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Débat à Liège. Gouverner à gauche dans une région passée à droite ?

Illustrations : © Simpacid
Illustrations : © Simpacid

À l’occasion des communales en Wallonie, nous avons réuni les candidats aux élections liégeoises du PS, PTB et Vert Ardent, pour discuter des moyens à mettre en œuvre pour gouverner une commune de gauche dans une région récemment passée à droite.

On peut le dire, les élections du 9 juin 2024 sont un bouleversement pour la Wallonie, avec la victoire du MR et la formation d’un gouvernement régional MR-Les Engagés. Avant d’aborder les diverses thématiques, nous voudrions d’abord savoir, comment avez-vous pris la nouvelle?

(Illustration : Simpacid)

Willy DEMEYER, tête de liste PS à Liège

C’est une mauvaise nouvelle ! Les relations entre la Région wallonne et les villes et communes sont continues. Nous interagissons dans de nombreux domaines : la mobilité, le logement, la tutelle des communes, l’environnement… Selon la qualité des relations, cela peut avoir des conséquences positives comme négatives. Nous venons d’en avoir un exemple avec la non-extension du tram à Liège. Je suis donc effrayé pour l’avenir.

(Illustration : Simpacid)

Caroline SAAL, tête de liste Vert Ardent à Liège

Vous citez, Willy Demeyer, les extensions du tram. J’ajouterais que nous avons également des inquiétudes concernant d’autres politiques, mises en place lors de la dernière législature, qui sont particulièrement importantes pour les jeunes, comme la quasi-gratuité des transports en commun ou l’accessibilité des repas dans les cantines. La question que je me pose est donc la suivante : est-ce que Liège, comme d’autres villes, peut rester un bastion de générosité et d’entraide?

(Illustration : Simpacid)

Mehdi SALHI, 4e de liste PTB à Liège

Je vous rejoins tous les deux. Cela a été frappant de voir le gouvernement régional avoir directement pour objectif de défaire des acquis sociaux. C’est ce qui m’interpelle le plus. Dans les points qui n’ont pas encore été mentionnés, il y a aussi la question de l’associatif et des subsides. Sans oublier le langage, qui décomplexe une parole parfois sexiste ou raciste. Cela sera aussi un enjeu local : être en mesure de rentrer en résistance face à un gouvernement wallon qui s’annonce… plus que problématique.

Deuxième question : la convergence.

La revue Politique s’est fondée avec la volonté de faire dialoguer les progressistes. Aux élections de 2018, le Parti socialiste restait premier à Liège avec 30%. il s’est allié alors avec le MR (18% des voix). Les autres partis se suivaient : PTB (16%), Écolo (14%). La majorité communale liégeoise PS-MR faisait alors miroir avec le gouvernement régional wallon PS-MR-Écolo. Est-ce que l’expulsion des socialistes hors du gouvernement wallon pourrait impliquer un changement dans la commune, avec peut-être une grande alliance PS-Vert ardent-PTB?

Willy DEMEYER :

Premièrement, à l’époque, la coalition PS-MR était la seule bipartite qui tenait la route en termes de siège. Je crois donc qu’il faudra observer le rapport de force. Deuxièmement, il faut des programmes compatibles. Troisièmement, il faut du plaisir dans le travail. Vous avez parlé de la région, mais c’est en fait l’ensemble du paysage institutionnel qu’il faut regarder. Le fédéral est important. Les matières régaliennes sont des matières proches du Bourgmestre. Il y a effectivement des convergences sur le constat et la volonté générale autour de cette table.

Si nous avons effectivement une belle alliance progressiste, mais des finances à zéro, ce sera problématique.

Cependant, il faut être clair, Liège a connu, au début des années 1980, un collège unissant le Rassemblement des progressistes et socialistes wallons (RPSW) et Écolo, sous un gouvernement Martens-Gol et une région de même sensibilité. Ce furent les années les plus difficiles, des années noires, parce qu’il n’y avait pas de relais politique. D’un autre côté, il faut aussi dire que les pratiques, la manière dont le président du MR gère les dossiers, s’exprime, me semble problématique, notamment vis-à-vis des villes.

Le Parti socialiste à Liège est, comme moi, inquiet pour l’avenir. Au-delà des clivages partisans, c’est l’avenir de la ville, le futur de ses habitants et des jeunes, comme vous l’expliquez, Caroline Saal. Donc si nous avons effectivement une belle alliance progressiste, mais des finances à zéro, ce sera problématique. Nous devons donc trou ver la manière de faire. Mais sur les valeurs, il faut être ferme.

