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Extrême droite : bien la comprendre pour mieux la combattre

Où en est-on aujourd’hui avec l’extrême droite ? En Belgique, le sujet est souvent traité de manière très différente entre le Nord du pays, où le Vlaams Belang réalise des scores de plus en plus important, et le Sud, qui se considère comme une sorte d’îlot miraculeux sans extrême droite organisée. Mais le tableau est-il si simpliste ? En se penchant sur « Extrême droite. L’histoire ne se répète pas… de la même manière » [1.Livre publié dans la collection Place publique des Éditions du Cerisier. L’édition originale en néerlandais Extreemrechts. De geschiedenis herhaalt zich niet (op dezelfde manier) a paru aux Éditions ASP. La traduction a été assurée par Olivier Starquit, co-auteur avec Julien Dohet de l’ouvrage La bête a-t-elle mué ? Les nouveaux visages de l’extrême-droite, Éditions du Centre d’action laïque, collection Liberté j’écris ton nom.], récent ouvrage de Vincent Scheltiens et Bruno Verlaeckt, Politique veut ouvrir l’horizon de ses lecteurs et lectrices à un nouveau point de vue. Les auteurs, respectivement historien et assistant au département d’Histoire de l’université d’Anvers et président de la Centrale générale FGTB Anvers-Waasland, suivent le sujet depuis longtemps.

Dans une interview au périodique de l’ACOD Onderwijs, Vincent Scheltiens indique que ce livre a été conçu pour armer ceux qui sont confrontés à l’extrême droite de deux manières : d’abord par un regard vers le passé examinant les périodes que l’on cite régulièrement dans les débats contemporains, ensuite en allant voir au-delà de nos frontières où les différents mouvements qui se développent ont un grand nombre de points communs. Avec Bruno Verlaeckt, dans un autre entretien, cette fois avec le Masereelfonds, il invite l’ensemble de la gauche à développer une nouvelle utopie face à l’extrême droite.

Partant de leur ancrage en Flandre, où le danger de voir le Vlaams Belang accéder au pouvoir en 2024 tant dans les communes qu’au gouvernement régional flamand est bien réel, ils estiment qu’il est urgent d’ouvrir un débat sur le plan stratégique.

Le trou dans la haie et le véritable danger

En 2002, l’ancien président du SPA, Steve Stevaert, développait à propos de l’extrême droite la métaphore suivante : « Qui taille sa haie pour éliminer un trou ne fait que l’agrandir. Par contre on peut laisser pousser la haie pour que le trou se referme, mais alors il faudra vous occuper de sa nutrition, de son acidité, et non du trou. » La stratégie serait donc de bien d’agir et de ne pas regarder en arrière. Mais alors qu’est-ce exactement que « bien agir » se demandent les auteurs. Pour eux, Stevaert avait, partiellement, raison : il faut une nouvelle perspective globale et solidaire, accompagnée de résultats tangibles, pour éloigner les gens de l’extrême droite, à tout le moins ceux d’entre eux qui ne sont pas consciemment racistes ou extrémistes de droite.

Mais ils estiment que pour bien « s’occuper de la haie », il faut aussi considérer comment le trou s’est développé. À l’échelle européenne, il n’a jamais été aussi important depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et ils insistent : associer le « trou dans la haie » à la crise économique conduit à ignorer d’autres causes structurelles, et notamment le fait que l’extrême droite a systématiquement « accompagné » le capitalisme et la modernité depuis la fin du XIXe siècle.

Au passage, ils estiment improbable le risque de voir la Flandre réellement se déclarer indépendante, comparant la N-VA à la grenouille de Lafontaine qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Au-delà des spéculations électorales et des rêves séparatistes, il leur paraît que le danger de l’extrême droite réside dans des évolutions plus fondamentales :

