Extrême droite
Enquête. L’extrême droite au MR, ou la stratégie de la perversion
07.08.2025

Qu’on se le tienne pour dit : le MR est aujourd’hui encore un parti démocratique. Ceci étant, nombreux et nombreuses se posent des questions… Et les premier·es à alimenter de façon hebdomadaire la suspicion sont à sa tête.
«Dans la tératologie, qui est la science des monstres, il y a toute une taxonomie, et il faut savoir à qui on a affaire pour bien les combattre», Corentin de Salle, au débat «Libéraux, tous fachos?», 28 avril 2025.
Lorsqu’on souhaite aborder la question de l’extrême droite1 au MR, le problème n’est pas d’en chercher les traces, mais de savoir par où commencer. Il y a en effet, les personnalités transfuges, les déclarations dans les médias et sur les réseaux sociaux2, les brisures récurrentes du cordon sanitaire, les pressions sur les journalistes3. Il y a, en résumé, une telle constellation de faits – sans équivalent dans notre paysage politique – qu’elle disqualifie d’emblée deux défenses : d’une part, l’affirmation qu’il s’agirait d’événements isolés – ce que les médias nomment des «dérapages» – ; d’autre part, l’idée que l’on manquerait de «charité interprétative» en interprétant de façon univoque sous l’angle de la xénophobie, de la violence, de l’autoritarisme, des phénomènes simplement équivoques. Mais le bénéfice du doute est de moins en moins envisageable, malheureusement.
À quel événement symbolique faut-il faire remonter la droitisation du MR ? En réalité, durant les années 1980, Roger Nols, bourgmestre de Schaerbeek et membre du PRL (ancêtre du MR) tenait des propos déjà tout à fait xénophobes, et n’hésitait pas, de surcroît, à soutenir les écrits de Jean-Marie Le Pen en mobilisant le libéralisme (« je n’ai aucune remarque, aucune objection sur les écrits de M. Le Pen. Et je puis les partager, comme tout libéral pourrait les partager »4). Mais la différence avec cette période, car il y en a une, est qu’une autre tendance que l’on peut qualifier d’« humaniste » – défendant l’État de droit et les droits humains – s’exprime alors dans le parti, et ces derniers semblent alors majoritaires, notamment en raison de leur présence médiatique et leur production culturelle. Aujourd’hui, si des élu·es nous confient « en off » ne pas se reconnaître dans les pratiques et les discours de Georges-Louis Bouchez, qui oserait le contester ?
Le cas Jeholet : exemple type d’une dérive au sommet
Pour la génération qui a découvert la politique avec les élections de juin 2024, l’événement symbolique à retenir est la déclaration xénophobe de Pierre-Yves Jeholet en date du 2 juin dans l’émission « Rendez-vous » sur RTL-TVI. En direct, face au candidat PTB Nabil Boukili, le candidat et homme fort du MR s’exprime sans langue de bois : « Ne venez pas nous donner des leçons ici en Belgique. Si ça ne vous plaît pas, vous n’êtes pas obligé de rester en Belgique ». La déclaration est clairement raciste. Mais au lieu de se dédire, de s’excuser, de condamner ces propos, Pierre-Yves Jeholet assume. Il aurait tenu « les mêmes propos devant un belge de souche (sic) »5, osa-t-il ajouter pour sa défense, mobilisant une expression qui, ironie du sort, est elle-même typique d’une vision du monde… raciste.
Mais le MR va plus loin. David Leisterh explique ainsi dès le lendemain : « Il est impossible qu’il y ait une seule once de racisme dans notre parti. Nous sommes tout l’inverse de ce que certains voudraient faire croire. » Il s’agirait donc peut-être même d’une cabale de la gauche, d’une « chasse aux sorcières » menée contre le parti. En effet, Pierre-Yves Jeholet n’a pas dit à Nabil Boukili : « sale étranger, dehors ! ». Et ce manque de clarté dans les termes suffit, au MR, à plaider l’interprétation erronée de son message et son instrumentalisation par la gauche.