Mehdi SALHI :

La question des valeurs compte, mais la gauche doit aussi se mettre d’accord sur son programme. Adopterons-nous une logique de ville en résistance face aux gouvernements régional et fédéral, ou bien d’acceptation? Il y a beaucoup de défaitisme aujourd’hui. On parle souvent de ce qu’on doit sauver, pas de ce qu’on doit gagner. Le socialisme, c’est aussi ça, l’espoir, l’avenir. À des échelles locales, on peut justement inspirer cela : en termes de convergence progressiste, tout est sur la table.

Mais sur quel programme se mettre d’accord, qui va défendre l’intérêt des travailleurs et des travailleuses, des jeunes, des personnes d’origine immigrée, des femmes? Si nous nous trouvons avec un gouvernement fédéral dont le Premier ministre est Bart De Wever, on va devoir se poser la question : accepte-t-on un tel relais? Allons-nous appliquer une austérité ultra sévère ? Je ne suis pas naïf, mais je pense qu’on doit avoir un programme de combat, savoir ce qu’on veut gagner concrètement. J’aimerais plus de débats à gauche sur ces questions.

Caroline SAAL :

Je partage ce constat du défaitisme. Le débat médiatique penche à droite et nous en serions prisonniers. Réenchanter la vie politique, c’est oser faire des coalitions populaires, rassembleuses et courageuses. Liège, en fait, est une ville de gauche. La solidarité et la générosité n’y sont pas de vains mots. Tous les Liégeois qui ont exprimé un vote de gauche, et qui sont majoritaires aujourd’hui, attendent qu’on leur dise : «nous sommes prêt·es à défendre cette ville que nous aimons tant».

Concernant l’épée de Damoclès des relais aux gouvernements, je rajouterais que, lorsqu’il faut prendre des décisions difficiles, comme décider d’un plan de gestion, selon que les interlocuteurs considèrent les services publics comme importants ou non, les plans seront différents. Et donc, l’union de la gauche, avec un programme qui nous rassemble, c’est crucial.

Liège symbolise bien les défis d’une grande ville, d’une métropole. La mobilité est notamment un enjeu structurel pour trouver un emploi, se déplacer, désengorger le centre. La décision de non-extension du tram a suscité de vives réactions. Que peut une majorité communale face à cette décision?

Caroline SAAL :

C’est le gouvernement wallon qui a le dossier dans les mains. Nous devons donc mettre la pression d’un point de vue communal et être aux côtés des personnes qui vont être directement impactées. Voir ensemble comment on peut être fort, pour faire triompher une mobilité moderne et durable. Il faut rappeler au gouvernement que compliquer la vie des gens, c’est un très mauvais signal.

Aujourd’hui, nous poussons les entreprises à avoir des plans de mobilité plus durables pour leurs employés. Elles ont envie de pouvoir être desservies facilement. Et ce gouvernement fait un choix anti-qualité de vie, mais aussi anti-économie. Car c’est aussi la question du tissu économique qui se développe en fonction des opportunités de mobilité.

Mehdi SALHI :

Je suis content d’entendre l’idée de rapport de force dans votre discours, Caroline Saal. Willy Demeyer en parlait aussi récemment au conseil communal. Le tram est un beau projet, c’est clair. Nous pensons que les Liégeois, les Herstaliens et les Sérésiens méritent cette extension. Nous avons une alliance de trois villes. Et comme démarche de gauche populaire, de rapport de force, avec différents partis politiques, je pense que cela peut être très positif.

Je vous rejoins aussi, Caroline Saal, pour dire que c’est important pour les travailleurs et les travailleuses de se déplacer en tram. À côté de cela, l’offre de bus est problématique pour la ville de Liège et les quartiers un peu moins desservis. Nous pourrions aussi nous inspirer de Dunkerke et de Montpellier en mettant en œuvre la gratuité. Cela donnerait un signal fort que la mobilité doit être accessible à toutes et à tous, en se battant au niveau de la Région wallonne pour que le tram soit gratuit. C’est quelque chose que nous défendons très fort avec le PTB.