  • La capacité avérée qu’elle a montrée de rallier à elle les travailleurs et les jeunes en développant un langage complotiste et raciste.
  • Ses tentatives de mobilisation physique, à peu de frais, de ses partisans, ce qui fait le buzz et masque son incapacité à mobiliser les masses, par exemple lors de la manifestation organisée par le Vlaams Belang au Heysel en septembre 2020.
  • La pratique par la périphérie des partis d’extrême droite, de violence contre les migrants, les figures de gauche, les syndicats, tandis que leurs dirigeants font comme s’ils n’y étaient pour rien.
  • Les effets les plus pervers de son action résident dans la manière dont elle réussit pleinement à influencer les partis de la droite classique et du centre, qui incorporent progressivement des morceaux de son discours et de son programme. Son discours est ainsi normalisé.
  • En Flandre[2.Comme en France au fond.], l’extrême droite exerce en permanence une pression sur les médias traditionnels[3.Évolution récente intervenue depuis la publication du livre, le VB a créé son propre site de podcasts et l’a inauguré en invitant successivement Dyab Abou Jahjah (auteur et militant controversé) et Rik Torfs (ancien recteur de la KUL) à y converser aimablement avec Tom Van Grieken, président du VB.] et sur les journalistes qui ont « l’audace » de garder leur indépendance par rapport au discours dominant ; sous cette pression une bonne partie d’entre eux plient.
    Mesure-t-on pleinement le danger que représente l’extrême droite et la normalisation pernicieuse et rampante de certains éléments de son langage et de son message ? Indépendamment des racines et références historiques spécifiques, chaque parti ou organisation d’extrême droite opte actuellement pour une stratégie d’intégration à la « bande passante » démocratique.

De l’usage abusif du terme fascisme

L’utilisation inappropriée ou imprudente du terme fascisme conduit selon les auteurs à une « déflation du concept ». Tout le monde devient le fasciste de quelqu’un : « vlazis » (contraction de vlaams et de nazi, à l’égard des nationalistes flamands[4.Même si une partie de la N-VA a des sympathies avec l’extrême droite et les anciens collaborateurs, mettre tous ses membres dans le même sac est une erreur d’analyse, estiment les auteurs.]),« nazis de la langue », « écofascistes », « féminazies », « islamofasciste », etc. Il ne faut toutefois pas renoncer pour autant à toute comparaison avec l’entre-deux guerres : la similitude se marque en particulier par l’escalade verbale de propos stigmatisants, par exemple à l’égard des demandeurs d’asile.

Certains chercheurs situant l’évolution de l’extrême droite dans une période historique longue, mettent en évidence un point important : selon eux, elle doit être reçue comme une conséquence de la modernité capitaliste, comme un phénomène qui dépasse la simple crise qui a eu lieu entre les deux guerres.

Outre l’apparition de la « révolution conservatrice » de la fin du XIXe siècle, qui rejette l’héritage des Lumières, il y a aussi parallèlement l’apparition de mouvements d’extrême droite qui se distinguent à la fois par un « populisme anticapitaliste », par un antisémitisme violent, et par une hostilité à l’encontre du mouvement ouvrier. Au cours de l’entre-deux guerres de nombreux pays démocratiques se sont dotés de régimes autoritaires se définissant comme « anticommunistes d’abord et démocrates ensuite ».

L’observation des régimes hongrois ou polonais actuels renvoie également à cet illibéralisme, s’attaquant à tous les contrepoids (syndicats, indépendance de la magistrature et des journalistes). Les tentations autoritaires se répandent partout sur le globe (Russie, Brésil, Turquie…) avec des régimes illibéraux accompagnés de milices ou de troupes de choc, allant jusqu’à attaquer les parlements eux-mêmes (comme aux États-Unis avec l’assaut du Capitole). Les variantes actuelles du fascisme peuvent donc être impulsées d’en haut avec un scénario où la corrélation entre le pouvoir et le mouvement de masse est inversée par rapport au fascisme « classique ».

De retour sans avoir jamais disparu

L’extrême droite est donc de retour… sans avoir jamais disparu. Les auteurs estiment que, pour paraphraser la lutte contre le coronavirus, la courbe a été infléchie mais jamais écrasée. Dans la période dite de la « Guerre froide », les réseaux d’extrême droite ont été tolérés, voire sollicités, comme alliés dans la lutte contre le communisme. De plus, la lutte contre les restes du fascisme et le nazisme a été menée avec des degrés très variables : très peu en Autriche, mollement en Allemagne. Dès le début des années 1950 des partis d’extrême droite sont réapparus dans ces trois pays.

