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Dernier inventaire avant élections

 

Rarement une élection n’aura paru aussi clivée et ce constat est la conséquence logique d’une campagne elle-même particulièrement clivante. Cette situation est d’autant plus surprenante que la campagne électorale a débuté en mode mezzo-voce. Elle se termine avec des candidats et des partis pour la plupart sur les rotules et sonnés par la violence des échanges.

On peut s’en réjouir dans une certaine mesure. Le consensus mou qui semble souvent présider dans la politique belge a fait la place à un véritable clivage entre les droites et les gauches. Au-delà des outrances et des diatribes, venues souvent d’un MR aux abois et, de manière plus surprenante et plus récente, d’un CDH en crise existentielle, ce clivage a permis de clarifier les positions et de créer des véritables lignes de partage. Reste bien entendu à l’arithmétique électorale à permettre à ces lignes de partage de tracer les futures coalitions, ce qui est loin d’être évident dans un système proportionnel mais surtout en raison de l’imbrication de trois élections aux dynamiques parfois divergentes.

Pour la gauche, l’enjeu est double : mettre à l’agenda des gouvernements les enjeux de justice climatique, migratoire et sociale et réparer les dégâts considérables commis par la Suédoise lors de la législature écoulée. L’équation est à la fois simple et complexe. Simple parce que les sondages en Wallonie et à Bruxelles, dans la dynamique de élections communales et provinciales, promettent aux trois partis de gauche, des résultants flirtant avec la majorité. Complexe car même si cette tendance est confirmée par le résultat de dimanche, cette dynamique se heurte à la dissonance totale entre l’électorat francophone et bruxellois et une Flandre qui s’apprête à voter massivement pour la droite (il n’est pas interdit de penser que le SP-A, Groen et le PVdA ne parviennent pas, à eux-trois, à dépasser le tiers des votes exprimés dans le Nord du pays).

Reste à voir ce que la campagne a « dit » de l’état des partis qui composent la gauche francophone.

Dans la continuité de la vague verte des élections d’octobre et des marches pour le climat, Ecolo semblait promis à une poussée encore plus importante que celles de 1999 et 2009. Une fin de campagne un peu difficile, marquée par le retour des sujets identitaires par la faute d’un tract malvenu, les attaques de plus en plus violentes venues de la droite et l’essoufflement des « marches » font craindre à certains une sorte d’« effet Juppé » qui pourrait atténuer la victoire promise à un parti vert qui est peut-être parti, sans le vouloir, trop tôt et trop haut dans les sondages. L’hypothèse tient la route mais n’intègre pas la grosse part d’incertitude liée au vote de primo-votants qui restent relativement imperméables au prurit observé depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux et dans les débats télévisés. En outre, les enquêtes d’opinion continuent à montrer une tendance lourde : l’enjeu climatique est un des principaux déterminants du vote des électeurs. Et de ce point de vue, même si les autres partis ont accéléré leur aggiornamento climatique, les Verts partent avec plusieurs longueurs d’avance.