Willy DEMEYER :

Je rejoins ce qui a été dit par Caroline Saal et Mehdi Salhi. Si cette première ligne a été pensée d’Herstal à Seraing, ce n’est pas parce que ce sont trois villes de gauche, mais parce qu’elles forment le noyau central d’une métropole de 450000 habitants qui vivent en «conurbanité»! Et si nous étions Français ou Allemands, cela ne poserait aucun problème. L’histoire serait réglée depuis longtemps! Ils ont une approche du phénomène métropolitain que la Région wallonne n’a pas. Sa tendance naturelle est de méconnaître le phénomène métropolitain.

Ça m’inquiète, car la région ne pourra se redéployer sans ses métropoles. Ce sont le cœur, le poumon. C’est là que l’on trouve les emplois, même si une majorité d’employés, de travailleuses et de travailleurs habitent dans la périphérie et ont besoin de venir aussi avec des transports en commun – plutôt que d’être dans les embouteillages matin et soir… C’est ce qui nous rassemble autour de cette table : nous avons la même approche de ces phénomènes métropolitains, et la même approche de la ville avec sa diversité. Nous avons des nuances, mais enfin, nous avons certainement une culture urbaine et métropolitaine.

Ce n’est pas le cas au gouvernement ?

Willy DEMEYER :

D’autres partis politiques font davantage preuve d’une «sensibilité périurbaine ». D’ailleurs, dans ce gouvernement dont nous parlons, il n’y a pas de ministre de la ville… Cette mention a été omise. Je pense que ce n’est pas une erreur. Je crois plutôt que c’est un jugement de valeur, à l’heure où, en revanche, il y a un ministre de la ruralité. Et c’est le ministre de la ruralité, je pense, qui a supprimé le tram… J’aimerais donc voir le dossier. Je voudrais bien connaître les tenants et les aboutissants qui ont mené à cette décision.

Caroline SAAL :

Ce qu’on voit aussi dans la fin des extensions c’est la volonté d’opposer les gens les uns aux autres. De caricaturer le fait que les urbains font des petits déplacements, contrairement aux ruraux, qui en feraient de plus grands. Or, la mobilité, aujourd’hui, c’est une diversité de réponses pour une diversité de situations. Et donc oui, un tram dans un centre urbain est nécessaire. Toute personne qui a déjà été bloquée dans des bouchons le sait.

C’est à la fois important pour la rapidité de déplace ment, mais aussi pour l’air que respirent tous les gamins liégeois de l’arrondissement, qui n’ont pas choisi de naître en ville et qui n’ont pas choisi d’avoir plus de problèmes d’asthme que d’autres enfants.

Mehdi SALHI :

Je suis d’accord, Caroline Saal, c’est vraiment important d’avoir une approche plurimodale. Mais je pense aussi qu’on doit travailler sur la question du projet général. Est-ce juste une question de rentabilité des lignes, ou bien avance-t-on vers la gratuité, pour mettre en avant un autre projet de société ?

Point suivant : la pauvreté. Le sujet préoccupe de nombreux élus, avec la chasse aux chômeurs qui va vraisemblablement s’accroître dans les nouveaux gouvernements wallon et fédéral. Les effets s’en ressentiront au sein des CPAS, en partie financés par les communes, et qui accueilleront les personnes poussées vers la précarité et n’ayant plus le droit au chômage. Que faire face à cette situation?

Willy DEMEYER :

La question que vous posez, c’est d’abord celle de la régionalisation. Lorsqu’on passe du fédéral aux communes (NDLR : par le transfert d’un revenu de remplacement fédéral, le chômage, à une aide octroyée au niveau communal, par le CPAS) on se trouve forcément dans une régionalisation qui ne dit pas son nom. C’est une manière d’aller dans le sens des nationalistes. Deuxièmement, il est clair que cela touche les villes, puisque nous avons un certain taux de chômage – tout amène en effet les personnes qui ont des conditions et des revenus plus modestes, à se loger en ville, désertée par celles et ceux qui se dirigent vers l’extérieur et occupent en même temps des emplois plus qualifiés; c’est donc un cercle vicieux. Et le gouvernement régional et fédéral ne nous annoncent pas des politiques de suivi pour ces travailleuses et travailleurs.

Ce qu’on nous annonce, c’est seulement une pression sur le marché du travail, pour amener les gens à accepter tout et n’importe quoi, comme emploi et comme condition de travail. Il faudra donc nous en occuper nous-mêmes, de façon locale. Mettre en place des formules de formation, de mise à l’emploi, etcétéra, pour nos habitantes et nos habitants. On le fait déjà avec le CPAS, mais nous serons obligés d’intensifier ces politiques.

