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Des complots partout ! ? Conspirationnisme et pensée critique (présentation)

Des complots, des conspirations, des coups d’État, ça existe. À plus petite échelle, des coalitions de fonctionnaires[1.Voir C. Debrulle, « Les dérives de la lutte antiterroriste », Politique, n° 92, novembre-décembre 2015. L’auteur y rappelle la véritable coalition de fonctionnaires mise en place pour procéder à l’arrestation, puis à l’extradition du militant belgo-turc Bahar Kimyongür vers son pays d’origine.] ou des ententes commerciales pour contourner les règles de concurrence, ça existe aussi. L’abus de pouvoir chez les puissants qui se présentent comme des modèles de vertu est une des choses les mieux partagées au monde. On sait gré à des justiciers comme Julian Assange de nous le rappeler. Que croire ? Qui croire ? Car il faut croire ! Sauf à ignorer le monde et à s’enfermer dans une sorte d’autisme domestique, on a besoin de comprendre le sens d’évènements qui nous submergent sans pouvoir les relier à un système explicatif cohérent.

Quel soulagement quand des « théories » lumineuses de cohérence et de simplicité nous parviennent quasiment clé sur porte.

Comprendre, c’est un vrai travail. On n’a pas le temps, on n’a pas les outils. Alors, quel soulagement quand des « théories » lumineuses de cohérence et de simplicité nous parviennent quasiment clé sur porte. Ceux qui nous les délivrent sont parfois les puissants : le complot communiste hier, le complot islamiste aujourd’hui sont supposés expliquer la marche du monde. Et puis il y a le complotisme d’en bas : nous sommes peut-être impuissants, mais au moins nous ne sommes pas dupes. Comment s’effectue le passage à la limite d’un esprit critique salutaire vers un conspirationnisme qui débusque des complots partout ? Jérôme Jamin démonte la mécanique fine d’un processus mental en l’inscrivant dans notre époque irriguée par la force virale d’Internet. Attention, dit Tom Goldschmidt aux adeptes du doute systématique, ce n’est pas parce que c’est dans le journal que c’est forcément faux. Ce qui remplace une grande presse décrédibilisée est-il forcément un progrès ? Pour Jean-Philippe Schreiber, l’obsession des Juifs et des francs-maçons reste encore aujourd’hui le principal carburant du conspirationnisme contemporain. Puis vint le 11 septembre 2001, décrypté par Tom Goldschmidt, qui inaugure une nouvelle séquence avec de nouvelles théories. Dans le monde francophone, quelques figures émergent : Thierry Meyssan sur le 11 septembre, mais surtout Alain Soral et Dieudonné, qui, pour Marie Peltier, reformulent sans originalité de vieilles obsessions portées par les anciennes extrêmes droites. Dieudonné, humoriste naguère doué, est le chaînon manquant entre le complotisme et l’incitation à la haine, comme le démontre Édouard Delruelle à partir d’un de ses spectacles. Une étude de cas ? François Debras décortique les divers délires complotistes qui ont circulé à propos de l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles. Jeremy Hamers démonte le mécanisme qui relie une « information » officielle et creuse et l’autre « information » proliférante et incontrôlable des réseaux sociaux. Quant à Younès Lamghari, il rend compte du succès des hypothèses complotiste chez les jeunes musulmans écrasés par le poids de la suspicion générale qui les cible. Enfin, à partir de deux exemples, Corinne Torrekens montre comment un dispositif argumentaire typiquement complotiste vise désormais de nombreux acteurs musulmans au moment même où ils s’affirment. Et Aurore Van de Winkel, dans un .texte exclusif réservé à ce site->http://revuepolitique.be/spip.php?article3344., analyse la mécanique de la rumeur à partir d’exemples tirés de l’actualité récente Ce Thème a été coordonné par Henri Goldman.