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Du vert au noir

26 MAI 2019 : LE VLAAMS BELANG CARTONNE

[Chronique médiatique publiée dans le numéro 108 de Politique, juin 2019.]

Au lendemain de la victoire du Vlaams Belang, la question de l’utilité du cordon sanitaire était à nouveau posée. Au niveau politique, évidemment, mais également au niveau médiatique. Car si le parti d’extrême droite n’a pas sa place au sein de la presse belge francophone, c’est parce que le cordon y a été maintenu depuis près de 30 ans. Mais, dans les faits, il ne s’applique qu’aux partis aux propos jugés xénophobes ou racistes, alors que les discours de ce genre peuvent également être délivrés par des partis considérés comme démocratiques. Pourtant, les discours de haine se sont multipliés et la parole xénophobe s’est banalisée, notamment à travers les réseaux sociaux. La responsabilité des médias n’est pas engagée mais le rôle joué par le quatrième pouvoir aurait sans doute pu être plus conséquent, pour tenter d’endiguer le spectre de la peste brune.

Si le scrutin du 26 mai laissait prédire une nouvelle vague verte, c’est finalement une marée noire qui a touché la Belgique, posant de nombreuses questions sur l’état de notre société, qui semble plus que jamais fracturée entre un nord résolument à droite et un sud (et un centre !) qui penche nettement à gauche. Mais le VB n’en reste pas moins le vainqueur des élections. Le succès n’était pourtant pas imprévisible, le parti faisant campagne, un peu comme un cheval de Troie. Une campagne rondement menée sur les réseaux sociaux en maintenant une présence accrue sur Facebook, Twitter, Instagram et même YouTube. Une force de frappe qui démontre, à la fois, la puissance des réseaux sociaux et l’impuissance des médias traditionnels à « faire barrage à l’extrême droite », malgré le sacrosaint cordon sanitaire. Mais en accentuant sa présence partout sur la toile, le Belang a surtout réussi à cibler et à séduire un public boudé par les médias mainstream : les jeunes. Ajoutez à cela toutes celles et ceux qui se sont sentis « invisibilisés » par la presse traditionnelle. Cela donne une part significative de la Belgique, littéralement laissée de côté. Le Belang est parti à son chevet, l’a écoutée et l’a récupérée.

Que peuvent donc faire nos quotidiens et nos hebdos pour lier, à nouveau, ces oubliés au reste de la société et retisser les liens cassés ? Tout simplement, jouer le rôle mené jusqu’à présent par le Belang : se rapprocher des citoyens, aller vers la population, toute la population, s’adresser à elle, y aller sur tous les fronts. Il est tout aussi fondamental de ne laisser aucun canal possible aux discours de haine, d’où qu’ils viennent. Car la méfiance, le rejet de l’autre se sont insidieusement installés dans les discours dominants. Tous les discours.

Pendant la campagne, on nous a parlé de migrants, de réfugiés, de sans papiers, jamais d’humains ou d’humanité. Il a notamment été question de vivre-ensemble, mais jamais de faire-ensemble, confortant, involontairement certes, un discours dissonant distillé par le Belang, mais pas seulement. Si voyager est le meilleur remède contre le fascisme, si lire est le meilleur remède contre le racisme, exigeons de nos médias qu’ils nous fassent lire et voyager, en remplaçant les frontières, physiques ou sémantiques, par une ouverture aux autres.