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Femmes au bord du gouffre de verre

«Devoir d’été : aidons notre roi Albert. Plus le temps passe, plus la formation d’un gouvernement exige de l’imagination, ne serait-ce que pour nommer les diverses missions confiées aux politiques : informateur, formateur, médiateur, explorateur, préformateur… Des idées… ? − Innovateur ? − Scribouilleur ? − Carabistouilleur ? Voilà qui aurait de la gueule, non ? «Quand j’étais jeune, j’ai été carabistouilleur royal» – ça, c’est une mention sur un CV ! − En tout cas, quel que soit le nom, une chose est sûre : ce sera un mâle. Jusqu’ici, le roi n’a pas poussé l’imagination et l’audace jusqu’à penser qu’une femme, une seule, aurait assez d’expérience, de crédibilité, de doigté pour démêler nos noeuds politico-institutionnels. − Là, vous exagérez, il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’on ait – enfin ! – une femme première ministre. Marianne Thyssen a longtemps tenu la corde avec Elio Di Rupo. Les électeurs, et électrices, en ont décidé autrement. − Tu veux rire ? Il ne s’en est pas fallu d’un cheveu, mais d’une perruque entière ! Marianne Thyssen présente justement une belle illustration de l’utlité des femmes en politique. Voilà une députée européenne qui est très bien là où elle est et ne demande rien à personne. Leterme se casse la figure, il va la chercher comme présidente d’un CD&V en détresse. Il la pousse à conduire la liste au Sénat, car il n’a aucune envie, lui, de tomber de «Monsieur 800 000 voix» à «Monsieur voie sans issue». Qui aura fait plonger le parti ? Pas lui ! − Et ce n’est pas un cas unique en politique belge… Caroline Gennez est arrivée à la tête du SP.a après une défaite cinglante. Un Spirit moribond a été confié à Bettina Geysen. Et le PSC ne pétait pas la forme quand Joëlle Milquet l’a pris en mains… − Deux psychologues anglais ont formalisé ce phénomène, sous le terme de «gouffre de verre» De Standaard, 22 mai 2010. Exemples : confier à une femme une circonsription ou des places sont perdues d’avance ; envoyer une femme comme avocate dans une affaire probablement perdue ; désigner une femme comme administratrice dans une société en voie d’effondrement. Ils ont reproduit ce résultat en situation expérimentale, en demandant à des étudiant-e-s de choisir un homme ou une femme dans diverses situations et systématiquement, la femme était choisie là où le risque de chute était le plus grand… D’où le «gouffre de verre», en référence au «plafond de verre», cette limite invisible qui bloque les femmes dans l’accession vers les plus hautes responsabilités. Et les femmes acceptent ce piège, car une telle occasion de montrer de quoi elles sont capables risque de ne pas se représenter. − Alors aujourd’hui, quand on constate une certaine et modeste féminisation des conseils d’administration, ce serait un pur effet de la crise ? − Probable… Et si jamais ça ne marche pas, on pourra toujours conclure : ah ben évidemment, c’était une femme… − Mais une autre interprétation est possible : en période de crise, on choisit des personnes prudentes, ouvertes aux idées des autres, capables d’écouter autre chose que leur ego… des femmes, quoi ! − Affaire de stéréotypes plus que de réalités, voir Margaret Thatcher… − Notez bien, si les femmes sont vraiment appelées à la rescousse dans les situations désespérées, on a toutes les chances d’avoir une femme «défricheuse» ou «raccomodeuse»…