Le jeu sur l’ambiguïté est devenu la marque de fabrique du MR sous l’ère Bouchez
Ce mécanisme, c’est celui que l’on va retrouver depuis, à chaque « polémique » de cet ordre, et que l’on retrouve également, dans d’autres contextes et avec d’autres idéologies, aux États-Unis. Prenons l’exemple des saluts nazis adressés à la foule par Elon Musk après l’investiture de Donald Trump. À peine ceux-ci furent-ils dénoncés que ses défenseurs s’exprimaient pour les relativiser et les repeindre en gestes de joie instrumentalisés par la gauche… En fait, ce jeu sur l’ambiguïté est devenu la marque de fabrique du MR sous l’ère Bouchez.
Le déroulement est simple : premièrement, communiquer un message ambigu ou poser un acte renvoyant à la xénophobie, à la vision du monde ou aux obsessions de l’extrême droite ; deuxièmement, plaider l’innocence des intentions et se poser en victime d’une cabale médiatique et politique contre soi ; troisièmement, recommencer de plus belle, ayant agrégé entretemps des soutiens de plus en plus réactionnaires, voire nationalistes d’extrême droite.
Le réseau X (ex-Twitter), l’antre de la bête
Il y a tout d’abord ce qui saute aux yeux. Ce que des cadres du MR disent au grand jour. Ce qu’ils et elles affichent noir sur blanc sur les réseaux, et qui suffirait à expliquer l’intérêt de jeunes militant·es d’extrême droite. Des propos qui apparaissent si profondément contraires aux valeurs libérales que la propre fille de Jean Gol, après un silence gêné, a finalement décidé, lors de l’entrée d’anciens membres de Chez nous au sein du parti, de demander que l’on « cesse d’invoquer le nom de son père »6, par respect pour sa mémoire. Un nom qui est pourtant celui du centre d’études du MR.
Ce dernier, d’ailleurs, n’est plus ce sympathique centre d’étude, mais un outil de « guerre culturelle », avec comme directeur scientifique Corentin de Salle. Celui-ci est allé jusqu’à instrumentaliser le journal d’Anne Frank, en accusant la gauche américaine de l’avoir censuré7… avant de reconnaître, face aux réactions, que c’était absolument faux.
Corentin de Salle a expliqué sur X que non, « Musk n’est pas d’extrême droite, c’est un libertarien ». Ce, alors que Musk venait d’appeler à voter pour le parti d’extrême droite AFD aux élections allemandes.
C’est principalement sur X (ex-Twitter), le réseau détenu par Elon Musk que Georges-Louis Bouchez et Corentin de Salle relaient les propos et symboles d’extrême droite. Le milliardaire semble exercer une fascination chez ce dernier. Chevaliers blancs de la liberté d’expression, Corentin de Salle et Mathieu Michel ont d’ailleurs été jusqu’à publier une carte blanche au titre particulièrement pervers : « Ne laissons pas la muskophobie (sic) tuer la liberté d’expression ».

Contre le bon sens politique élémentaire, Corentin de Salle a expliqué sur ce réseau que non, « Musk n’est pas d’extrême droite, c’est un libertarien ». Ce, alors que Musk venait d’appeler à voter pour le parti d’extrême droite AFD aux élections allemandes, aujourd’hui placé officiellement sous surveillance en raison de la menace qu’il constitue pour les droits humains en Allemagne.
À côté des messages de soutien de trolls d’extrême droite, qu’affectionne beaucoup Georges-Louis Bouchez, il y a les messages plus sérieux relayés par Corentin de Salle, notamment celui-ci de Ferghane Azihari, le samedi 4 janvier 2025. Les Belges d’origine pakistanaise apprécieront de savoir que Corentin de Salle relaie l’information selon laquelle leur « culture arriérée » décuple le « vice » poussant à « être des pédophiles visant des jeunes filles blanches »8.
