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Financement de crise : le gouvernement De Croo peut dire merci à l’Union européenne

Alexander De Croo en juillet 2022. (Bruno Schoonbrodt,  CC BY-NC-SA 2.0 )
Alexander De Croo en juillet 2022. (Bruno Schoonbrodt, CC BY-NC-SA 2.0 ) © Bruno Schoonbrodt

Les deux crises que nous avons traversées sont particulièrement révélatrices de la façon avec laquelle la Belgique met en œuvre la solidarité, par la redistribution des plus nantis à ceux qui le sont moins. En se penchant sur l’évolution précise du financement des crises, on découvre que, loin de l’image libérale du laissez-faire, l’Union européenne s’est révélée, en fait, un moteur de solidarité face à un gouvernement De Croo paralysé sur le sujet de la taxation.

Le gouvernement De Croo (Open VLD/Vooruit/CD&V/Groen/PS/MR/Ecolo) ne connait quasiment  que la crise[1. Cet article s’inspire et reproduit certains passages de L. Rigaux, « La politique fiscale belge en temps de crise. De la Première Guerre mondiale à la crise du Covid-19 : une solidarité à rebours dans les modes de financement », dans M. Uyttendaele et S. Parsa, La pandémie de Covid-19 face au droit, vol. II, Anthémis, 2022, p. 115-158 et L. Rigaux, « Le financement des mesures de soutien durant la crise énergétique. L’État fédéral galvaude-t-il les leviers de l’Union européenne ? », Journal des tribunaux, 2023/16, p.261-271  Nous remercions les éditeurs concernés de nous avoir donné cette autorisation.]. Installé à l’automne 2020, sa formation a été accélérée par la crise sanitaire qui est venue supplanter la crise politique. Pendant près de deux ans, la vie des citoyens a été rythmée par des vagues épidémiques qui ont dicté un flot de mesures visant à les enrayer, à protéger la population et à amortir le choc social et économique dû au ralentissement économique. Une crise en chassant une autre, la crise énergétique est arrivée en septembre 2021 et a pris des proportions plus importantes lorsque la Russie a envahi illégalement l’Ukraine, fin février 2022.

Pour les crises sanitaire et énergétique, le gouvernement belge a réagi promptement pour mettre en place des mesures d’aide à la population. Rapide et unie pour prendre des mesures de soutien, la coalition De Croo était plus hésitante et divisée quand il s’agissait des questions de financement. Finalement, c’est surtout l’Union européenne qui s’est emparée de cette question, en injectant directement des fonds lors de la crise sanitaire ainsi qu’en obligeant les États membres à taxer les surprofits réalisés durant la crise énergétique. Ainsi, contrairement à une idée largement répandue selon laquelle l’Union européenne ne se soucie que de la liberté de circulation au détriment de la question sociale, ces deux crises ont montré que l’Union a insufflé une politique de solidarité, sans laquelle on peut se demander si la Belgique n’aurait pas simplement reporté le poids de la dette sur les générations futures.

L’objet de cet article est de revenir sur les principales dépenses consenties par le gouvernement De Croo lors des crises sanitaire et énergétique, pour mieux les mettre en perspective avec les recettes exceptionnelles dégagées à cet effet. L’enjeu est crucial, car il s’agit de déterminer sur quelles épaules repose la charge financière des importantes aides financières accordées durant les crises. Cette question est d’autant plus capitale que les crises sont souvent étudiées sous l’angle des dépenses, mais qu’elles se font plus rares lorsqu’il s’agit d’étudier les recettes. Or, la question du financement est majeure quand on connait l’état de la dette publique qui avoisinait 107,5 % du PIB en 2022[2. Conseil supérieur des Finances (Section besoins de financement des pouvoirs publics), Analyse des réalisations budgétaires récentes dans les différents niveaux de pouvoir et prévisions et recommandations européennes à court terme, Juillet 2022, p. 154.]. Ainsi, le financement questionne notre rapport à la solidarité, aussi bien entre les vivants qu’avec les générations futures. A fortiori, l’étude des crises nourrit encore la réflexion en ce qu’elles peuvent révéler l’interdépendance entre les citoyens et générer des réactions aussi nécessaires qu’inspirantes pour l’avenir

