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Gauche-droite : un débat délaissé

Quelques semaines après avoir écarté Jean-Marie Dedecker du VLD, le président Bart Somers faisait savoir que dorénavant, son parti se qualifiait de «progressiste». Pour la plupart des Flamands, cette annonce était une surprise car ces dernières années, avec Jean-Marie Dedecker, le VLD se situait plutôt à la droite du centre. Bart Somers ajoutait cependant aussitôt que cela ne signifiait pas que les libéraux se situeraient aussi «à gauche». D’ailleurs, le dernier Manifeste citoyen de Guy Verhofstadt indique clairement que le VLD veut se situer plutôt comme un «parti centriste moderne». En tout cas, quelle que soit la manière dont le VLD se manifestera dans les campagnes électorales à venir, cela démontre combien est grande la confusion autour de notions politiques essentielles comme «gauche» et «droite», «progressiste» et «conservateur». Ainsi, une enquête de grande envergure menée en 2004 a montré qu’un quart des Flamands se situent à droite, 20 % à gauche. Et les autres ? D’une élection à l’autre, ils font du zapping entre les partis.

Gauche-droite : débat ringard ?

Cet estompement des concepts politiques pourrait avoir diverses causes. En premier lieu, parce que beaucoup d’hommes politiques ne font plus eux-mêmes la distinction gauche-droite. Pour eux, il s’agit soit d’un vestige de la guerre froide (Karel De Gucht), soit d’une catégorie sans utilité dans le débat politique actuel. Quelqu’un qui pense à gauche sur le plan socio-économique peut avoir une tout autre opinion sur le plan des attitudes socio-culturelles, comme l’immigration ou la lutte contre la délinquance. Et inversement. «Notre discours éthique est résolument progressiste», dit le président des jeunes VLD Edward Roosens. A gauche, qui le contredirait ? Selon certains analystes, cette altération des concepts a aussi un rapport avec «l’effacement systématique des frontières entre les trois idéologies démocratiques de base» (Anton Zijderveld) et le «développement d’un consensus largement partagé sur les principes essentiels de l’ordre social» (S.W. Couwenberg) Anton Zijderveld et S.W. Couwenberg sont deux politologues de l’université de Rotterdam. À la «fin de l’histoire», les grands récits sont remisés au placard et l’idée qu’on puisse changer le monde se retrouve à la poubelle. Ce qui reste, c’est l’unanimité sur les sujets économiques. Quand les différences idéologiques classiques s’estompent, les concepts qui s’y appliquent ont aussi beaucoup moins de sens. Dans un monde unidimensionnel, un système GPS du genre «couple gauche-droite», a perdu de son utilité. Non, au contraire ! En mai 2003, l’hebdomadaire hollandais Vrij Nederland a publié un numéro double sur la gauche et la droite, avec deux couvertures : «A droite ! Pour qui a un cerveau», disait l’une, tandis que l’autre proclamait : «A gauche ! Pour ceux qui ont encore un cœur». Les conclusions étaient claires. «L’épuisement définitif de la notion de gauche a déjà été annoncé tant de fois que c’est devenu un cliché». De vieux idéaux progressistes se sont réduits à des phrases creuses. Les chants de lutte résonnent toujours le 1er mai, que ce soit «Rood is troef» ou l’Internationale. Mais beaucoup doutent que la notion de «gauche» dispose encore d’une grande force de mobilisation. La droite a aussi perdu du «sens idéologique». Dans un monde où les gens se considèrent surtout comme des individus sur le marché, ils se voient beaucoup moins comme membres d’une communauté comme la famille, ou d’une organisation comme un parti politique. Leurs choix principaux, ils les trouvent davantage dans les grands magasins que sur le marché politique. Celui-ci est surtout coloré de gris. La couple de concepts gauche et droite indique-t-il encore une distinction politique? L’érosion de contenu a-t-elle frappé si fort qu’il n’en reste rien? La gauche a-t-elle implosé et la droite s’est-elle vidée de son sens? Telles sont les questions auxquelles Carl Devos, Hilde Van Liefferinge et Dries Verlet ont tenté de trouver une réponse dans le livre «Au carrefour de la politique. Gauche et droite en Flandre». L’enquête a livré des conclusions nuancées, mais claires. «Comme classifications politiques en Flandre, les notions ‘gauche’et ‘droite’ ont supporté l’épreuve du temps et forment dans les esprits des hommes politiques comme des électeurs flamands un important instrument de positionnement». «Gauche» et «droite» sont des concepts reconnaissables, moins vagues que beaucoup ne le laissent entendre. Ils illustrent aussi une différence (de parti) politique. «Les scores qu’obtiennent les partis sur l’échelle gauche-droite de la part des hommes politiques et des électeurs sont, en gros, les mêmes. Ce positionnement gauche-droite correspond dans une large mesure aux scores qu’obtiennent les partis de la part des élus et des électeurs sur l’échelle du conservatisme économique et culturel. Dit autrement, sous l’indication gauche-droite on trouve une différence réelle et pertinente». Et ils concluent: «Il semble bien que nous devions continuer encore un certain temps à vivre avec la gauche et la droite. Et, comme l’enseigne ce livre, que nous pouvons le faire». Outre cette intéressante conclusion, le livre fournit encore quelques résultats remarquables. Les auteurs classent Groen!, le SP.A et Spirit du côté gauche en ce qui concerne leurs attitudes par rapport à l’ethnocentrisme et l’autoritarisme. Ils décrivent les différences entre ces partis, mais ils les considèrent comme des «nuances». Est-ce justifié?