En Flandre, une propagande bien menée a tendu à faire croire que de nombreuses personnes innocentes avaient été injustement poursuivies pour faits de collaboration. Il se serait agi d’une simple « erreur tactique » d’idéalistes du mouvement flamand. Cela permit à la Volksunie[5.« Vlaamse vrije demokraten ». Ce parti nationaliste flamand connut plusieurs scissions, aboutissant notamment à la création du Vlaams blok, de la N-VA (commençant par un cartel électoral avec le CD&V), et d’un petit parti de gauche « Spirit » qui rejoignit ensuite les socialistes flamands. Des élus rejoignent individuellement les libéraux flamands (comme B. Somers ou V. Van Quickenborne).] de ratisser large et de voir cohabiter en son sein de vrais démocrates et des nostalgiques notoires de la collaboration, sans oublier l’accueil bienveillant fait à certains collaborateurs par le CVP[6.Christelijke volks partij, devenu depuis le CD&V.]. Mais il y eut aussi, après la Deuxième Guerre mondiale, la persistance de réseaux ultraconservateurs « belgicains », farouchement léopoldistes[7.Voir notamment l’excellent film-document de Christian Mesnil, La Question royale, 1975.], impliqués notamment dans l’assassinat du leader communiste liégeois Julien Lahaut[8.Julien Lahaut fut assassiné le 18 août 1950 à Seraing. Jean Louvet lui rendit hommage dans sa pièce L’homme qui avait le soleil dans sa poche.]. Le Parti social-chrétien (PSC) devint pour certains d’entre eux une auberge espagnole accueillante, jusqu’à la dissolution de son aile droite, le Cepic[9.Centre politique des indépendants et des cadres.], en 1982.

Rappel utile : les auteurs soulignent combien les États-Unis et certains États européens ont été complaisants avec les régimes fascistes restés en place en Espagne et au Portugal jusqu’au milieu des années 1970.

Le néolibéralisme et la pulvérisation des identités sociales

Les auteurs s’intéresse aussi au rôle de l’histoire économique. Le boom de l’après-guerre ayant connu une fin brutale, la récession a frappé durement à plusieurs reprises. Outre des mesures brutales d’assainissement budgétaire, l’économie et l’organisation du travail ont été modifiées et accompagnées de tentatives de restructuration de l’État social de l’après-guerre, reposant sur une relation triangulaire entre les entreprises, le gouvernement, et les représentants des travailleurs. La place et l’influence syndicale est contestée et réduite au profit de celle des entreprises.

Cette évolution s’accompagne d’un début de privatisation des services publics, l’économie financiarisée prend le pas sur l’économie réelle, la flexibilité et la précarité deviennent progressivement centrales. C’est le triomphe du dogme du « ruissellement » et de la novlangue thatchérienne valorisant l’individualisme comme une source de libération. Le choix des démocrates-chrétiens et des sociaux-démocrates de suivre l’évolution vers cette « troisième voie » laisse une grande partie de leurs électeurs complètement désorientés à la merci du néolibéralisme. Face à cette perte d’appartenance, le racisme a été activement répandu par ceux qui estimaient pouvoir tirer profit de ces amalgames entre les « étrangers » et l’insécurité, comme ce fut le cas dans les années 1930.

Étant bien entendu que sous la dénomination générique de « l’extrême droite », il est question d’un phénomène hétérogène, Vincent Scheltiens et Bruno Verlaeckt montrent combien ces partis et mouvements ont en partage le nationalisme, la xénophobie et le racisme (en particulier à l’égard des juifs et des musulmans), l’homophobie, la haine des féministes et des transgenres. Mais ils s’opposent également aux grandes entités supranationales, en particulier l’Union européenne, tout en prônant une vision de l’Occident aux frontières hermétiquement fermées.

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L’Alt-right, les faits alternatifs et l’ampleur de la vague

L’extrême droite opère aujourd’hui, notamment via les médias sociaux, avec un langage spécifique : théories du complot, « fake news », etc. Le recours à des « vérités alternatives » renvoie au concept de la « métapolitique » d’Antonio Gramsci, décrit par le regretté Jan Blommaert[10.Jan Blommaert, sociolinguiste et anthropologue, professeur à l’Université de Tilburg (Pays-Bas). Il a collaboré peu avant son décès en janvier 2021 au n°111 de Politique : voir sa contribution « Le cordon sanitaire est une passoire ».] comme « une politique qui s’attaque aux significations et aux concepts et formes existants de rationalité, pour lui en substituer progressivement une autre ».

L’action de l’Alt-right (Alternative Right) se répand partout en Europe et en Amérique du Nord. En se servant de la notion de guerre culturelle[11.Fait notable, cette notion est également apparue récemment dans le discours du président du MR.], elle cherche à conquérir une hégémonie idéologique. Elle s’attaque à des valeurs essentielles et centrales du patrimoine historique humaniste et démocratique comme l’égalité et les droits humains.

Comme le souligne Ico Maly[12.Ico Maly, spécialiste de la culture, professeur associé à l’Université de Tilburg. Lire sa contribution au n°111 de Politique « Pour la renaissance des peuples européens ».], il est crucial de semer le doute et d’amener pas à pas des opinions plus « douces » à s’engager dans des discours qui reprennent des fragments de ses expressions. Cette infiltration du discours de l’Alt-right dans des courants plus conventionnels repousse les limites du verbalement tolérable. Quiconque veut y mettre un terme est accusé de « censure » ou de « cancel culture ». « Nous n’avons pas/plus le droit de dire… » ; cette petite phrase répétée à foison vient renforcer la théorie du complot de la soi-disant hégémonie culturelle de la gauche.

