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Ethique de la proximité

Proximité et clientélisme, les deux faces de la popularité du Parti socialiste ? C’est un peu court. Au coeur de la «Wallonie rouge», comme à La Louvière, la présence des élus auprès du peuple peut être simplement vue comme une forme de «rude humanité».

«Ils n’ont rien compris, ces Wallons !», pestait une militante bruxelloise MR au soir du 7 juin 2009 Le Soir, 8 juin 2009. En sens inverse, que peut-on comprendre de la popularité persistante du Parti socialiste dans la Wallonie rouge, ce territoire que l’on réduit volontiers à l’intersection du «réflexe de solidarité» et de la «dépendance au clientélisme» ? Une chose est sûre : il ne se laisse pas réduire au contraste tape-à-l’œil entre désert économique ou chancre social, et nouveaux pôles de compétitivité. Il faut avoir vu, à La Louvière, les portraits des ouvrières de la faïencerie Boch, réalisés par la photographe du cru Véronique Vercheval, pendant la longue occupation qui a suivi l’annonce de la faillite. Quarante-quatre portraits et sourires debout, exposés à flanc de rue, le long de la palissade qui borde la friche de l’ancienne usine. Dans ce quartier de la gare, à deux pas du centre-ville, mieux vaut ne pas abandonner son vélo (même attaché) trop longtemps. Quelques bandes de gamins en ont fait «leur» territoire, comme souvent à cet âge-là. Et pourtant, il n’est rien arrivé aux images des mères-ouvrières de la ville pendant les quelques mois où elles ont regardé les passants dans les yeux. Un respect indéfini l’a emporté, semble-t-il, sur la tentation nihiliste juvénile… Fruit peut-être, entre autres, aussi, de cette étonnante alchimie interculturelle qui s’est inventée là-bas avec les populations de l’immigration, italienne d’abord. De l’autre côté du carrefour, la nouvelle piscine publique et ses jeux d’eau font le plein depuis l’ouverture en 2008. On y vient même d’assez loin. Un vrai service public, accessible au plus grand nombre et garant d’une large participation aux loisirs. Entre le Point d’eau et la faïencerie, une œuvre du sculpteur local Pol Bury évoque l’inscription de la ville dans la tradition artistique surréaliste. Parmi de nombreux autres, Franco Dragone perpétue aujourd’hui cette force poétique improbable de l’endroit, qui niche quelque part entre les gens et les murs.

Face à un monde de plus en plus insaisissable pour beaucoup, la présence du «Mayeur» ou de l’Échevin des Sports n’a rien, elle, de virtuel : ils rendent l’autorité publique physiquement accessible jusque dans les quartiers, y compris les moins bien lotis.

Une entité comme La Louvière, c’est aussi chaque jour, chaque soir, chaque week-end, ou presque, une conférence-débat, une exposition interactive ou un film à destination des classes scolaires, un concert public d’Indigo, le centre des jeunes, une ducasse de quartier, un souper de société de gilles… Chaque vendredi ou samedi, par exemple, ce sont plusieurs centaines, voir milliers, de personnes qui se trouvent réunies en divers endroits au même moment. Vaste entreprise de développement local et humain au sens fort des termes.

Proximité salvatrice

Derrière tout cela, il y a des bonnes volontés, des associations, des professionnels de la culture et de l’éducation permanente, mais aussi, au centre de plus ou moins tout, le rôle factoriel d’élus et mandataires locaux PS. Le Parti socialiste, longtemps omnipotent, reste en effet omniprésent dans la vie publique quotidienne. Par calcul électoraliste ? Un peu court… La dynamique emprunte, en effet, en les adaptant et en les renouvelant, aux voies et moyens, mais aussi aux objectifs, de l’ancienne éducation populaire de l’action commune socialiste «pilarisée». Par sa nature agissante de parti de masse, le PS conserve en Wallonie, au plan local, une confiance et une légitimité de proximité, que la plupart de ses homologues européens ont perdues en cours de «modernisation». Nombre de politologues, on le sait, ne voient d’ailleurs dans cette «survivance d’un autre âge» que la force d’inertie d’un des partis social-démocrates qui se serait le moins rénové en Europe Benoît Rihoux, «De Franstalige mirakels van 7 juni» (Les miracles francophones du 7 juin) dans De Morgen du 11 juin 2009. Tout dépend, évidemment, de ce que l’on entend par rénovation… Et par proximité, terme trop exclusivement synonyme de populisme ou de paternalisme dans l’imaginaire contemporain. Première image d’Epinal : la tournée des soupers dédaigneusement qualifiés de «boudin-compote». En s’y montrant, ne serait-ce qu’un moment, les représentants locaux du «parti» contribuent simplement – mais c’est déjà parfois beaucoup pour qui en a besoin – à revigorer un instant un sentiment de sécurité qui s’étiole. Face à un monde de plus en plus insaisissable pour beaucoup, la présence du «Mayeur» ou de l’Échevin des Sports n’a rien, elle, de virtuel : ils rendent l’autorité publique physiquement accessible jusque dans les quartiers, y compris les moins bien lotis. Est-ce un mal (wallon) ? Contrairement aux idées reçues, on y fait moins commerce de logements sociaux ou d’appuis politiques que de simple et parfois rude humanité. Les élus locaux, on le sait, siègent aussi souvent dans l’un ou l’autre conseil d’administration d’une association d’éducation permanente, d’une télévision locale, d’une intercommunale… Mais l’on n’y fait pas que collectionner les jetons de présence ou tisser la toile de son pouvoir. On s’y efforce tantôt de résoudre un problème syndical interne, tantôt de trouver les moyens de survie pour l’institution en concertation avec le personnel, tantôt de redéployer l’activité en fonction des lignes budgétaires provinciales… «Indécents cumuls», selon les adeptes de la (bonne) gouvernance… Ces esprits purs ignorent, du haut de leurs beaux principes, que l’éthique, comme l’a écrit Edgar Morin, est affaire complexe et fragile. Car, dans l’action, elle doit se mesurer à l’aune de l’ambiguïté, de la contradiction, de l’incertitude de résultat, de la colère, de l’espoir, de l’incompréhension… du réel… Il est peut-être là, plus qu’ailleurs, le fameux «fossé». Moins entre les hommes politiques et les hommes de la rue, qu’entre ceux qui sont censés dire le monde et ceux qui le vivent, ou, du moins, tentent de le vivre.