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Guerre culturelle aux États-Unis

Pour toutes sortes de raisons, il est particulièrement risqué d’exporter le « clivage gauche/droite » aux États-Unis, notamment parce qu’outre-Atlantique, il n’est pas rare de considérer qu’au-delà des oppositions sur la fiscalité, la réforme de la santé, la protection de l’environnement, l’emploi… il existe plus fondamentalement une « guerre culturelle » (Cultural War) ! C’est-à-dire un clivage puissant et structurant entre deux conceptions foncièrement différentes du monde. Il y a d’un côté ceux qui pensent que les gens ne sont pas, ou très peu, déterminés par la nature ou leur condition biologique, et qu’ils – ces gens – sont dès lors relativement libres de participer au débat sur ce que doit ou peut être une vie moderne. Ils ne sont pas mal à l’aise à l’idée de chercher le bonheur pour le bonheur, en dehors d’un quelconque cadre moral. Pour eux, tout est possible pour autant que ce soit dans le consentement réciproque et dans le respect de la légalité et de quelques principes fondamentaux. De l’autre côté, il y a ceux qui pensent au contraire que les gens sont bien plus déterminés qu’on ne voudrait le croire, que notre condition biologique n’est que la partie émergée de l’iceberg, que l’être humain est foncièrement enraciné dans une nature profonde, une histoire spécifique (pleine de sens) et un cadre moral. Et en conséquence, tout ce qui précède ne lui permet pas de décider de ce que doit être la vie mais, au contraire, cela l’oblige à chercher et si possible à trouver puis à vénérer le sens éternel et indiscutable d’une vie juste, bonne, utile et réussie sur terre. Cette opposition complexe ne se réduit pas à ce qui sépare l’athée du croyant ou le progressiste du conservateur. Elle vise précisément l’exacte marge de manoeuvre que nous avons sur notre propre destin, et elle structure en sous-marin les grandes questions de société : l’institution du mariage est-elle le propre d’un couple hétérosexuel ? Les homosexuels sont-ils des gens malades qui doivent être soignés ? Le cas échéant, sont-ils responsables de leur maladie et méritent-ils d’être aidés ? Si oui, peut-on les aider avec de l’argent public ? Est-ce que l’avortement est un crime ? Qui doit posséder son corps ? La mère ou le futur nouveau-né ? A-t-on le droit de dégrader l’environnement ou celui-ci est-il sacré ? La population doit-elle rester par nature majoritairement blanche ? L’immigration est-elle une menace sur l’identité états-unienne ? Qu’est-ce qui est dangereux : une arme à feu ou celui qui l’utilise ? Est-ce que les races existent ? Et si oui, est-ce qu’il existe une hiérarchie entre elles ? Etc. Si l’arrivée d’un président noir à la maison blanche a été perçue par beaucoup d’Américains comme une énorme victoire d’une vision de ce que devrait être la société contre une autre, elle a été perçue, ailleurs, comme une terrifiante défaite sur le plan de la guerre culturelle. Si elle a enflammé ceux qui pensent qu’un monde juste est un monde où tout est possible, la victoire d’Obama a tétanisé ceux qui y voient la mort lente de l’Amérique blanche et chrétienne. Désormais, se disent-ils, « tout est possible ». Tout est possible et après un « noir », ce sera une « femme », puis un « homosexuel », puis un « transgenre », puis lorsque les animaux auront accès aux droits fondamentaux, ce sera un castor qui dirigera la Maison-Blanche. Cette crainte expliquée par Michael Moore dans un article intitulé « Les 5 raisons pour lesquelles Trump va gagner »[1.Voir sur le blog de Michael Moore : michaelmoore.com/trumpwillwin.] doit être analysée avec le plus grand sérieux. Dans le cadre de la guerre culturelle, imposer une femme après un noir, c’est laisser entendre que désormais les Démocrates ne reculeront devant rien. Il est donc possible d’arrêter tout cela et de voter pour Donald Trump, blanc, machiste, viril, parfois vulgaire, parfois sympathique, homme d’affaires talentueux, autoritaire, indépendant et issu d’une famille de migrants européens.