L’ampleur de cette quatrième vague est sans précédent depuis les années 1930 : dans quinze pays européens, les partis d’extrême droite ont obtenu entre dix et vingt pour cent lors des récentes élections nationales, voire ont dépassé les vingt pour cent. Mais elle se distingue, insistent les auteurs, par une intégration et normalisation impressionnantes de ses acteurs et de leurs idées. Les idées de l’Alt-right contaminent la droite classique et une partie de la « gauche socio-libérale ».

Un exemple particulièrement frappant : une partie importante du programme en septante points de 1992 du Vlaams blok a selon Vincent Scheltiens et Bruno Verlaecht été mise en œuvre par les gouvernements flamands et fédéraux successifs[13.« 70 Puntenplan van het VB : wat werd uitgevoerd en wat niet », Knack, 23 mars 2016.]. La condamnation morale de la maltraitance des plus vulnérables est rejetée par beaucoup, accompagnant ce rejet d’un soupir condescendant sur la prétendue « supériorité morale de la gauche », cible favorite des nombreuses interventions médiatiques d’un Théo Francken.

Les partis d’extrême droite veulent se défaire d’une continuité programmatique ou formelle avec le passé : on est passé du port des uniformes à celui des costumes trois pièces. Ils trépignent d’impatience, aspirant à la prise du pouvoir par le processus électoral. Après tout Hitler n’a-t-il pas été désigné comme chancelier par le Reichstag après avoir participé aux élections ? Comme Philippe Pétain recevant les pleins pouvoirs du Parlement français.

L’Astérix « wallon »

Sortant, et on est en droit de le déplorer, la réalité bruxelloise de leur analyse, les auteurs s’interrogent sur les raisons pour lesquelles la Wallonie semble être jusqu’ici une forteresse imprenable pour l’extrême droite, telle un territoire d’irréductibles gaulois.

Rappelant que certaines recherches ont estimé peu importantes les différences d’opinions politiques entre Wallons et Flamands, ils soulignent que ce sont les principaux partis politiques qui imposent la priorité des thématiques et diffusent leur influence idéologique ; l’influence des partis de gauche en Wallonie pèse donc de tout son poids dans ce constat. Par ailleurs, c’est rarement par manque d’un terreau potentiel mais aussi en raison de l’état des organisations elles-mêmes : si l’extrême droite ne cartonne pas en Wallonie, malgré un nombre important de tentatives avortées, c’est aussi en raison de leurs faiblesses.

Mais, soulignent Vincent Scheltiens et Bruno Verlaeckt, il faut y ajouter deux choses essentielles : l’existence d’un « cordon médiatique » dans les médias francophones, d’une part, et la réaction forte de la société civile et des organisations de gauche dès qu’un embryon de groupe fasciste fait son apparition d’autre part.

L’horreur du vide : du social à l’identitaire

Suite au attentats du 11 septembre 2001, les partis d’extrême droite ont encouragé la confusion entre le fondamentalisme islamiste avec l’ensemble des musulmans, et en ont fait une nouvelle arme dans l’arsenal du racisme. Ils se sont érigés en défenseurs et protecteurs des « normes et valeurs occidentales » tant face aux terroristes qu’aux réfugiés chassés par la guerre et la misère. On a assisté dans le monde occidental à une panique morale : une réaction disproportionnée, hostile et très médiatisée.

Que l’islamophobie soit devenue le credo de l’extrême droite ne signifie pas pour autant que l’antisémitisme soit éradiqué, soulignent les auteurs. En témoigne, par exemple, les discours dénonçant une prétendue conspiration juive dirigée par le milliardaire Soros visant à inonder la Hongrie d’une vague migratoire de musulmans, relayés par le Premier ministre hongrois Viktor Orban.