1. La crise Covid

Tant le gouvernement Wilmès, entre mars et octobre 2020, que le gouvernement De Croo ensuite, ont dû gérer les vagues épidémiques et consentir à des dépenses colossales pour protéger la population et amortir le choc social et économique. La crise aurait couté 26,8 milliards d’euros à l’État fédéral entre 2020 et avril 2022[3. En 2022, les dépenses courantes et de capital, hors amortissement de la dette, s’élevaient à 73,953 milliards d’euros du budget ajusté (Ajustements des budgets des recettes et des dépenses pour l’année budgétaire 2022, Doc. parl., C. repr., 2021-2022, n° 2641/1, p. 75).], dont 27,6 % pour la gestion de la crise et à la protection de la population (vaccins, masques…), 51,5 % pour les aides destinées aux ménages (suspension de la dégressivité des allocations de chômage, allègement des conditions d’octroi du droit passerelle pour les indépendants…) et 21,3 % pour soutenir les entreprises (allègements fiscaux, primes…).

Emprunts, économies, nouvelles taxes et fonds européens

Les mesures d’aide ont été prises par le gouvernement Wilmès et De Croo. Par contre, les décisions relatives à leur financement relevaient du gouvernement De Croo. Etant majoritaire et ayant bénéficié de la confiance de la Chambre, il bénéficiait d’une légitimité démocratique plus en phase avec l’importance des arbitrages fiscaux à réaliser.

Le gouvernement De Croo a surtout décidé d’emprunter sur les marchés (la dette publique est passée de 97,7 % du PIB en 2019, à 112,8 % en 2020) et de réduire les dépenses (surtout dans la fonction publique). Du côté des recettes, il n’a pris aucune décision radicale, loin s’en faut. Tant le budget de 2020 que celui de 2021 ne prévoient aucun impôt exceptionnel. Les seules nouveautés fiscales significatives du budget de 2020 sont à mettre à l’actif de nouvelles règlementations européennes, l’une sur l’e-commerce (125 millions d’euros) et l’autre sur l’échange d’informations concernant les infractions routières commises à l’étranger (100 millions d’euros). Un nouveau plan d’action contre la fraude sociale et fiscale ainsi qu’une augmentation des accises du tabac sont censés alimenter les recettes de l’État à hauteur de 200 et 120 millions d’euros respectivement. Enfin, la coalition De Croo tente de réinstaurer l’impôt sur les comptes-titres qu’avait créé, en 2018, le gouvernement Michel (MR/Open VLD/N-VA/CD&V), avant que la contribution soit annulée par la Cour constitutionnelle. Ce nouvel essai, estimé à 398 millions d’euros en 2021, vise à atténuer l’impact de la crise sur la sécurité sociale grâce à un impôt de 0,15 % sur les comptes-titres dont le montant dépasse 1 million d’euros. En septembre 2021, la situation épidémiologique est plus rassurante et le gouvernement peut enfin réfléchir à trouver de véritables sources de financement pour ses aides. Après d’âpres négociations, un accord est trouvé à la mi-octobre. Toutefois, le gouvernement n’innove nullement. Il continue sur la droite ligne de son budget précédent. Les seules nouveautés sont marginales : 43 millions d’euros pour la suppression du plafond imposés aux clubs de football, au-delà duquel ils ne devaient plus payer de cotisations sociales sur le salaire de leurs joueurs, et 30 millions d’euros pour une taxe sur les vols de moins de 500 km au départ de la Belgique.

Hormis la taxe sur les comptes-titres, et dans une moindre mesure la suppression du plafond salarial applicable aux clubs de football, ainsi que la taxe sur les vols de courte distance, la politique fiscale du gouvernement De Croo ne tente pas de financer les mesures de crise par des impôts contributifs qui taxent les plus nantis ou ceux qui auraient profité de la crise. La proportion de ces nouvelles recettes dans l’ensemble des recettes courantes et de capital estimées pour l’année 2021 en témoigne : moins d’un pourcent.