Caroline SAAL :

Ce que j’aimerais rappeler sur ce point, c’est que la solidarité est rentable également pour les finances publiques. Il a été démontré par exemple que reloger les personnes sans abris coûte moins cher que de multiplier les «rustines». La question est de trouver ce bon équilibre entre les aides urgentes, dont on a besoin aujourd’hui, et les politiques durables, qui sont vertueuses pour les finances publiques. C’est du gagnant-gagnant pour les personnes en précarité et les responsables publics ainsi que pour l’État.

Par ailleurs, nous avons besoin d’un débat, au niveau fédéral, pour créer une nouvelle catégorie dans la Sécurité sociale pour les personnes sinistrées. À Liège, énormément de personnes ont été précarisées parce qu’elles ont subi les inondations en 2021. Enfin, quand j’entends Maxime Prévot critiquer celles et ceux qui accompagnent les travailleurs et travailleuses en recherche d’emploi. Je pense qu’il est en train de démonétiser toute une série d’acteurs, les centres d’insertion socioprofessionnelle qui font du travail sur mesure et qui font de l’accompagnement de qualité.

Mehdi SALHI :

Mais le débat, c’est aussi de savoir quelle perspective ou quelle alternative on a. Une chose intéressante, par exemple, est le logement modulaire. Nous devons refaire du logement public. Dans tous les projets, on veut 30% de logements publics. Votre promesse, Willy Demeyer, était d’élever à 10 ou 15% le taux de logements publics. Dans les faits, nous sommes aujourd’hui à 6%. C’est quelque chose qui n’est pas normal selon nous. Il faut envoyer un message clair aux multinationales immobilières : on ne veut pas des logements de standing et de luxe. On veut des logements abordables, avec une partie de ces logements qui soient publics.

Cela passe aussi par le modèle de ville qu’on veut avoir. Les habitants et habitantes payent aujourd’hui trop de taxes, notamment la taxe poubelle, qui n’a fait qu’augmenter. Alors qu’il existe la taxe sur la force motrice, comme à Oupeye, qui ramène beaucoup plus de sous. On l’avait proposé au Conseil communal, malheureusement sans être suivis. Je pense aussi à une taxe sur les grandes surfaces commerciales. Il y a donc des solutions, comme à Zelzate, où le PTB se trouve en coalition avec Vooruit.

Chacune de ces thématiques mériterait un numéro complet! Pourrait-on synthétiser cet entretien-débat en disant que ce sont des années de luttes qui s’annoncent face aux nouveaux gouvernements ?

Willy DEMEYER :

La vie est une lutte. Une lutte permanente dans tous les dossiers à défendre. C’est comme ça qu’on vit. Mais nous sommes dans un cas de figure inédit. C’est local, mais le débat est mondial. Les thèses que certains nous servent sont celles de Trump et Meloni. Si nous parlons de l’occurrence locale, qui est celle de Liège, chère à nos cœurs, il va donc falloir inventer quelque chose. Je constate en tout cas que nous avons pu aujourd’hui discuter d’un certain nombre de convergences sociales. Ça n’arrive pas si souvent. Et c’est important.

Mehdi SALHI :

Pour ma part, je dirais que nous sommes dans le système capitaliste, donc la lutte est là : la lutte des classes et toutes les luttes. Il y a quelque chose à jouer dans les collectivités, au niveau local, pour résister face à des politiques régionales et fédérales. Je pense que cela se trouvera aussi dans la convergence. Nous pensons souvent de convergence au niveau électoral, mais il faudra aussi des discussions profondes sur la société qu’on veut défendre. Je salue aussi le fait que l’on puisse s’asseoir ensemble et discuter. C’est important de maintenir ce cap avec respect, et dignité.

Caroline SAAL :

Dans un contexte comme celui-ci, c’est justement le moment de montrer que nous sommes prêts à voir du courage, porter des coalitions rassembleuses et populaires.

Il ne fait pas être prisonnier de ce qui s’est produit le 9 juin 2024 aux élections.

 Il y a toute une série d’initiatives, des écoles qui ont des projets de transition, des comités de quartier, avec des projets de solidarité et d’interculturalité. Notre rôle, c’est d’être à leurs côtés. J’aime beaucoup celui qui est pour moi un grand penseur politique, mais qu’on ne cite pas assez, Johnny Hallyday : donner l’envie d’avoir envie. C’est le défi de la gauche!

Propos recueillis par Martin Georges.