Quant à Melissa Amirkhizy, présidente de l’assemblée consultative du MR, elle publie des images racistes comme celle-ci (cf. ci-contre) et cible le 21 novembre 2025, un jeune militant écolo, Rayhan Haddi, se demandant à son sujet « quand est prévu le nettoyage ? » et à la réponse d’un autre utilisateur : « laissons crier ces parasites », elle affirme que non, car « Parfois, la pulvérisation est nécessaire ! » 9(sic).

En ce qui concerne Georges-Louis Bouchez, ses reposts d’utilisateurs et utilisatrices d’extrême droite sont si fréquents (dont au moins un du fondateur du fameux site d’extrême droite « Fdesouche »10) que nous proposons simplement une image, qui vaut bien des discours, celle d’un repost d’un utilisateur au doux nom de « Punisher » qui annonce la couleur : tête de mort entre deux éclairs, rappelant le symbole nazi des SS et tête de mort devenue un symbole de ralliement d’extrême droite. Le président des bleus plaidera l’innocence évidemment. Mais son innocence va, étonnamment, toujours dans le même sens…

Un président, combien de partis ?
Si le ver de l’extrême droite est dans le fruit libéral, il ne l’a pas encore complètement dévoré. Des signaux montrent qu’il reste encore des digues à la base du parti, des réflexes antifascistes ou antiautoritaires qui relèvent d’une certaine évidence pour un pan de la population wallonne.
Ces réflexes se sont donnés à voir lors de l’intégration de personnalités d’extrême droite par le président du MR, que les sections locales ont désavoué ouvertement, comme le conseiller CPAS du MR à Sprimont, Cédric de Buf : « M. Pozzi ne fait pas partie du MR à Sprimont, sa demande d’adhésion ayant été refusée par notre section » ou encore David Vaccari, échevin MR de Mouscron : « Il n’y a pas de place pour ce genre de personnage au sein de notre parti, s’il a voulu s’affilier il sera exclu », ainsi que le Cercle des étudiants libéraux.
Le problème est de savoir si ces membres, qui ont d’ailleurs échoué à bloquer la route à ces militant·es d’extrême droite, représentent véritablement une digue, ou bien une arrière-garde. On pense à la restauratrice libérale liégeoise Charlotte Depierreux, qui avait décidé de quitter le parti lors de l’entrée au MR d’anciens membres du parti d’extrême droite Chez nous. On pense aussi à Louis Michel, qui participe à la réunion du vendredi 7 février 2025 au siège du MR pour débattre a posteriori de l’entrée de militants d’extrême droite au sein du parti libéral… Mais la conclusion de cette réunion fut bien mince, puisque les propositions de « sas » d’entrée ou de « période probatoire » ne furent pas retenues11. Les portes du MR demeurent donc grand ouvertes.
Derrière les communications, des liens bien réels
Selon les informations dont nous disposons, il existe des liens de convivialité entre certain·es membres ou proches du MR et des militant·es d’extrême droite ou apparenté·es. L’amitié, la fréquentation ou le soutien de personnes d’extrême droite ne sont évidemment pas interdits par la loi. Cette réalité permet cependant de mieux comprendre que, loin d’une frontière nette entre la droite et l’extrême droite, il conviendrait de penser les positions de certain·es membres et autres sympathisant·es du MR comme un continuum politique et social. Un spectre allant de la droite à l’extrême droite, une frontière poreuse sociologiquement représentée par des liens amicaux, comme ceux qui caractérisaient les relations entre Corentin de Salle et Drieu Godefridi12, avant que les deux personnages ne finissent par se brouiller. Ces derniers avaient notamment lancé ensemble l’Institut Hayek pour promouvoir un libéralisme réactionnaire au sein du MR. Pari gagné ?