Finalement, la Belgique a surtout pu compter sur le soutien de l’Union européenne pour trouver de nouveaux moyens financiers. Celle-ci a prévu une multitude de mécanismes visant à octroyer des prêts et des aides ainsi qu’à alléger les règles en matières budgétaires et d’aides d’État. C’est le plan de relance « Next Generation EU » qui est certainement le dispositif le plus ambitieux et le plus solidaire, puisque les dernières estimations de l’automne 2022 attribuent 5,9 milliards d’euros à la Belgique, d’autant que le financement de ce plan est principalement réparti entre les États membres selon la clé « du revenu national brut », c’est-à-dire en fonction de leur poids économique.

2. La crise énergétique

Entre août 2021 et octobre 2022, le prix de l’électricité a doublé pendant que celui du gaz naturel quadruplait, ce qui a largement impacté les consommateurs d’énergie. Comme pour la crise sanitaire, les mesures de soutien ont davantage fait consensus au sein du gouvernement que celles relatives à leur financement.

À plusieurs reprises, entre décembre 2021 et septembre 2022, le gouvernement De Croo a adopté de nouvelles mesures de soutien aux ménages et aux entreprises[4. Lorsque ces mesures n’ont pas une application unique, elles sont souvent prévues jusqu’au 31 mars 2023. Les chiffres budgétaires qui suivent partent de l’hypothèse que ces mesures ne seront pas prolongées après cette date. Enfin, tous les chiffres proviennent du rapport de la Cour des comptes : Cour des comptes, Commentaires et observations sur les projets de budget de l’État pour l’année budgétaire 2023, Bruxelles, 25 novembre 2022, p. 23 disponible le 17 janvier 2023.]. Parmi les plus dispendieuses, on relève la réduction de la TVA sur l’électricité et le gaz (1,603 milliard d’euros en 2022 et 612 millions d’euros en 2023), l’élargissement du tarif social aux bénéficiaires de l’intervention majorée (1,264 milliard d’euros en 2022 et 621 millions en 2023), un forfait de base contenant une prime pour le gaz de 135 euros par mois et une prime pour l’électricité de 61 euros par mois (844,6 millions d’euros en 2022 et 1,533 milliard en 2023) ou encore la réduction des accises sur les carburants (793,8 millions d’euros en 2022 et 248,1 millions d’euros en 2023)[5. Les chiffres proviennent du rapport de la Cour des comptes : Cour des comptes, Commentaires et observations sur les projets de budget de l’État pour l’année budgétaire 2023, Bruxelles, 25 novembre 2022, p. 23, disponible le 17 janvier 2023.]. Au total, les mesures de soutien à destination des consommateurs finaux se chiffreraient à 6,174 milliards d’euros pour l’année 2022 et à 4,047 milliards d’euros pour 2023. Notons toutefois que ces évaluations n’intègrent pas les mesures qui ont été prolongées au-delà du 31 mars 2023, à savoir, principalement, l’allongement de l’extension du tarif social jusqu’au 30 juin 2023, suivi de son extinction progressive jusqu’à la fin 2023[6. À ce sujet, il faudra rester attentif au critère choisi par le gouvernement pour démanteler progressivement l’extension en ce qu’il semble reposer sur le statut des bénéficiaires de l’intervention majorée plutôt que sur leurs revenus, de sorte qu’il pourrait être discriminatoire si deux ménages percevant des revenus identiques devaient subir un traitement différent en fonction de leur statut (chômeur, invalide, pensionné, …).], ainsi que le maintien de la TVA sur l’électricité et le gaz à 6 % (compensé par une hausse des accises sur le gasoil).

