Retour aux articles →

Dexia (1) : Bombe à retardement financière et démocratique

Après avoir sauvé les banques de la faillite, les États ont vu leur dette publique exploser. Les pouvoirs publics sont maintenant sous la pression des marchés financiers et des autorités européennes (et, dans certains cas, du FMI) pour imposer des plans d’austérité afin de trouver les ressources financières nécessaires au remboursement de cette dette. Même si sa situation est moins dramatique que celle de la Grèce, la Belgique ne fait pas exception. Sa situation pourrait même encore se dégrader si la garantie d’État de 54,45 milliards d’euros octroyée en octobre 2011 à certains créanciers de Dexia était activée. C’est pourquoi trois associations (CADTM, Attac Bruxelles 2 et Attac Liège), représentées par les avocats Pierre Robert et Olivier Stein, ont introduit le 23 décembre dernier un recours devant le Conseil d’État afin d’annuler l’arrêté royal octroyant ces garanties .Ce recours est publié au Moniteur belge sous le numéro G/A 203.004/XV-1811. Il est soutenu par de nombreuses personnalités et associations en Belgique. Voir .www.cadtm.org. Ce combat juridique s’inscrit plus largement dans une lutte politique pour l’annulation de la dette publique illégitime, notamment celle issue du sauvetage des banques. Les injections de capitaux publics pour sauver les banques (Dexia, Fortis, KBC) et l’assureur Ethias en 2008-2010 ont provoqué une augmentation brute de la dette publique belge de 21,08 milliards d’euros. Ce montant risque de s’alourdir à cause des garanties offertes par l’État aux institutions financières. La logique de la garantie est la suivante : si la banque ne peut plus rembourser ses créanciers, alors les pouvoirs publics (donc les contribuables) interviennent financièrement. Le cas Dexia en est la parfaite illustration.

« Il incite les organismes financiers privés, se sachant protégés par l’État, à chercher à améliorer leur marge de profit sans changer leur comportement à haut risque. »

Le 10 octobre 2011, le groupe Dexia tombe en faillite pour la deuxième fois en trois ans. Le groupe est démantelé et l’État belge acquiert 100% des actions de Dexia Banque Belgique (DBB) pour un montant de 4 milliards d’euros. Le recours des associations ne concerne pas DBB mais vise la garantie de l’État à certains emprunts du groupe Dexia (Dexia SA et Dexia Crédit local SA). Car l’intervention de la Belgique lors du deuxième sauvetage de Dexia ne s’est pas limitée à ces 4 milliards d’euros : le gouvernement en «affaires courantes» s’est entendu avec les autorités françaises et luxembourgeoises pour garantir conjointement les actifs (majoritairement toxiques) du groupe Dexia à hauteur de 90 milliards d’euros. La clé de répartition de cette garantie est déséquilibrée puisque 60,5% des 90 milliards d’euros sont assumés par la Belgique, ce qui représente un montant de 54,45 milliards d’euros, soit 15% de son produit intérieur brut (PIB), contre un peu plus de 32 milliards à charge de la France, soit environ 2% de son PIB. Pourtant, les difficultés concernaient essentiellement la branche française du groupe, selon l’Inspection belge des Finances. On peut dès lors douter des capacités de négociation de l’État belge dans ce dossier. Mais il y a plus grave car la mise en œuvre de l’arrêté royal du 18 octobre 2011 octroyant cette garantie d’État www.eteemb.be/fr/ aurait des conséquences désastreuses pour l’économie du pays mais également pour la démocratie.

