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Élections : revue des troupes

Alleluia ! La Belgique entre en campagne électorale. Par extraordinaire, ce ne s’était plus passé depuis deux ans. L’œil rivé sur les sondages, chacun spécule…

Et depuis deux ans, l’actualité n’a pas chômé. À peine est-on sorti d’une longue crise gouvernementale que c’est la crise financière qui s’abat, avec son cortège d’angoisses sociales. Comment le corps électoral va-t-il réagir ? Dans notre analyse, nous utiliserons le prisme auquel cette revue est attaché : celui du clivage gauche-droite. Régulièrement décrié, surtout en Belgique, ce clivage fournit pourtant une des plus efficaces grilles de lecture pour rendre intelligible une offre politique proliférante, étant entendu que, comme l’a rappelé en d’autres temps Edgar Morin, «ni gauche, ni droite ne sauraient être des attri-buts définitifs, intemporels, substantiels, invulnérables donc métaphysiques» Edgar Morin, Pour sortir du XXe siècle, Seuil, 1984. Nous nous baserons sur les derniers sondages Ipsos/Libre Belgique de mars 2009, à comparer avec les derniers résultats des urnes, ceux des élections fédérales de juin 2007 et des élections régionales de 2004. Pour Bruxelles et la Wallonie, nous mettrons les résultats du sondage en regard des résultats de 1999, quand Écolo effectua une percée qui vit ce parti rentrer dans les majorités au niveau fédéral, wallon et de la Communauté française. Pour ce faire, nous procéderons à des regroupements qui seront différents pour la Wallonie et Bruxelles d’une part, pour la Flandre d’autre part. Pour le corps électoral francophone, nous additionnerons les scores du PS et d’Écolo dans la colonne «gauche», tandis que la colonne «droite» recevra ceux du MR On a renoncé à additionner les voix du Front national aux voix libérales, tant il eut été inconvenant d’amalgamer l’extrême droite à la droite démocratique. Pourtant, le MR reste logiquement le premier choix alternatif pour les électeurs FN, dont le score en Wallonie passe de 8,5% en 2004 à 4,9% dans le sondage de mars 2009. Sous la férule de Didier Reynders, le MR a renoncé au positionnement centriste de l’époque de Louis Michel pour retrouver les accents d’une droite de combat, très hostile au «collectivisme» des socialistes. Un des effets de cette inflexion a pu être d’assécher l’électorat du FN à l’instar de ce qu’a réussi Nicolas Sarkozy en France. Quant au CDH, il reste le ventre mou de la sociologie électorale, restant à l’écart d’un clivage gauche-droite qu’il récuse. Parti de réseaux plutôt que de projets, sa stabilité relative en termes d’intentions de vote permet de se concentrer sur les deux autres blocs plus marqués. Wallonie 2004 : gauche = 45%, droite = 24,3% 2007 : gauche = 42,3%, droite = 31 ,2% Sondage de mars 2009 : gauche = 46,9%, droite = 24,8%. 1999 : gauche = 47,6%, droite = 24,7%. Ainsi, à s’en tenir aux chiffres, les prévisions de 2009 annoncent presque exactement les mêmes rapports de forces entre la gauche et la droite en Wallonie que lors des élections de 1999. Et, au sein de la gauche, les scores du PS et d’Écolo se retrouvent aussi, avec un léger transfert interne, d’une date à l’autre : respectivement 29,4% et 18,2% aux élections de 1999, 27,2% et 19,7% dans le sondage de mars 2009. Cette dernière comparaison semble indiquer que la gauche wallonne ratisse plus large quand elle est plus équilibrée. Même s’il existe un électorat de gauche qui fluctue entre le PS et Écolo selon la règle des vases communicants, le parti vert en phase ascendante ne se limite pas à éponger les marges du parti rouge. En comparant 1999 à 2009, on ne peut oublier ceci : le score d’Écolo fut alors un feu de paille puisque ce