identité.

Quand on veut s’adresser directement au public inquiété par la panique morale, faire glisser la valeur de notre côté est plus judicieux : on n’attaque pas les valeurs de la tradition, on les réencadre de manière progressiste. Technique qui marche bien sur le terrain, en dehors des zones médiatiques. Exemple : « Noël c’est le soin, l’accueil, la dignité. Voilà pourquoi ça nous rapproche. Si on veut vraiment défendre Noël, alors on défend aussi ce qui permet à tout le monde d’en profiter, avec ses proches ». Et de là, on peut embrayer sur d’autres sujets : le nombre de familles expulsées de leur logement, la suppression du plan grand froid… ou d’autres mesures de l’Arizona. 

Quand on a un enjeu chaud à protéger (réforme, budget…) dénoncer la diversion (ou la division) est toujours plus efficace : on nomme la manœuvre, on révèle l’intention de manipulation ou de division, on remet sur la table les sujets que la polémique cherche à masquer, et on insiste sur l’importance de rester unis : « pendant qu’on se divise sur un symbole, ils continuent d’avancer sur leur projet injuste, soyons plus malins et restons unis” ».

Quand la panique morale vise un droit ou une politique publique réelle, et qu’elle commence à produire des effets concrets sur ce droit ou l’intégrité de certaines personnes, on ne peut pas se contenter de dénoncer la manipulation.

Répondre sur le fond peut être envisagé, mais dans certains cas seulement. Quand la panique morale vise un droit ou une politique publique réelle, et qu’elle commence à produire des effets concrets sur ce droit ou l’intégrité de certaines personnes, on ne peut pas se contenter de dénoncer la manipulation. Les manifs anti-EVRAS en sont un bon exemple. Mais répondre sur le fond ne veut pas dire répondre dans leur cadre. On continue de refuser leurs mots, on part d’une valeur largement partagée (« la protection des enfants ») et on ramène tout de suite au réel : «l’EVRAS, c’est de la prévention contre les violences et les abus sexuels que subissent les enfants : s’y opposer, c’est fragiliser la protection des enfants  ».

 Option 3 : Réagir, mais dans un timing que nous maîtrisons

Les traditions sont des lieux d’attachement populaire. Le réflexe progressiste n’est pas de les mépriser, mais de les élargir.

Ne pas répondre à chaud ne veut pas dire abandonner le terrain symbolique. Les traditions sont des lieux d’attachement populaire. Le réflexe progressiste n’est pas de les mépriser, mais de les élargir. Cette évolution des traditions se fait mais dans des contextes qui s’y prêtent. Beaucoup de personnes y travaillent quotidiennement. 

L’autre réaction possible dans un timing qui nous est propre c’est : inoculer, faire de la prévention. C’est-à-dire expliquer en amont comment ces polémiques se fabriquent, donner des exemples, proposer le contre-réflexe. Comme un vaccin. Quand la prochaine panique arrive, les gens la reconnaissent et elle prend moins. Ça veut dire qu’on peut collecter patiemment toute une série de preuves, d’éléments, sans réagir immédiatement. Puis sortir un jour avec un récit solide sur la manipulation.