Des taxes belges imposées ou inspirée par l’UE

Au sein du gouvernement, certains voulaient faire contribuer les acteurs clés du marché de l’électricité ayant réalisé des bénéfices importants grâce à l’envolée des prix. D’autres membres du gouvernement voyaient cependant ces prélèvements comme irréalisables ou discriminatoires. Finalement, la Belgique a adopté trois nouveaux prélèvements fiscaux exceptionnels destinés à financer l’ensemble de ces aides. En réalité, elle s’est vu forcer la main (en tout cas pour deux d’entre eux) par l’Union européenne. En effet, l’Union a adopté, le 6 octobre 2022, le règlement 2022/1854 du Conseil sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie. Juridiquement, cette action se fonde sur l’article 122 (1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE). Cette disposition constitutionnelle de crise permet d’agir en urgence et dans un esprit de solidarité. Plus rapide, l’adoption du règlement sur la base de l’article 122 (1) TFUE le devient, car elle contourne l’approbation du Parlement européen. Plus rapide encore, mais plus solidaire aussi, elle l’est puisqu’elle ne requiert plus l’unanimité normalement requise en matière fiscale. La majorité qualifiée suffit (55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’Union)[7. Art. 16 (4) du Traité sur l’Union européenne.]. Ce qui permet une politique fiscale plus efficace, car elle contraint tous les États, même les plus récalcitrants (la Slovaquie et la Pologne ont voté contre), à lever des taxes et ainsi éviter que ces derniers se livrent à une concurrence fiscale déloyale. Le règlement oblige ainsi les États membres à mettre en place deux impôts. Un troisième est, quant à lui, rendu facultatif.

Le premier prélèvement prévu par le règlement issu de l’UE consiste à établir un plafond (180 euros/MWh) au-delà duquel toutes les recettes provenant de la vente d’électricité produite à partir de la quasi-totalité des sources d’énergie sont entièrement prélevées par l’État membre. Ce plafond ne vaut toutefois que pour les sociétés qui produisent de l’électricité autrement qu’en brulant du gaz. En effet, contrairement à celles qui utilisent du gaz, les couts de production de ces sociétés n’ont pas autant augmenté, si bien qu’elles ont réalisé des marges importantes. La Belgique a néanmoins été un cran plus loin, car elle a fixé le plafond à 130 euros/MWh. Ce choix a été justifié par le fait que les entreprises impactées bénéficieraient encore de revenus exceptionnels inespérés, à savoir un profit qui resterait de 80 euros/MWh supérieurs aux attentes de 2019.

Le deuxième prélèvement envisagé par le règlement est une « contribution de solidarité » pour les entreprises qui exercent des activités dans les secteurs du pétrole, du gaz, du charbon ou du raffinage. Le règlement précise que sont taxés, à minimum 33 %, les bénéfices exceptionnels de ces entreprises, c’est-à-dire ceux réalisés en 2022 et 2023, pour autant que ceux-ci excèdent de plus de 20 % les bénéfices imposables moyens générés entre 2018 et 2022. Le règlement prévoit que les États peuvent s’écarter de ces modalités, s’ils élaborent des « mesures équivalentes » qui partagent des objectifs similaires, sont soumises à des règles similaires et génèrent un produit comparable, voire plus important que celui estimé pour la contribution de solidarité. La Belgique en a profité pour instituer des modalités de prélèvements complètement différentes. Ainsi, la contribution belge ne vise que les secteur pétrolier et du raffinage et, plus précisément, les sociétés pétrolières actives dans le secteur du raffinage et qui disposent de capacité de raffinage en Belgique, ainsi que celles considérées comme des « participants primaires »[8. Il s’agit de sociétés qui ont le privilège d’acheter et vendre, lors d’une crise pétrolière, une partie des stocks stratégiques d’Apetra (SA de droit public chargée de la détention et de la gestion des stocks obligatoires de pétrole).], à savoir huit sociétés responsables d’au moins 90 % du volume de la consommation en Belgique.