parti s’effondra aux élections suivantes. À l’époque Voir mon édito dans le numéro 30 de Politique : http://revuepolitique.be/archives/2003/07/31.html , nous avions relativisé la portée de cet échec. Les 8% de 2004 n’étaient pas anormaux sur le temps long, ils s’inscrivaient même dans un lent mouvement ascendant. Par contre, les 18% de 1999 avaient profité d’une conjecture exceptionnelle avec la crise de la dioxine, le «mouvement blanc», la fermeture de Renault-Vilvorde et un PS empêtré dans des scandales judiciaires à répétition. L’année 2009 sera-t-elle pour les Verts un nouveau feu de paille ? Probablement pas. La conscience de la crise climatique a désormais percolé partout et la compétence environnementale reconnue depuis toujours aux écologistes a cessé d’être accessoire. Très probablement, une partie au moins de la progression annoncée d’Écolo sera durable. L’alliance emploi-environnement que tente de promouvoir le PS pour témoigner de son ralliement à une «écologie sociale» Voir Guillaume de Walque et Guillaume Lepère « Pour une alliance emploi-environnement » – à la page 52 de ce numéro préfigure peut-être la nouvelle structuration de la gauche wallonne autour d’un binôme plus équilibré de partis et de thématiques. Dans cette perspective, le principal handicap d’Écolo reste son isolement sur la scène européenne, le poids électoral promis aux écologistes wallons et bruxellois n’ayant aucun équivalent dans les pays voisins, pas même en Allemagne 8,12% pour les Grünen aux dernières élections fédérales de 2005. Contrairement à ce qui semble être la règle partout en Europe la société wallonne n’évolue pas vers la droite. Cette région est peut-être mûre pour un basculement inédit, où le «centre de gravité» resterait à gauche, mais de façon plus franche et avec des rapports internes modifiés Rappelons qu’en 1999, le PS et Écolo disposèrent ensemble en Région wallonne de 39 sièges sur 75. Mais dans le cadre d’un accord politique national, un arc-en-ciel se mit en place, ce qui noya la majorité wallonne de gauche dans un gouvernement de coalition gauche-droite dont la Belgique a le secret. Bruxelles 2004 : gauche = 37,2%, droite = 28% 2007 : gauche = 36%, droite = 32% Sondage de mars 2009 : gauche = 39%, droite = 27,9%. 1999 : gauche = 34,4%, droite = 34,4%. La tendance est nette : à Bruxelles, ville de tradition libérale, la gauche est en progression constante et dépasse désormais la droite de façon régulière Notons qu’à Bruxelles, contrairement à la Wallonie où son étiage est stable, le CDH a doublé les voix de l’ancien PSC. Et pourtant, Écolo participe au gouvernement bruxellois et ne peut donc pas jouer ici la carte de l’opposition «irresponsable», comme en Wallonie encore aujourd’hui ou comme partout lors de son triomphe de 1999. Dans le dernier sondage, Écolo et le PS se retrouvent au coude à coude (respectivement 19,6% et 19,4%), comme ce fut déjà le cas en 1999 (16% et 18,3%) mais, de façon remarquable par rapport à cette élection de référence, les deux partis classés à gauche sont en progression. Cette progression est la traduction électorale d’une mutation sociologique. Bruxelles est la seule région du pays où la population est en croissance. Pourtant, l’exode urbain des classes moyennes «blanches» ne s’est pas arrêté. Il touche principalement des électeurs libéraux tandis que les nouveaux votants, issus pour la plupart de l’immigration populaire, ne penchent pas de ce côté-là Voir la note de Celine Teney et Dirk Jacobs sur le site de Brussels studies à propos des préférences des nouveaux électeurs d’origine immigrée à Bruxelles : http://www.brusselsstudies.be/PDF/FR_89_BruS24FR.pdf. Dans le même sens, voir aussi l’étude de Pascal Delwit et Emilie