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En Iran, les femmes ont lancé « la révolution »

Depuis septembre, des manifestations font vaciller le pouvoir théocratique instauré en Iran en 1979. La répression du régime est sanglante. Tout a commencé par la question des droits des femmes. Retour sur les événements qui secouent le pays.

Le 13 septembre dernier, Mahsa Amini, une jeune femme kurde de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour infraction au code vestimentaire strict imposé aux femmes en Iran. Elle mourra le 16 septembre, après trois jours de coma. Selon la version officielle, les agents ne l’auraient pas touchée. Les autorités ont en effet déclaré que Mahsa Amini était décédée des suites d’une maladie, et non de « coups ». Le père de la jeune femme, Amjad Amini, a lui affirmé que sa fille était en bonne santé avant son arrestation. « J’ai vu de mes propres yeux que du sang avait coulé des oreilles et de la nuque de Mahsa », a-t-il dit à Iran International, une chaîne de télévision en persan basée à Londres. Des ONG déclarent par ailleurs qu’elle a souffert d’une blessure à la tête durant sa détention.

« Une révolution féministe »

Face à ces différents éléments, la version officielle est jugée peu crédible par une grande partie de la population iranienne et surtout les jeunes femmes, qui se mettent à exprimer publiquement leur colère. Cela fait des années qu’elles vivent dans la peur d’être arrêtées parce que leur voile est « mal porté », elles se reconnaissent dans ce qui est arrivé à Mahsa Amini. Certaines d’entre elles font le lien avec l’histoire du mouvement féministe en Iran et avec celle de Tahirih Ghoratolein. En 1852, cette militante des droits des femmes âgée de 35 ans, a été exécutée par le régime iranien à Téhéran, notamment pour avoir jeté son voile et brandi une épée lors de la conférence de Badasht en 1848. Ses derniers mots furent : « Vous pouvez me tuer dès que vous le souhaitez, mais vous ne pouvez pas empêcher l’émancipation des femmes. »

Dès l’annonce des circonstances de la mort de Mahsa Amini, des manifestations massives s’organisent dans le pays et sont relayées par les médias à l’international car les jeunes utilisent les réseaux sociaux, surtout Twitter et Instagram, pour contourner la censure imposée par le gouvernement iranien. Scandant le slogan « Femme, vie, liberté » (inspiré du slogan féministe kurde « Jin, Jiyan, Azadî »), elles retirent leur hijab en pleine rue, à l’université, dans les écoles, ce qui est complètement interdit en Iran. Des scènes filmées avec des téléphones portables les montrent en train de danser et de jeter le voile islamique au feu. Certaines d’entre elles se coupent les cheveux en public, un geste de protestation qui sera ensuite repris par d’autres femmes dans le monde entier en solidarité.

Certain·es « analystes » ont été tenté·es de profiter de cette actualité pour opposer les femmes qui souhaitent porter le voile sans subir de discriminations en Belgique et en France et celles qui se battent en Iran contre le port obligatoire du voile islamique. « Il importe pourtant de ne pas commettre d’erreur de perception sur ce qu’il se passe dans le pays. Ce n’est pas tant le “voile” que les femmes veulent éradiquer et faire disparaître à jamais de la société iranienne, mais l’imposition de la norme cléricale dans l’espace privé et public », réagit dans une tribune publiée dans le journal Le Monde Smaïn Laacher, professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg[1.S. Laacher,  « En Iran, la critique radicale de l’ordre religieux tente de redéfinir la question de l’égalité entre les deux sexes dans tous les espaces de la société », Le Monde, 2 novembre 2022.]. « Au-delà du hijab et du degré de visibilité des cheveux féminins, ces manifestantes et manifestants ne supportent plus le désir pathologique du pouvoir clérical et de sa police des mœurs de contrôler la vie quotidienne des citoyens en s’ingérant constamment dans leur vie et en punissant les écarts aux conventions religieuses. » Il poursuit : « C’est bien en Iran que se déroule depuis quelques semaines, j’ose le dire, la plus importante et la plus impressionnante révolution féministe en cours sur la planète. »

Manifestations massives et grèves générales

Les protestations ont d’abord dénoncé les conditions de vie des femmes, elles ont également critiqué les violences faites aux Kurdes dans le Kurdistan iranien, d’où Mahsa Amini était originaire. Les Kurdes sont une minorité opprimée en Iran, le vrai prénom de Mahsa Amini est d’ailleurs Jîna (« vie »), mais l’état civil iranien refuse d’enregistrer les prénoms kurdes : elle a été obligée de recevoir un prénom persan pour pouvoir gérer les aspects administratifs de sa vie. La protestation a été suivie par les hommes, les jeunes hommes en premier. Aujourd’hui, plus de deux mois plus tard, les manifestant·es remettent en question non seulement le pouvoir religieux en place depuis 1979 dans le pays, mais aussi la situation économique catastrophique. Le mouvement de protestation s’est étendu à tout le pays, aux cris de « mort au dictateur, mort à l’oppresseur », une référence au Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei et une critique de la gestion du pays par le président Ebrahim Raïssi.

