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Drogues : impasses de la prohibition (présentation)

La question de « la drogue » est une question éminemment politique. Elle a donc toute sa place dans cette revue. Mais nous n’aborderons pas le sujet en partant du vécu de la personne qui se drogue ou est devenue dépendante. On ne creusera pas la délicate question de la toxicodépendance en général, et on ne trouvera ici aucun lexique technique, ni aucune description des produits visés ou de leurs effets.

Trop de fantasmes brouillent les cartes et effarouchent la classe politique, en particulier ses ailes conservatrices, au point de paralyser les débats les plus cruciaux noyés dans le moralisme ambiant.

Mais cette question, qui relève à l’évidence de la santé publique, est révélatrice de la conception qu’on en a et qui se traduit en politiques publiques. Et sur ce terrain, trop de fantasmes brouillent les cartes et effarouchent la classe politique, en particulier ses ailes conservatrices, au point de paralyser les débats les plus cruciaux noyés dans le moralisme ambiant. Encore heureux que, dans cette culture du tabou, des associations continuent avec inventivité à agir au service des parents inquiets et des consommateurs peu capables de distinguer les produits frelatés de ceux qui pourraient être gérés sur un mode plus doux, en pleine connaissance de cause. Encore heureux aussi que des élus soutiennent ces associations, à l’instar de ceux qui préfèrent ouvrir des salles d’injection offrant un maximum de garanties d’hygiène plutôt que de livrer certains toxicomanes à la très précaire loi de la rue ou des squats. Un fil rouge serpente à travers la plupart des contributions à ce dossier : celui d’une réflexion sérieuse à mener sans relâche sur les percées volontaristes porteuses d’espoir, de sagesse et de réalisme. Line Beauchesne nous plonge, de 1898 à 1961, dans une mondialisation déjà dominée par les vues d’outre-Atlantique ou d’outre-Pacifique. Avec les dégâts collatéraux du racisme sanglant alimenté par des ligues morales et les concurrences entre syndicats de travailleurs pauvres (mexicains, travailleurs noirs), stigmatisés à tour de rôle… Micheline Roelandt nous promène dans le panorama belge des années post-68, très bigarrées et d’une certaine manière fort créatives sur le front associatif, héritier du concept d’éducation permanente première mouture, celui du précurseur Marcel Hicter. Danilo Ballotta nous fait cheminer dans les méandres des politiques européennes en matière de drogues et les opportunités dures ou molles qui font que, bon an mal an, la question ne soit jamais perdue de vue tout en fonctionnant par éclipses. Prévention ? Pour Martine Dal et Philippe Bastin, l’ennui avec ce concept, c’est qu’on en attend beaucoup trop. C’est pourquoi les auteurs privilégient le concept de promotion de la santé et s’en expliquent. Christine Van Huyck et son équipe démontrent combien il est important d’aller au-devant des consommateurs, surtout peu avertis. Il s’agit de diffuser des informations objectives et non moralisatrices sur les produits et les modes de consommation en passant par l’accès aux moyens concrets de mettre en place un usage à moindres risques. On s’entretiendra ensuite avec Bruno Bulthé et Pierre Erauw, procureurs honoraires, sur leur expérience, souvent prosaïque et délicate, du volet répressif. En contrepoint, Georges Bauherz pose une question de fond : s’il faut une alternative à la prohibition, qui, dans une optique de santé publique, devra en être le garant : le marché ou la puissance publique ? Enfin, Christine Guillain, dans un article très documenté, observe que la criminalisation des drogues ne fait plus à présent l’unanimité. De nombreux experts appellent à la sortie du champ pénal. Et pour cela, les États disposent d’une large marge de manœuvre qu’ils hésitent malheureusement à explorer. Ce Thème a été coordonné par Thierry Poucet et Micheline Roelandt.