Le PS était, lui, promis à une double descente aux enfers. Provoquée d’une part par la litanie des affaires (Publifin et surtout Samusocial où l’argument du « tout le monde a fait pareil » ne pouvait pas être invoqué) et d’autre part par le déclin voire la disparition annoncée de la social-démocratie européenne qui semblait être acquis il y’a encore quelques mois.  S’agissant des affaires, le PS a pu, comme par le passé, se remettre en ordre de bataille en coupant les branches mortes (qui se souvient aujourd’hui de Stéphane Moreau et surtout d’Yvan Mayeur ?). Les dernières semaines auront charrié leur lot de nouveaux problèmes comme la pitoyable affaire Ozkara/Transparencia à Bruxelles ou la villa thaïlandaise d’Alain Mathot, au demeurant déjà écarté des listes, mais ces avatars n’ont pas entravé l’impression d’une bonne campagne électorale, passée pour partie sur le terrain et pour autre partie au balcon du pugilat entre MR, CDH et Ecolo. Les capacités de régénération et de résilience du PS restent intactes et les derniers sondages indiquent qu’il pourrait revenir à des niveaux comparables à ceux de 2014 ce qui, en soi, serait déjà une victoire.  Sa force, le PS la doit aussi à une action commune qui s’est remobilisée au bon moment (sans toutefois insulter l’avenir en évitant de viser Ecolo et le PTB). L’autre dynamique, sans doute plus surprenante, vient du regain de forme inattendu de la social-démocratie européenne. Bien que cet élément joue principalement à la marge, il est clair que le PS peut profiter d’une certaine manière de ce retour en grâce. Donnée pour morte il y’a un an, la social-démocratie européenne opère un retour surprenant. Même si elles sont liées à des contextes nationaux et des stratégies très différentes, les victoires des Sociaux-démocrates en Espagne, en Finlande, en Suède et tout récemment aux Pays-Bas ou encore leur bonne forme au Portugal invalide, le récit de la disparition imminente du centre-gauche européen et donnent un adjuvant à un Parti Socialiste qui n’apparaît plus comme une sorte d’exception dans le marasme.

Le PTB, quant à lui, aura fait du PTB. C’est-à-dire une campagne en léger décalage par rapport aux canaux habituels, décalage compensé par une présence importante sur les réseaux sociaux et dans le labourage minutieux des quartiers et communes où il s’est implanté ou tente de le faire. Après une campagne communale où la question de la participation allait inévitablement se poser, le PTB retrouve dans un scrutin législatif un rôle plus conforme à sa stratégie, celle de s’installer durablement dans le paysage politique en tenter de se constituer progressivement base électorale solide, en misant, comme Ecolo, sur la conversion des primo-votants, pour créer un rapport de force suffisant à une participation gouvernementale. Malgré des différences programmatiques assez ténues, liées autant au recentrage du PTB qu’à la radicalisation des programmes du PS et d’Ecolo, il semble très improbable de voir la gauche radicale monter au pouvoir en ce compris à la Région wallonne où, pourtant, certaines conditions à cette participation semblent réunies, à commencer par l’appel pressant de l’interrégionale wallonne de la FGTB. Il est difficile de mesurer avec exactitude quel alignement de planètes l’état-major du PTB attend pour envisager d’entrer dans une ou plusieurs coalitions mais il semble établi que, cette fois-ci,  même une majorité rouge-rouge-verte en Wallonie où le parti serait indispensable mathématiquement ne sera pas une condition suffisante. Et ce, pour des raisons qui tiennent d’ailleurs autant au PTB qu’à ses partenaires potentiels.

Sous réserve de la confirmation des tendances par les urnes, la gauche s’apprête à flirter, dans l’addition de ses scores, avec des sommets historiques à Bruxelles et en Wallonie. Elle pourrait même se retrouver majoritaire en Wallonie sans l’appoint de la démocratie chrétienne ce qui serait une première dans l’histoire politique récente et permettrait d’éviter aux accords de gouvernement de se diluer dans le centrisme mou. A Bruxelles, les choses apparaissent comme souvent plus complexe mais le prochain exécutif pourra probablement, à l’instar de nombreuses majorités communales, se constituer autour d’un axe progressiste fort.

Une chance et une responsabilité historique pour mettre en œuvre un programme radical de transformation sociale et écologique que la 6ème réforme de l’Etat, qui semble enfin digérée, rend encore plus réalisable.

Logement, santé, enfance, mobilité, emploi, formation, investissements publics, éducation, politiques de lutte contre la pauvreté, développement économique, énergie sont autant de sujets sur lesquels les Régions et la Communauté disposent de leviers importants permettant de constituer rapidement des majorités régionales aux accents sociaux et climatiques prononcés.

Il restera alors à régler la question du Gouvernement fédéral mais bien malin celui qui peut, là, prédire l’ampleur et surtout les conséquences du tsunami populiste et extrémiste que de nombreux indicateurs semblent annoncer de l’autre côté de la frontière linguistique.