Certes la loi belge prévoit que si le rendement de la taxe belge est inférieur à celui qu’aurait rapporté la contribution de solidarité européenne, les sociétés taxées devront payer la différence, mais elle suscite de nombreuses interrogations juridiques, d’ailleurs soulevées par le Conseil d’État. La principale inquiétude est que la taxe ne vise que les sociétés du secteur pétrolier et du raffinage, alors que le règlement européen cible aussi les entreprises actives dans le secteur du gaz et du charbon. Le gouvernement tente de justifier leur absence par le fait que leur part de marché est insuffisante ou qu’il n’y a pas de producteurs en Belgique. Toutefois, aussi insignifiante qu’est la part de marché, il ne s’agit pas d’une exception prévue par le règlement. De plus, le fait qu’aucun producteur ne soit localisé en Belgique n’empêche pas de taxer d’autres entreprises actives dans le « secteur », puisque cette expression ne se cantonne pas qu’aux producteurs. Ce faisant, la taxe belge contient un avantage comparatif au détriment d’autres États européens qui auraient, quant à eux, visé les secteurs que la Belgique a exclus ; tout comme elle contient un désavantage comparatif pour les secteurs du pétrole et du raffinage belge qui risquent d’en réclamer l’annulation, au motif que la contribution de solidarité belge viole le principe d’égalité ainsi que le règlement européen. C’est d’ailleurs ce qu’a entrepris la société pétrolière Varo Energy Belgium en saisissant la Cour constitutionnelle d’un recours en suspension et en annulation.

Les exceptions électrique & gazière

Enfin, la Belgique ne taxe pas, comme le suggérait l’Union européenne, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité (Elia), mais celui du gaz (Fluxys), parce que le gouvernement considère que sa position unique lui permet de réaliser des revenus exceptionnels tirés de la crise, ce qui n’aurait pas été suffisamment le cas d’Elia. Dès lors, il estime justifié que Fluxys s’acquitte d’une « contribution exceptionnelle de solidarité de 300 millions d’euros »[9. Avis de la Section de législation du Conseil d’État sur le Projet de loi-programme, Doc. parl., Ch. repr., sess. 2022-2023, n° 3015/1, p. 270.]. Ce montant de 300 millions d’euros est inférieur à celui recommandé par la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg), qui avait estimé qu’un montant proche de 500 millions d’euros pouvait être prélevé sur les réserves de Fluxys, mais le gouvernement a voulu laisser à Fluxys suffisamment de marge financière pour investir dans la dorsale européenne de transport d’hydrogène (Hydrogen Backbone).

À ces nouvelles taxes, il faut ajouter la contribution du secteur nucléaire pour la prolongation et le démantèlement des centrales nucléaires, mais celle-ci n’a rien d’exceptionnel puisqu’elle existe depuis 2013, et qu’elle est prélevée chaque année pour un montant déterminé par la Creg sur la base des revenus, des couts et des profits des centrales nucléaires. Enfin, en 2015, a été négociée séparément la redevance due par le propriétaire des réacteurs de Doel 1 et Doel 2, laquelle est fixée forfaitairement à 20 millions d’euros par an, sans mécanisme d’indexation.

Il s’ensuit que pour 2022, le gouvernement De Croo attend une rentrée de 476,9 millions d’euros au titre des contributions de crise (300 millions d’euros de la contribution de solidarité du secteur pétrolier et 176,9 millions de la taxe sur les surprofits). Pour 2023, ces taxes devraient rapporter 1,434 milliard d’euros (300 millions de la contribution du secteur pétrolier, 834,4 millions de la taxe sur les surprofits et 300 millions de la contribution de Fluxys). Selon qu’on ajoute ou non les prélèvements à charge du secteur nucléaire – ils n’ont pas été présentés ici car ils existent déjà depuis 2013 et 2015, mais leurs recettes sont exceptionnelles en raison de la marge que le secteur a réalisé durant la crise[10. Ainsi les totaux peuvent encore passer de 476,9 à 611,7 millions d’euros en 2022 et de 1,434 à 2,523 milliards d’euros en 2023 si on y inclut les recettes espérées de la contribution et de la redevance à charge du secteur nucléaire.], on parvient, surtout pour 2023, à des recettes de crise relativement élevées, car celles-ci représentent entre 0,81 ou 1,04 % des recettes courantes du budget 2022 ajusté [11. Les recettes courantes totales s’élèvent à 58,893 milliards d’euros (Projet de loi contentant le premier ajustement du budget des Voies et Moyens pour l’année budgétaire 2022, Doc. parl., Ch. repr., sess. 2021-2022, n° 2642/1, p. 3).] et entre 2,29 et 4,03 % des recettes courantes du budget 2023[12.Les recettes courantes totales s’élèvent à 62,655 milliards d’euros (Projet de loi contenant le budget des Voies et Moyens pour l’année budgétaire 2023, Doc. parl., Ch. repr., sess. 2022-2023, n° 2931/1, p. 6).].