Un montant exorbitant

Soulignons tout d’abord le montant exorbitant de cette garantie : 54,45 milliards d’euros, c’est 34 milliards de plus que le montant octroyé pour le triple sauvetage de Fortis, de Dexia, de KBC et d’Ethias en 2008. C’est 26 fois l’économie budgétaire prévue au budget 2012 en matière de soins de santé. Cela donne une idée de l’ampleur du risque que représentent ces garanties pour les finances publiques belges, d’autant plus qu’il faut y ajouter les intérêts et accessoires prévus par l’arrêté. Selon l’Inspection des Finances, le montant réel de la garantie pourrait être de l’ordre de 57 milliards d’euros. Or, cet engagement de l’État à rembourser un tel montant le met dans l’impossibilité d’accomplir pleinement ses missions de service public. Notons aussi que le simple octroi des garanties entraîne une augmentation du coût du refinancement de la dette car les marchés exigent une rémunération plus élevée pour prendre en compte le risque représenté par l’activation possible des garanties. Ensuite, en cas d’activation, l’État devra recourir à des emprunts supplémentaires, ce qui augmentera automatiquement la dette publique. Cela amènera alors la Commission européenne à exiger de nouvelles mesures d’austérité contre la population. Comme si cela ne suffisait pas, l’octroi de cette garantie n’est subordonné à aucune condition réelle. L’arrêté royal précise d’ailleurs que «la garantie est payable à première demande». Cet arrêté renforce ce qu’il est convenu d’appeler l’aléa moral, à savoir la possibilité qu’un assuré augmente sa prise de risque par rapport à la situation où il supporterait entièrement les conséquences négatives d’un sinistre. Car en habilitant le ministre des Finances à garantir sans réelle condition les créances sur Dexia SA et Dexia Crédit Local SA, l’arrêté envoie un signal clair aux organismes financiers tentés dans le futur par une spéculation pouvant potentiellement leur rapporter de forts gains. Il leur indique que les pouvoirs publics interviendront toujours en dernier ressort. Cet arrêté permet dès lors de garantir des pratiques qui ont contribué très largement à provoquer la crise et qui, en étant maintenues, entraînent au minimum sa prolongation et, au pire, son approfondissement. Il incite les organismes financiers privés, se sachant protégés par l’État, à chercher à améliorer leur marge de profit sans changer leur comportement à haut risque. Dans ces conditions, d’autres sauvetages bancaires sont à prévoir.

En toute opacité

Sur le plan démocratique, l’arrêté royal constitue aussi un véritable danger car il confère au ministre des Finances, jusqu’en 2021, le pouvoir de conclure en toute opacité et en dehors de tout contrôle parlementaire des conventions de garanties avec certains créanciers de Dexia SA et Dexia Crédit local SA (que le ministre désigne lui- même) qui peuvent produire leurs effets jusqu’en 2031. Le Parlement est donc tenu à l’écart des décisions essentielles de manière permanente, consciente et organisée pendant presque 20 ans. Les élus n’ont pas leur mot à dire comme en octobre 2011 lorsque l’octroi de cette garantie a été décidé uniquement par l’exécutif. Le Parlement belge n’a ni délibéré ni légiféré sur l’octroi de ces garanties tandis qu’en France, une loi a été votée par le Parlement après un large débat qui a donné lieu à deux rapports. On assiste donc en Belgique à un véritable coup d’État juridique. La violation de la Constitution belge est manifeste. C’est d’ailleurs un des arguments invoqués dans le recours.Lire la synthèse des arguments juridiques à l’adresse .www.cadtm.org.

« Il s’agit d’avancer vers la mise en place d’un audit citoyen, à l’instar de la démarche initiée en France, pour faire annuler les parties illégitimes de la dette. »

Les associations requérantes sont pleinement conscientes de la menace que représentait la faillite de Dexia avec ses répercussions sur tout le système financier, et par conséquent de la nécessité pour l’État d’agir rapidement. Mais les garanties octroyées ne règlent pas le problème, elles l’aggravent. C’est pourquoi il est indispensable d’annuler l’arrêté royal du 18 octobre 2011 et de garantir le droit des citoyens à l’information afin de comprendre les raisons de cette débâcle et de proposer des alternatives à ces garanties. Ce recours vise donc également à lancer un réel débat démocratique sur ces alternatives et sur la question de la légitimité de la dette. D’où vient la dette publique belge? A-t-elle servi les intérêts de la population? Que se passerait-il si la Belgique refusait de rembourser? Autant de questions auxquelles il est urgent de répondre car, au nom du remboursement de la dette, la vague d’austérité en cours en Belgique va toucher les conditions de vie de millions de citoyens. Il s’agit d’avancer vers la mise en place d’un audit citoyen, à l’instar de la démarche initiée en France En France s’est créé un Collectif pour un audit citoyen de la dette publique qui dispose après 6 mois d’existence d’une centaine de collectifs locaux , pour faire annuler les parties illégitimes de la dette, en commençant par celles issues des sauvetages bancaires mais sans oublier celles qui depuis les années 1980 ont servi à combler le déficit budgétaire majoritairement imputable à une baisse de la fiscalité sur les catégories les plus favorisées et les grandes entreprises. Sans cela, les marges de manœuvre libérées par des politiques progressistes seront englouties par le remboursement d’une dette autant colossale qu’illégitime.