L’extrême droite veut amplifier la fécondité de son « propre peuple » pour faire face au « grand remplacement » théorisé par Renaud Camus[14.Renaud Camus : écrivain et militant politique français condamné en 2014 pour provocation à la haine et à la violence.] ou Geert Wilders[15.Geert Wilders : député et dirigeant du PVV aux Pays-Bas, nationaliste, souverainiste et populiste ; condamné en 2016 pour incitation à la haine et à la discrimination raciale et religieuse.]. Selon eux, les prétendus envahisseurs étrangers , qui veulent « détruire notre culture » sont aidés par « l’élite de gauche ». Tout comme la fabrication d’ennemis imaginaires effrayants, il est important pour l’extrême droite de se doter d’ennemis internes, sorte de cinquième colonne[16.L’expression « cinquième colonne » désigne les partisans, cachés au sein d’un État ou d’une organisation, d’un autre État ou d’une autre organisation hostile. Elle a été utilisée pour la première fois pendant la guerre civile espagnole par le général franquiste Mola.]. Tout cela renvoie également à la théorie culturelle raciste du politologue américain Samuel Huntington du « choc des civilisations[16.Lire à ce propos l’excellent ouvrage de Roland de Bodt, Neuf essentiels pour déconstruite le « choc des civilisations », Culture & Démocratie, Bruxelles, 2011.] ».

Des fragments de ce discours gagnent à droite où l’obsession de l’identité est progressivement devenue un terrain d’entente comme le montrent bien les surenchères en cours tant en France qu’en Espagne. Mais aussi en Flandre où la VRT doit, selon son nouveau contrat de gestion, consacrer, comme le soulignent les auteurs, une attention particulière aux « évènements et moments commémoratifs relatifs à l’identité et à la culture flamande ». Une commission a été créée pour élaborer un « canon flamand », nomenclature des points d’ancrage de la culture et de l’histoire flamande.

L’obsession identitaire repose également, nous disent les deux auteurs, sur un aspect socio-économique pour le moins contradictoire : le nativisme social. Pour Thomas Piketty[18.T. Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.], le concept rassemble à la fois des nantis et des démunis qui préconisent un recul historique et le retour à des frontières imperméables. Avec un tel message, l’extrême droite touche à la fois les personnes les plus démunies et des couches sociales disposant de revenus modestes.

Aucun parti d’extrême droite ne se présente devant des travailleurs pour dire qu’il faut préserver les taux de profit. Le gâteau est partagé selon eux avec des personnes qui n’y auraient pas droit : les « profiteurs », « bouffeurs de subventions », et les demandeurs d’asile qui parasiteraient la sécurité sociale. Et le Vlaams belang défend en même temps et ardemment les cadeaux fiscaux aux multinationales, « pour créer un climat favorable aux entrepreneurs » il s’oppose à l’impôt sur la fortune, défend le gel des salaires…

Le bien-être social a toujours été le produit de luttes collectives et de revendications sociales, rappellent les auteurs. Une lutte solidaire que toutes et tous – quelle que soit leur couleur ou leur origine – ont menée conjointement. De tout temps et partout, l’extrême droite était de l’autre côté de la barricade.

Resocialiser, repolitiser

Plaidant en faveur du maintien du cordon sanitaire[19.Engagement à ne pas former de majorité politique avec l’extrême droite.], les auteurs soulignent combien il perturbe le Vlaams Belang dans sa quête de respectabilité. Ils recommandent aussi la mise en œuvre en Flandre d’un cordon médiatique pour contrer la normalisation des idées de l’extrême droite.

Ils recommandent de ne pas abuser du terme « populisme », soulignant qu’il ne s’agit pas là d’un pinaillage sémantique mais d’une option qui a des implications stratégiques. Le recours à ce vocable dépolitisant présuppose l’existence d’un antagonisme entre une « élite » et un « peuple » définis chacun comme un bloc compact, ce qui ne correspond pas à la réalité. Mais aussi et surtout, une fois que le concept de populisme commence à être utilisé, les contradictions gauche-droite s’effacent : les personnes qui œuvrent pour les droits humains sont mises sur le même pied que celles qui œuvrent pour la discrimination.

Par ailleurs, ils soulignent que l’action antiraciste et la défense des droits démocratiques ne peuvent à elles seules enrayer le développement de l’extrême droite. Si l’on veut gagner il faut présenter et défendre un projet social alternatif chaleureux, humain et généreux pour restaurer la fraternité et la solidarité. Il faut se concentrer sur une utopie concrète qui ambitionne un changement social fondamental, et la construction de l’action collective, la crise du covid-19 devant être considérée à cet égard comme un point de non-retour[20.Curieusement les enjeux écosocialistes ou écologiques sont absents de ce raisonnement. On a un peu de mal à comprendre pourquoi.].

Et c’est ici que Vincent Scheltiens et Bruno Verlaeckt nous renvoient à nos responsabilités.

(Image dans la vignette et l’article sous CC-BY 4.0 ; un drapeau du Vlaams Belang, pris en photo en mai 2015 par Tömmchen ; la reproduction de la couverture Extrême droite. L’histoire ne se répète pas… de la même manière demeure sous copyright des Éditions du Cerisier et n’est utilisée ici qu’à titre illustratif.)