De nouvelles méthodes de protestation sont depuis apparues. Dans la rue, des Iranien·nes retirent, d’un revers de la main, le turban de la tête des mollahs, ces spécialistes du droit musulman qui exercent des hautes fonctions juridiques ou religieuses au sein de la théocratie chiite. Plusieurs vidéos partagées sur les réseaux sociaux témoignent de ce type d’action, à nouveau souvent menées par des jeunes, qui tournent parfois en agressions violentes, certains mollahs ayant été roués de coups. Des grèves générales sont désormais également organisées, signe que le mouvement touche à présent d’autres parties de la population, les commerçants par exemple. Cependant, les expert·es ne s’accordent pas sur le terme de « révolution » pour qualifier les événements. Interrogé par Le Huffington Post, Jonathan Piron, historien et chercheur spécialiste de l’Iran, précise[2.M. Terrier, « En Iran, une révolution sociétale est en cours, affirme cet expert », Le Huffington Post, 16 novembre 2022.] : « On est devant ce que j’appelle une “protestation liquide”. C’est une protestation collective mais sans leadership ni structure politique forte qui pourrait renverser le régime. »

Répression dans le sang

Le pouvoir tente toujours de réprimer par la force ces protestations. Des images circulent où l’on peut voir la police et l’armée tirer dans la foule. Selon un dernier bilan de l’ONG Iran Human Rights, au moins 378 manifestant·es ont été tué·es depuis le début de la contestation, dont 47 enfants. Des milliers de personnes ont été arrêtées et sont particulièrement en danger, alertent plusieurs ONG, parmi lesquelles Amnesty International et Human Rights Watch.

Des poursuites basées sur des accusations douteuses liées a la sécurité nationale, ainsi que de procès « manifestement inéquitables », visent les militant·es détenu·es. Les autorités iraniennes réclament la peine de mort contre 21 personnes au moins « dans le cadre de simulacres de procès destinés à intimider ceux qui participent au soulèvement populaire qui ébranle l’Iran depuis septembre et à dissuader d’autres personnes de rejoindre le mouvement », a déclaré Amnesty International le 16 novembre 2022, dénonçant les procédures engagées par les tribunaux révolutionnaires, dans un contexte où les autorités appellent à juger rapidement et à exécuter en public. Cette stratégie vise à « instiller la peur au sein de la population », ajoute l’organisation, qui fustige « une escalade effrayante dans l’utilisation de la peine de mort comme outil de répression politique ». L’Iran est le pays qui exécute le plus de personnes en dehors de la Chine, selon les groupes de défense des droits humains. Au moins 314 personnes y ont été mises à mort en 2021 d’après Amnesty International, tandis que le groupe Iran Human Rights, fait état de plus de 482 exécutions rien que cette année.

Réactions internationales

Le 1er octobre, des manifestations de solidarité sont organisées dans le monde entier, notamment à Bruxelles. Mona Mir Sattari, 26 ans, d’origine iranienne (ses parents sont réfugié·es politiques en Belgique) et spécialisée en droits humains, a assisté à cette manifestation. Elle explique au magazine axelle[3.C. Wernaers, « En Iran, les jeunes n’ont plus rien à perdre », axelle n°249, novembre-décembre 2022.] : « Beaucoup de personnes ne savent même pas s’acheter un pain [en Iran]. Je pense que la mort de Mahsa Amini a été la goutte d’eau. Les jeunes n’ont plus rien à perdre, ils et elles ont un courage sans limite et cette répression survient parce que le gouvernement a perdu le contrôle sur le narratif. Ils ne peuvent plus mentir. Même si cela reste difficile, les informations sortent du pays. » Le 22 octobre, pas moins de 80 000 personnes défilent à Berlin en soutien aux manifestations en Iran.

Mais les institutions de la communauté internationale, et tout particulièrement l’ONU, n’ont pas embrayé rapidement. La militante iranienne Masih Alinejad appelle les démocraties occidentales à réagir face à cette répression sanglante. « Il faut isoler la République islamique d’Iran tout comme on a isolé Poutine », a-t-elle expliqué, interrogée par L’Express[4.H. Mostafavi, « Masih Alinejad : « Il faut isoler la République islamique dIran tout comme on a isolé Poutine » », L’Express, 14 novembre 2022.]. Ce n’est que ce 24 novembre que les 47 États membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU décideront, lors d’une session d’urgence sur l’Iran décidée après une requête de l’Allemagne et de l’Islande, s’ils ouvrent une enquête internationale sur la répression des manifestations secouant le pays.

(Image en vignette et dans l’article dans le domaine public ; fresque représentant Mahsa Amini à Londres, photo prise en octobre 2022 par Garry Knight.)