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Entre espoir et calcul : quel vote à gauche en Belgique ?

Avant toute chose, je voudrais préciser que ce texte n’est que le fruit de réflexions personnelles, probablement plus proche de la pensée à voix haute que de la certitude irréfragable. N’étant membre d’aucun parti politique, les informations sont essentiellement celles disponibles dans la sphère publique, et peuvent donc à ce titre être, à mon grand dam, partiellement inexactes.

L’approche des élections pose la nécessité de trancher la question de comment convertir un militantisme quelconque (ou même a minima, une indignation quelconque) en un vote le meilleur ou le moins pire possible. S’il est facile de se réjouir de la montée en popularité de Bernie Sanders ou de Jeremy Corbyn, il est peut-être plus difficile de concrètement identifier les possibilités offertes en Belgique.

Commençons par ce qui, pour ce scrutin, m’a semblé le plus évident : ne pas voter PS. Le Parti socialiste, ayant lui-même conscience de l’ampleur de ses compromissions passées (ou actuelles), tente une campagne «plus à gauche». Très bien. Le PTB dit se réjouir (à juste titre !) du changement de paradigme que cela peut représenter, les syndicats se réjouissent, tout le monde s’en réjouit. Mais qu’en faire ? Effectivement, en théorie, il y a une place pour une organisation réformiste sociale-démocrate en Belgique francophone. Cela étant dit, il est légitime de soulever l’imposture complète que peut représenter une promesse politique.

Le PS reste attaché aux traités européens

Il m’a toujours paru extrêmement clair qu’outre la question de la sincérité du Parti et de ses dirigeants (qui peut, sans verser dans le discours du «tous pourris» tout de même légitimement être largement remise en cause) se posait la question de la capacité. Peuvent-ils offrir quelque chose de différent ? De toute évidence, les promesses actuelles du PS restent absolument forgées dans le cadre des Traités européens, non seulement votés à répétition par les socialistes, mais qu’ils continuent de défendre, dans une réplique exacte des débats sur l’UE et sa «Constitution» en France en 2005, en vendant une «Europe sociale» à venir. Paul Magnette a d’ailleurs encore récemment défendu maladroitement son positionnement en faveur du TSCG. Même le preux François Hollande avait eu la décence d’au moins promettre une renégociation des Traités (ce qui, naturellement, a été un absolu mensonge mais peu importe ici). La ligne politique du groupe socialiste européen dont est membre le PS incarne parfaitement cette incapacité à penser l’avenir de leurs pays respectifs (et ici, a fortiori du nôtre) au-delà du cadre d’une Union européenne toujours plus néolibérale économiquement, et toujours moins indépendante sur le plan géostratégique. Cela s’est de nouveau illustré avec la position suiviste de soutien au programme économique du coup d’état institutionnel de Juan Guaido votée au Parlement européen par la quasi-totalité des socialistes européens y compris le PS (alors que pratiquement tous les membres de la gauche radicale européenne – GUE – s’y étaient opposés, et que les Verts européens s’étaient en général abstenus ou opposés au texte). De façon plus décomplexée et qui serait drôle si cela n’était pas un scandale idéologique, le PS a trouvé pertinent de vanter les mérites de l’OTAN dans plusieurs publications Facebook sponsorisées, sans la moindre remise en question de son bilan ou de son rôle sur l’échiquier géopolitique.
Il serait préférable de ne pas encourager la stratégie selon laquelle les trahisons n’ont pas de répercussion.

Aucune politique différente n’est revendiquée

Je suis tout à fait prêt à admettre que bon nombre de militantes et militants (voire même d’élues et d’élus !) sont des gens honnêtes, dévoués et authentiquement de gauche. Cependant, il est flagrant que la direction socialiste (et en ce compris la masse d’élues et d’élus de ce parti) ne souffre d’aucune sérieuse remise en cause non seulement au niveau des personnes, mais aussi et surtout au niveau politique et idéologique. Nous sommes à cent-milles lieues d’une situation comme celle du Labour britannique, qui en quelques années est passé de Anthony Blair à Jeremy Corbyn. Pour le bien même de ces personnes honnêtes, il serait préférable de ne pas encourager la stratégie selon laquelle les trahisons n’ont pas de répercussion pour autant que l’on est disposé à repeindre en rouge son programme à chaque échéance électorale.

Quid du PTB et d’Ecolo ?

Ecolo, dans une analyse que je partage en bonne partie et publiée sur ce site par Hugues Le Paige, est caractérisé par une grande hétérogénéité. Si ce n’était que pour son aile la plus «économiquement libérale», il n’y aurait pas grand-chose d’honorable à en dire, si ce n’est que bien sûr on peut reconnaître des qualités humaines ou techniques parmi ses membres, mais que l’impulsion politique et idéologique générale ne se dirige en aucune façon vers une remise en cause importante. Est-ce que les plus authentiques et radicaux en valent la peine ? À coup sûr, la dynamique à l’intérieur d’Ecolo marque un changement de cap par rapport aux années les plus à droite. Le maintien ou l’arrivée de personnes comme Zoé Genot, Sarah Schlitz, Simon Moutquin ou Philippe Lamberts sont à cet égard des signes encourageants. S’il existait la certitude que cette dynamique débouche sur un parti renouvelé et profondément ancré dans une radicalité plus importante (en particulier aux niveaux économiques et internationaux), la question serait facilement tranchée. De façon certaine, ce sont les candidates et candidats les plus radicaux qui doivent être soutenus. Au-delà des votes de préférence, je n’ai pas la prétention d’avoir la réponse sur les conséquences d’un vote Ecolo. Si le manque de remise en cause du cadre européen ou de certains axiomes néolibéraux chez Ecolo (en particulier dans sa direction) est un fait, il faut malgré tout remarquer une quantité importante de combats sociaux réels, une critique de la politique d’austérité européenne tout à fait notable y compris au Parlement européen, et une ligne internationale qui a pu remettre en cause le soutien tragique à l’intervention occidentale en Libye, maintenir un très fort engagement sur les questions israélo-palestiniennes, ou encore une opposition réelle aux divers traités de libre-échange (TTIP et CETA en tête).