van Haute pour le Cevipol (ULB) sur les préférences des électeurs musulmans : http://dev.ulb.ac.be/cevipol/dossiers_fichiers/livre-elections4.pdf. Constat étonnant : si le MR est clairement boudé par ces nouveaux électeurs (et par les électeurs de culture musulmane en général), Écolo y fait aussi un score inférieur à son score dans la population globale. Seuls le PS et le CDH, qui y ont il est vrai consacré des efforts importants, ont dans cette population un taux de pénétration très supérieur à leur moyenne régionale Le PS auprès des électeurs d’origine marocaine et turque, le CDH auprès de ceux d’origine congolaise. La bonne tenue d’Écolo reste donc principalement un phénomène circonscrit aux classes moyennes éduquées. Ce parti est perçu avant tout comme le «parti de la ville», celui qui porte le mieux les valeurs «post-matérialistes» et l’exigence d’un nouveau modèle de produire, de consommer et de circuler (avec en plus une éthique de la gouvernance). Par contre, ses positions, pourtant les plus avancées, sur les questions interculturelles ou liées aux migrations, ne lui rapportent rien sur le plan électoral, faute sans doute d’un travail capillaire de terrain. Même si les spéculations vont bon train, l’Olivier sera sans doute reconduit à Bruxelles, avec des rapports de force internes modifiés. Malgré quelques figures qui font exception, le MR bruxellois reste le parti de la deuxième couronne et de la périphérie, ce dont le déménagement d’Olivier Maingain de Bruxelles-ville vers Woluwé-Saint-Lambert fut l’incarnation parfaite. Flandre Ici, nous procèderons à d’autres regroupements. Le cœur de l’électorat flamand se concentre sur deux partis de centre-droit, le CD&V et le VLD, qui ratissent large. Ensemble, ils stabilisent environ 38% des votes, avec peu de variation de 2004 à aujourd’hui. Les évolutions significatives se produisent en dehors de ce bloc central, où nous identifierons une gauche composée du SP.A et de Groen ! et une droite radicale (nationaliste, populiste et fasciste, en étant bien conscient des nuances) regroupant la NVA, la Lijst Dedecker et le Vlaams Belang. 2004 : gauche = 27,3%, droite = 30,2% En imputant 6% de votes pour la NVA sur le score du cartel CD&V/NVA 2007 : gauche = 22,6%, droite = 31,5% Ibidem. En 2007, la Lijst Dedecker fait son apparition Sondage de mars 2009 : gauche = 21,3%, droite = 38,4%. Cette évolution est dramatique. Le cœur électoral de la Flandre est déjà sensiblement à droite. Mais à ses côtés, tandis que la droite radicale s’envole au point de faire jeu égal avec le centre-droit traditionnel, la gauche s’effondre. Elle ne profite absolument pas d’avoir choisi l’opposition au plan fédéral, cette posture s’accompagnant d’une participation majeure au niveau régional et communautaire flamand dont l’incontestable numéro 2 est le socialiste Frank Vandenbroucke. Ce naufrage en chiffres s’accompagne d’une crise de perspective. La gauche flamande ne voit plus comment arrêter son déclin Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner du blocage sur la question, pourtant dramatique, de cette «circulaire Tutelboom» sur la régularisation qui ne vient pas. En Flandre, la gauche est trop mal en point pour constituer une menace électorale. Par contre, toute «concession» supplémentaire de la ministre VLD ne pourra que profiter à plus à droite qu’elle. On peut comprendre qu’elle hésite…… Bref, le paysage politique de la Belgique tel qu’il sortira des élections du 7 juin présentera très probablement des tendances encore plus divergentes que ce n’est le cas aujourd’hui. On se consolera peut-être en observant l’Europe des 27, qui reste notre horizon politique, et dont le spectacle est encore plus bigarré… 8 avril 2009