Des relations amicales sont aussi affichées avec ce qu’on nomme la « fachosphère », ces militant·es actifs et actives de l’extrême droite sur Twitter, qui propagent des propos racistes et sexistes, et favorisent des campagnes de harcèlement en ligne. En plus des fréquentations « dans la vraie vie », les relations discursives entre trolls d’extrême droite et membres du MR (dont Georges-Louis Bouchez, Melissa Amirkhizy, Nadia Geerts) s’affichent au grand jour sur X : on se répond, on se reposte, on se prend à partie, et tout cela dans la bonne humeur et la décontraction. Pourquoi ne pourrait-on pas rigoler ou discuter avec des extrémistes, racistes, sexistes, xénophobes ?
Noa Pozzi n’hésite pas à afficher son soutien à l’organisation française UNI, syndicat étudiant radicalisé qui a récemment défrayé la chronique pour son épidémie de saluts nazis.
Les liens, ce sont aussi ceux des militants d’extrême droite passés au MR. Combien sont-ils exactement ? Nul ne le sait. Nous en avons dénombré six au moins issus récemment de Chez nous. Ont-ils soudain coupé les ponts avec leur monde ? Rien n’est moins sûr. Une anecdote pleine d’ironie permet de s’en apercevoir. Le 12 janvier 2025, afin de se défendre des accusations selon lesquelles il serait toujours d’extrême droite, Noa Pozzi, jeune recrue des réformateurs, partage alors un message de soutien. Sauf que… le message en question ne provient pas d’un défenseur des droits humains, mais provient justement d’un compte bien connu comme étant d’extrême droite !
De même, Noa Pozzi n’hésite pas à afficher son soutien à l’organisation française UNI, syndicat étudiant radicalisé qui a récemment défrayé la chronique pour son épidémie de saluts nazis. Outre les anciens membres de Chez nous, au moins deux personnes candidates du Parti populaire en 2018 sont devenues candidates du MR aux élections de 2024. Et dans un autre style, Safa Aykol, bras droit d’Emir Kir et proche des milieux ultranationalistes turcs, a aussi intégré le parti bleu.
Un cas historique de figure d’extrême droite passée au MR est aussi bien connu : il s’agit de Georges-Pierre Tonnelier, ex-numéro 2 du Front national belge. Son passage au MR date de 2004. Mais à l’époque, cette arrivée avait été contestée par le président du parti libéral Antoine Duquesne. En revanche, pour l’ancien collaborateur parlementaire de Daniel Féret (l’ancien président du Front national belge), les choses changent avec le président montois, qui n’hésite pas à le mettre en avant sur X et à normaliser sa présence dans le parti.
Danger pour la démocratie
À entendre le discours de son président, le MR semble ne pas avoir compris une chose : ce n’est pas le fait qu’un parti de droite soit devenu le premier aux dernières élections en Wallonie qui inquiète les observateurs et observatrices. C’est le fait que le premier parti de Wallonie apparaisse de moins en moins comme un défenseur de la démocratie, au-delà des oppositions idéologiques et sociales. C’est le fait que tout ce qui n’est pas lui semble représenter de plus en plus un ennemi à éliminer.
Si « être de droite », la « droite qui s’assume » signifie porter ou diffuser des discours d’extrême droite, des discours qui représentent un danger pour la démocratie, cela signifie que le président du MR a déjà quitté le terrain politique et démocratique commun.
En répondant à chaque fois sur le registre du procès d’intention (du type : « la gauche nous accuse de tous les maux parce que nous avons gagné en nous assumant comme étant de droite »), Georges-Louis Bouchez valide malgré lui ces inquiétudes. En effet, si « être de droite », la « droite qui s’assume » signifie porter ou diffuser des discours d’extrême droite, des discours qui représentent un danger pour la démocratie, conçue de façon substantielle (et non pas purement procédurale), cela signifie que le président du MR a déjà quitté le terrain politique et démocratique commun.
En bref, si le MR n’est pas d’extrême droite, ce qui est certain, c’est que l’extrême droite est aujourd’hui au MR.