Répéter le moins pire ne fera que nous amener le pire

Enfin, le PTB est assurément un des futurs grands gagnants de ces élections, au moins avec Ecolo du côté francophone. Ceci est une très bonne nouvelle, autant parce que cela représente un symptôme du réveil d’une partie de l’électorat socialiste (et de l’imposture incarnée par celui-ci si longtemps) et plus largement d’un changement de paradigme idéologique en Belgique. Un grand mérite revient à ses militantes et militants. C’est également en grande partie au PTB que nous devons la faiblesse réjouissante de l’extrême-droite francophone.
Cependant, il reste légitime de s’interroger sur la tactique appliquée, notamment au niveau régional, de peu investir les institutions où il possédait des membres, ou encore sur la façon (volontaire et consciente ou non) d’interagir avec certains combats sociaux.

Mon ébauche d’opinion serait de penser qu’une coalition fédérale incluant les écologistes est vouée à la forfaiture. Même dans la conformation politique la plus optimiste, comme celle décrite comme «le rêve» par Paul Magnette d’une coalition d’écologistes, socialistes et centristes/chrétiens-démocrates. Il est clair que l’équilibre politique ne peut assurer qu’un compromis très modéré à l’intérieur de cette coalition, et que dans un contexte où même les partis qui se revendiquent du changement – comme Ecolo ou le PS – ne se donnent pas les moyens de mener une rupture, et encore moins de se battre face à la résistance qui serait opérée par les différentes institutions européennes entre autres, rien de disruptif n’est possible.
«Éviter pire», c’est-à-dire une deuxième coalition MR-NVA, en reste le principal argument. Je ne saurais naturellement en avoir une certitude inflexible (d’autant que sur le plan personnel je ne serai pas celui qui souffrirait le plus de la politique immonde de cette coalition), mais il me parait indispensable de relever les défis de notre pays et de ce monde au-delà de la politique du moins pire, dont on voit qu’elle ne finit que par conduire (au mieux, un peu plus lentement) aux mêmes situations d’inégalités, de tensions et de conflictualité. Répéter le moins pire ne fera que nous amener le pire tant que le mouvement progressiste n’est pas capable de s’armer pour peser réellement sur les choix futurs.

Il est difficile de l’extérieur de dénouer le vrai du faux et qui était en faute à l’époque, mais l’échec de formation d’une coalition progressiste dans les différentes communes où cela était discuté a déçu bon nombre d’entre nous. Le seul niveau de pouvoir significatif où cela serait théoriquement possible serait le régional. Tout le monde joue le petit jeu publiquement de se dire «ouvert», «prêt à discuter» et cetera, alors que tous s’inscrivent malgré tout dans des stratégies beaucoup moins naïves et nobles. À cet échelon de la région, il est défendable de penser que le niveau d’investissement sur les enjeux de mobilité ou d’environnement d’Ecolo méritent de leur accorder un vote. À voir si d’ici-là une attitude plus ou moins hostile vis-à-vis d’une coalition progressiste incluant le PTB est mise en place ou non. Car bien sûr, au-delà des déclarations, l’essentiel est que chaque organisation définisse ses lignes rouges pour une coalition, ce qui ne semble pas le travail de fond discuté aujourd’hui dans aucun parti, et qui permettrait de dépasser le stade des postures et de la rhétorique.

À l’inverse, au niveau fédéral, où sont prises les grandes décisions budgétaires, fiscales, sociales et internationales, c’est le travail du PTB qui pourrait être encouragé. En effet, c’est celui-ci qui a la meilleure capacité (et volonté) d’aider à catalyser les mouvements sociaux qui ne manqueront pas de marquer les années à venir. Dans le même temps, l’envoi à la Chambre d’une nouvelle génération de députées et députés Ecolo beaucoup plus radicaux peut être une excellente nouvelle, si tant est qu’elle n’est pas perdue dans une coalition impotente.

Enfin, au niveau européen, renforcer le groupe social-démocrate revient in fine à renforcer une vision néolibérale de l’Union européenne. Peut-on en dire autant des Verts européens ? Si une certaine hétérogénéité existe au sein du groupe parlementaire, il est de bonne foi de constater que le seul député européen Ecolo, Philippe Lamberts, malgré un acharnement marqué à défendre les institutions et le cadre européens, a effectué un travail considérable de conscientisation sur nombre de thématiques, et porté dans ce cénacle beaucoup de critiques très dures à l’orientation néolibérale et libre-échangiste, en ce compris une opposition nette au TSCG.
Les Verts européens ont par ailleurs annoncé refuser toute coalition européenne qui ne sortirait pas du carcan austéritaire actuel. Étant donné les situations politiques et la composition – probablement très à droite – du futur Parlement européen, une alternative semble très peu envisageable. À l’inverse, envoyer depuis la Belgique un député européen du PTB au groupe de Gauche unitaire européenne serait un signal marquant de l’ancrage de la gauche radicale dans un nombre grandissant de pays, en particulier lorsqu’il est à peu près certain que M. Lamberts sera reconduit.