Une gauche plus conservatrice

Une enquête de Jaak Billiet et autres sur les valeurs de l’électeur en 1999 a montré qu’en matière de «valeurs post-matérielles», l’électeur vert se différencie pour une part importante de l’électeur socialiste (malgré le chevauchement électoral). D’autres études le confirment, certainement en ce qui concerne les attitudes en matière d’«ethnocentrisme» et d’ «autoritarisme». Les scores de l’électeur socialiste sont plus proches, en ces matières, de ceux des démocrates-chrétiens et des libéraux. Les résultats de l’enquête indiquent donc des différences significatives entre partis de gauche sur la ligne de fracture socio-culturelle. Ce sont davantage que des nuances. Ce n’est donc pas parce que gauche et droite forment des notions couplées qu’on peut définir sur cette base des couples de partis. Un deuxième résultat intéressant de l’enquête concerne la position socio-économique des personnes interrogées, .…. leurs scores sur les deux variables principales. «Il est frappant que ceux qui considèrent faire partie de la classe moyenne inférieure et supérieure ont (en moyenne) la même position sur l’axe gauche-droite, et que cette position est plus à gauche que celle de la classe ouvrière». Ceci confirme qu’il existe une différence entre les points de vue du «mouvement des ouvriers» et le mouvement ouvrier et qu’une partie de l’électorat traditionnel de la gauche se positionne de manière plus conservatrice sur la ligne de fracture socio-économique classique. Il n’est pas certain que ceci explique la perte de voix des partis sociaux-démocrates auprès des ouvriers. Mais les conséquences sont importantes, pas seulement en termes de gain pour les parties d’extrême droite, mais aussi pour ce qui concerne de divorce entre la gauche classique et le mouvement ouvrier. Dans ce contexte, quand le président du SP.A Johan Vandelanotte déclare que le syndicat, avec ses critiques sur le Pacte des générations, lorgne vers la droite, il y a là bien plus qu’une ‘petite phrase’ malvenue… Ceci rejoint une troisième remarque. Ce n’est pas parce que les notions «gauche» et «droite» ne sont pas complètement usées que la discussion quant à leur contenu doit s’arrêter. C’est aussi mon opinion. Peut-être un exemple historique. Dans les années 1960 et 70 la plupart des partis socialistes et sociaux-démocrates étaient absolument favorables à l’énergie nucléaire, et de préférence sous administration d’État. En Belgique, la partie lucrative de l’énergie nucléaire est certes restée entre les mains du privé, mais le reste du cycle s’est retrouvé aux mains de d’institutions parastatales. Nous sommes encore en train d’en payer le prix. Aujourd’hui, la majorité de la gauche s’avère opposée à l’énergie nucléaire. J’espère ne pas me tromper. En bref, la gauche évolue, le contenu du concept change de forme. Ce n’est pas parce qu’on donne un nom aux cartes qu’elles ne doivent plus être battues idéologiquement. Une partie de la droite l’a compris. Maintenant que le marché, l’infrastructure, n’est plus mis en discussion, y compris à gauche, elle s’occupe activement de mettre ses idées en phase avec la superstructure de la société. Les comptes sont réglés avec le passé de la gauche, le futur se prépare avec un mélange de néo-libéralisme orienté vers le marché et des conceptions conservatrices sur les questions de société. Une partie de la droite est en train de s’organiser idéologiquement, parfois même avec des mots qui on longtemps appartenu au vocabulaire de la gauche, comme «changement».

Vide idéologique

La discussion idéologique en Flandre est presque inexistante, aussi bien à droite qu’à gauche. Il y a bien eu des annonces de congrès idéologiques et une série d’amorces de discussions, mais on n’a pas dépassé le stade des discussions stratégiques et des manoeuvres tactiques. Ceci d’ailleurs avec l’appui d’une partie des médias qui préfèrent un combat entre Leterme et Verhofstadt à une discussion sur le contenu, un jeu d’échecs basé sur des sondages d’opinion aux programmes de parti. Il y a donc beaucoup de chances pour que nous devions dans les prochains mois nous contenter de quelques miettes de contenu politique. J’espère que non. Un être humain ne vit pas que de pain, encore moins de miettes…