Une solidarité européenne plutôt que nationale ?

La Belgique connait déjà d’importants flux de solidarité (sécurité sociale, impôt progressif sur le revenu, certaines prestations de service public, etc.). En temps de crise, ces mécanismes structurels peuvent amortir les chocs provoqués par l’apparition d’un risque, qu’il soit naturel, économique ou social. Toutefois, les crises sanitaire et énergétique ont mis en lumière certains angles morts de nos mécanismes structurels de redistribution, puisqu’il a fallu adopter une série de mesures couteuses pour en soulager les victimes. Même si on peut discuter de l’ampleur, du design ou du public cible de ces aides ponctuelles, on constate néanmoins une volonté politique relativement prompte à aider celles et ceux qui ont souffert de la crise. Le gouvernement belge a donc fait jouer le deuxième versant de solidarité, celui qui tient à redistribuer vers celles et ceux qui en éprouvent le besoin. Mais qu’en est-il du premier versant, à savoir le financement de ces aides ?

Pour la crise sanitaire, les nouveaux prélèvements sont marginaux. Lorsqu’ils ne sont pas la résurgence d’un ancien impôt mort-né, leur caractère contributif n’est pas si évident à identifier. Finalement, sans les fonds de l’Union européenne, alimentés principalement par les États selon leur poids économique et injectés pour relancer l’économie, on peut se demander comment la Belgique aurait financé ses aides, si ce n’est en faisant peser leur charge sur les générations futures.

En pleine crise énergétique, l’initiative de l’Union apparait tout aussi remarquable, car c’est la première fois de son histoire que celle-ci oblige les États à adopter des taxes (même si le règlement évite soigneusement d’employer ce terme) et d’en affecter les recettes aux consommateurs finaux. De plus, l’Union européenne entend faire jouer la solidarité pour faire contribuer ceux qui s’enrichissent durant la crise, et ce en faveur de ceux qui en souffrent. Le recours à l’article 122 du TFUE témoigne à cet égard de l’urgence et de l’esprit de solidarité qui a prévalu dans l’action de l’Union. D’une pierre, deux coups, son règlement permet de renflouer les caisses des États membres tout en évitant que ces derniers se livrent concurrence. L’initiative a également pour mérite d’avoir débloqué une situation qui semblait paralysée en Belgique.

On peut en effet se demander si, sans l’action de l’Union, la Belgique serait parvenue à instaurer des taxes de crise susceptibles de résorber les dépenses exceptionnelles engagées. Quoi qu’il en soit, ces nouvelles taxes donneront un peu d’air aux finances publiques belges, bien qu’elles demeurent insuffisantes par rapport aux dépenses consenties durant la crise. On soulignera à ce propos que rien n’empêche la Belgique, à son tour, d’instaurer de nouveaux impôts exceptionnels adaptés à la capacité contributive de chacun ; et d’ainsi emboiter le pas d’une Union européenne, souvent décriée pour ne pas être suffisamment sociale, mais qui, lors des deux crises précédentes, a pris des initiatives redistributives inédites dans son histoire.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY-NC-SA 2.0 ; photo d’Alexander De Croo prise en juillet 2022, prise par Bruno Schoonbrodt.)