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Grèce : une mise au pas qui n’éteint pas le feu qui couve en Europe

 

Après sa victoire électorale, le gouvernement Tsipras s’est attelé à la mise en œuvre du troisième mémorandum. Les dirigeants de l’UE auraient cependant tort de se réjouir trop vite. Pour l’Europe, la séquence ouverte par Syriza il y a dix mois n’est pas achevée.

Le 16 octobre, le Premier ministre Tsipras a présenté au Parlement un paquet de 49 mesures, en prolongement des termes du troisième mémorandum. Le budget 2016 comportera une série de mesures fiscales. Certaines sont conformes aux propositions de Syriza de mieux partager le fardeau de l’austérité, comme le relèvement du taux de taxation des bénéfices de 26 à 29% et celui des revenus supérieurs à 500 000 euros, mesure qui devrait rapporter 2,4 milliards, dont 795 millions dès 2015. Mais le vote de cette « loi unique » prévoit également une réforme des pensions, portant le départ à la retraite de 65 à 67 ans d’ici 2022 et une augmentation des cotisations maladies de 4 à 6% pour les retraités. Ces mesures ne constituent qu’une première étape, le gouvernement s’étant engagé à réaliser des économies de 1% du PIB par an sur les retraites[1.On doit aussi mentionner de fortes hausses de TVA, qui toucheront les revenus faibles.]. Ces deux éléments sont emblématiques de la nouvelle orientation du gouvernement Tsipras II. D’un côté, il veut montrer aux institutions européennes qu’il respecte l’accord du 16 juillet. Il espère ainsi obtenir lors du prochain round un allégement de la dette et avoir accès au programme d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne, voire retrouver l’accès aux marchés financiers pour son financement. De l’autre, il continue de clamer que cet accord est mauvais pour les Grecs et qu’il espère en utiliser les « zones grises » pour en limiter les effets les plus négatifs. D’où certaines mesures fiscales et budgétaires et de lutte contre la fraude fiscale. Toutes dispositions qui peuvent être appliquées sous couvert de certaines clauses du mémorandum. Avec le soutien électoral obtenu et la cohésion retrouvée de son parti, Tsipras entend installer son gouvernement dans la durée et préparer ainsi une sortie de la situation d’instabilité et de crise constante qu’a traversée la Grèce depuis une dizaine d’années[2.Neuf gouvernements depuis 2004 !]. Pourtant, cette orientation – outre qu’elle est assimilée à une volte-face pure et simple par une partie de l’opinion – ne va pas sans poser de redoutables problèmes. En premier lieu, la situation intérieure risque de se dégrader sous l’effet des mesures d’austérité aggravant la perte de pouvoir d’achat en l’absence de reprise de l’activité économique, faute d’investissements. Ce que l’on appelle « crise humanitaire » (un terme ahurissant pour un pays européen !) va éroder le crédit du gouvernement, par découragement ou par explosion sociale. Sans compter que l’opposition (Pasok, Potami…), si elle ne mettra pas en question les accords, n’hésitera pas à se prononcer contre toutes les mesures « récessives » qui seraient prises par le gouvernement. En signant l’accord du 16 juillet, Tsipras a levé le veto des créanciers, mais n’a pas regagné beaucoup de marges de manœuvre. La machine mémorandaire procède lentement et ne délivre les aides qu’au compte-gouttes. Sur les 86 milliards d’aide, seuls deux milliards sont prévus à la mi-octobre. Même les 15 milliards destinés à l’investissement public, provenant du fonds des privatisations, n’arriveront qu’au fur et à mesure. D’après le FMI, la dette globale attendra les 200% du PIB en fin d’année. Dans ce contexte, la négociation du mois prochain sur un allégement de la dette, prôné par le FMI, risque bien de s’accompagner de nouvelles exigences.

De la Grèce à l’Europe

À première vue, l’expérience grecque semble donc marquée à nouveau par la fatalité et l’impossibilité de sortir de la cage de fer de l’austérité. Mais, si les projecteurs ne sont plus braqués vers Athènes, le contexte européen lui ne reste pas inchangé. D’abord, la crise des réfugiés et l’absence de politique face à la guerre en Syrie (autre que le suivisme atlantique) ont mis en lumière l’incapacité de l’Union européenne à dégager une politique commune entre ses membres. Avec le ralentissement de l’activité dans les pays émergents comme la Chine ou le Brésil, l’UE est entrée dans une zone de turbulences économiques qui risque de contredire les pronostics optimistes sur la reprise de la croissance. Ensuite, dans plusieurs pays, des changements politiques succèdent à l’irruption électorale de Syriza et Podemos : l’arrivée à la tête du Labour, après son échec électoral de mai 2015, de Jeremy Corbyn, la victoire des listes « citoyennes » soutenues par Podemos aux municipales à Barcelone et Madrid et, enfin, les scores remarquables du Bloc de gauche (10,2%) et du Parti communiste, allié aux écologistes (9,3%) lors des récentes élections législatives portugaises. En Espagne, Podemos se pose la question de son attitude par rapport aux autres forces de la gauche radicale et du PSOE. Au Portugal, placé devant la perspective d’une « große Koalition » de conservateurs et de socialistes, les deux partis de la gauche radicale ont entamé des négociations avec le PS pour un gouvernement anti-austérité. Il n’est pas certain que cela aboutisse. Mais les uns et les autres tirent des leçons de l’expérience grecque. Le rétablissement d’un rapport de forces à l’échelle européenne passe aussi par là. La crédibilité du modèle européen actuel, avec son impact négatif sur les systèmes sociaux et sans les résultats économiques escomptés, s’amenuise rapidement. Surtout lorsque son maintien se fait au prix d’une dénégation des choix démocratiques nationaux. Ainsi, s’épuisent aussi les anciens discours du « plus d’Europe » ou de l’« Europe sociale ». À partir des réalités nationales différentes émerge à nouveau la nécessité d’un programme européen pour la gauche, toute la gauche. Le cas grec a mis en évidence que si la lutte pouvait s’amorcer dans un pays, ses chances de succès étaient minces sans convergence au niveau européen.