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Exclusion et inclusion chez les nouveaux pauvres [introduction]

L’Année européenne de Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale vient de s’achever. Cette année thématique a eu lieu pendant une année clé. Au niveau européen, 2010 sonnait tant la fin de la Stratégie dite « de Lisbonne » que le début de la nouvelle Stratégie Europe 2020. La première fut décidée en 2000 pendant le Conseil européen de Lisbonne. Elle dessina alors un programme stratégique de dix ans qui indiquait où, à l’horizon de 2010, l’UE devait se situer. L’objectif premier était de faire de l’Union « l’économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein-emploi avant 2010 ». Autre objectif : réduire de façon considérable la pauvreté dans l’Union. Non seulement l’objectif initial – et abandonné à mi-parcours – d’une réduction significative de la pauvreté n’a pas été rencontré en 10 ans (les inégalités se sont même creusées). Mais aussi, les Vingt-Sept n’ont pas atteint leur objectif de devenir la première économie de connaissance du monde. La deuxième Stratégie est en cours de mise en place. Elle accentue à nouveau la croissance comme objectif principal vers 2020 (et ce triplement, joliment emballée par les qualificatifs suivants : croissance intelligente, durable et inclusive) et comportera cinq objectifs principaux L’emploi, la recherche, le développement et l’innovation, le changement climatique et l’énergie, l’Éducation et la pauvreté et l’exclusion sociale dont le dernier vise à sortir au moins 20 millions d’Européens de la pauvreté. 20 millions sur quelque 84 millions d’Européens, voire sur quelque 120 millions d’Européens (selon les indicateurs sur lesquels on se base). Comment y arriver ? Moyennant quelles mesures ? Où ? Selon quels critères ? Toutes ces questions restent lettre morte ! Même la Plateforme européenne de lutte contre la pauvreté – créée dans le cadre de la Stratégie Europe 2020 et dont une première description officielle fut enfin publiée à la mi-décembre 2010 – ne le spécifie pas encore de manière satisfaisante.

La pauvreté que vivent et connaissent de trop nombreuses personnes dans notre riche Europe est un déni des droits fondamentaux.

On estime qu’il y a, dans l’Union, quelque 20 millions d’enfants vivant avec un risque accru de pauvreté. Et si c’étaient eux, les enfants et les jeunes, qui seront sortis de la pauvreté ? Cette question est évidemment une boutade… La pauvreté que vivent et connaissent de trop nombreuses personnes dans notre riche Europe est un déni des droits fondamentaux. Et toute personne doit pouvoir jouir des droits fondamentaux et du plein accès aux services (sociaux) de base et d’intérêt général. Dans le présent Thème, nous souhaitons aborder la question de la pauvreté sous l’angle des jeunes. Non pas parce qu’il s’agit d’une problématique qu’il faut traiter et résoudre de façon isolée. Même, évidemment, s’il y a des particularités à prendre en considération. La lutte contre la pauvreté ne peut être l’affaire d’un seul département, d’une seule administration. Tant qu’il n’y a pas de changements fondamentaux dans la conception, l’organisation et l’implémentation des politiques structurelles (emploi, logement, enseignement, santé…), génératrices d’exclusion et de pauvreté, les seules « politiques sociales » (y inclue la lutte contre la pauvreté) ne pourront remédier aux inégalités sociales, toujours croissantes. Mais qu’entendons-nous par pauvreté ? Elle est, selon une définition utilisée assez régulièrement, « un ensemble d’exclusions sociales qui concerne plusieurs domaines de l’existence individuelle et collective. Cet ensemble exclut les pauvres des modes de vie généralement acceptés dans la société. Ils ne peuvent pas surmonter ce clivage par leurs propres moyens » J. Vranken, G. Campaert, K. De Boyser & D. Dierckx, Armoede en sociale uitsluiting. Jaarboek 2007, Acco, Leuven, p. 36. Les auteurs rajoutent, à ce caractère « multi-aspectuel » de la pauvreté, un cadre plus large et multidimensionnel Quatre dimensions sont ajoutées et expliquées : le temps, la hauteur, la largeur et la profondeur de la pauvreté. Voir Vranken et al., op.cit., p. 37. Nous souhaitons qu’à travers les différentes contributions de ce dossier, ces multiples dimensions et aspects soient relevés ou illustrés. Car qui dit pauvreté des enfants, ne dit-il pas aussi pauvreté de la famille de ces enfants ? Ne dit-il pas également défaillance de notre système éducatif et d’enseignement qui doit pouvoir offrir des chances égales à tout élève ? Ne dit-il pas non plus que pour pouvoir décrocher un premier boulot, à la sortie de l’école ou de l’université, il faut d’abord qu’il y en ait ? Les jeunes ont la première tribune dans ce dossier. Pierre Doyen relate l’expérience de jeunes qui s’expriment sur l’exclusion sociale et ce sur une autre tribune : celle du théâtre. Samira Castermans nous fait part, ensuite, du caractère multidimensionnel de la pauvreté des enfants, en mettant en avant les priorités telles que vécues dans les associations flamandes où les personnes en situation de pauvreté prennent la parole. Françoise De Boe et Marilène De Mol embraient en soulignant que ces différentes dimensions peuvent constituer un cercle vicieux. Pendant la Présidence belge de l’UE, la lutte contre la pauvreté des enfants fut une des trois priorités du secrétaire d’État Philippe Courard ? Il en explique ici les enjeux. Les chiffres parlent souvent d’eux-mêmes : Anne-Catherine Guio et Rébécca Cardelli nous livrent quelques statistiques parlantes dans un petit encadré. Les jeunes bougent. Mais dans quelle mesure la mobilité leur permet-elle de s’approprier des biens (culturels…) et de ne pas connaître un certain confinement. Zoom sur une expérience de mobilité de jeunes dans un contexte urbain, ensuite, par Madeleine Guyot accompagné d’un encadré illustratif d’Olivier Mouton. Nicolas De Kuyssche souligne quant à lui le rôle et l’importance des écoles de devoirs dans l’accrochage scolaire. D’école, il est également question dans les propos sans langue de bois de Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant. Mais aussi d’accueil, de famille et de non-résistance des droits de l’enfant face à l’épreuve de pauvreté. Jean Blairon nous fait, par la suite, un plaidoyer de lutte contre la… richesse, en en illustrant les enjeux dans le secteur de l’aide à la jeunesse. Richesse… que l’on commence à accumuler dès ses premiers salaires ? Xavier Dupret nous indique le contraire. La dépréciation salariale des jeunes est de mise depuis longtemps. Edwin de Boevé explicite, pour sa part, les enjeux du travail social de rue dans un contexte sécuritaire. Enfin, Christine Mahy clôt le dossier en donnant la parole aux… parents. Car les enfants pauvres issus de familles riches, ça ne court pas la rue. Ce Thème a été coordonné par Christine Mahy et Stephan Backes (respectivement présidente et chargé de mission du Réseau belge de lutte contre la pauvreté – BAPN).