Retour aux articles →

Gouverner, c’est prévoir… et décider

« Les cinq à dix prochains hivers seront difficiles », nous prédit avec calme le Premier ministre belge tandis que le Président français annonce avec gravité « la fin de l’abondance ». Il est vrai que ces dernières années ont été particulièrement faciles socialement et économiquement pour une grande partie de la population, n’est-ce pas… À travers cette indécence partagée, tant le changement climatique que la crise énergétique, annoncées et documentées de longue date, paraissent être, de fait, acceptées avec fatalisme. À charge pour le politique de « gérer » les catastrophes à venir ?
Cet article a paru dans le n°120 de Politique (septembre 2022).

Quand la France appelle à « l’unité très forte du gouvernement », la Belgique se dit, dans un premier temps et par l’entremise de son Premier ministre, prête à affronter cette longue crise. Quelques jours plus tard, au moment de boucler cet édito, voilà que dans un sursaut Alexander De Croo convoque (enfin !) un Codeco spécial énergie le 31 août pour tenter éventuellement (on marche sur des œufs) une approche potentiellement coordonnée (on n’est jamais trop prudents) entre l’État fédéral et les Régions qui détiennent chacun·es des leviers d’action. L’objectif de ce comité de concertation ? Se consulter. Pour envisager comment les gouvernements de ce pays peuvent travailler ensemble à mieux protéger les Belges face à la crise énergétique. De là à décider de mesures fortes et concrètes pour les citoyen·nes et entreprises, il y a un pas (un de trop ?) à franchir. Plafonner les prix de l’énergie aurait les faveurs de certains membres du gouvernement mais on entend que ce ne serait pas suffisant et devrait être appliqué au niveau européen. Certes. Mais user de l’argument européen pour reporter une mesure qui aurait pu déjà soulager la population et les petites et moyennes entreprises relève de l’imposture. L’Espagne et le Portugal, eux, n’ont pas attendu.

Si, selon la formule consacrée, gouverner, c’est prévoir, y a-t-il encore un gouvernement à bord en Belgique ? Quel·les citoyen·nes ne se sont pas questionné·es cet été sur leur facture énergétique à venir cet automne ? Mais le gouvernement belge attend le 31 août pour envisager de se concerter sur la hausse des prix de l’énergie ? Parce que les factures énergétiques qui nous attendent, en gaz ou en électricité, ne sont plus de l’ordre de l’imaginable. Quant aux panneaux photovoltaïques et maisons bien isolées dont on nous rabâche les oreilles, elles sont l’apanage d’une population bien informée, aux revenus suffisants et… propriétaire de son logement. Il ne faut pas hésiter, encore et toujours, à répéter ce fait avéré : ce sont les personnes aux revenus les plus précaires qui trinquent le plus lors des crises énergétiques.

Les citoyen·nes n’ont pas besoin de conseils personnalisés pour mieux « gérer leur consommation » – ce qui relève d’un appel supplémentaire à la responsabilité individuelle –, ni de commentaires d’actualité annonçant des difficultés déjà vécues au quotidien, ils et elles veulent des réponses, des solutions. Un gouvernement, c’est fait pour décider et agir dans l’intérêt général et pour le bien commun. À défaut, les partis membres de sa coalition le paieront cash aux prochaines élections.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-ND 2.0 ; centrale nucléaire de Doel, photo prise en août 2021 par Gertjan van Noord.)