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Jérusalem : derrière le symbole

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KKL_tin © Picasa 2.7
Décembre 2017. Les États-Unis décident de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y déplacer leur ambassade. Décision d’autant plus symbolique que ce déménagement n’interviendrait pas avant deux ans. Alors, pourquoi de telles réactions ?

Un symbole ? Sans doute, mais Jérusalem n’est pas n’importe quel symbole. Capitale éternelle de ceci, troisième lieu saint de cela, berceau de tout le monde, cette ville étouffe sous le poids d’un surinvestissement séculaire qui la transforme en un enjeu politique de premier plan. Y planter son drapeau et y faire reconnaître avec éclat sa souveraineté a toujours été un des objectifs déclarés du mouvement sioniste, dont il faut rappeler ce trait paradoxal : lors de sa naissance, à l’orée du XXe siècle, ce mouvement s’est affronté violemment avec la religion juive parce qu’il prétendait séculariser et mettre lui-même en œuvre une promesse divine – le rassemblement des exilés pour « l’an prochain à Jérusalem » – qui ne pouvait être accomplie que lors de l’arrivée du messie ; en même temps, il n’a cessé de mobiliser toute la quincaillerie religieuse pour justifier ses conquêtes. Cette démarche s’est encore accentuée depuis 1967 où la Bible a directement servi à justifier la présence juive en « Judée-Samarie ». Le plus loufoque fut atteint, dans la séquence actuelle, quand le corps diplomatique israélien répercuta, en guise d’argumentaire, la preuve ultime qui justifiait le statut de Jérusalem : le roi David en avait fait sa capitale il y a 3000 ans. Il y avait quelque chose de surréaliste à entendre l’ambassadrice Simona Frankel débiter avec assurance une telle ânerie qu’aucun diplomate d’un autre pays, même le plus archaïque, n’aurait osé proférer. Cela en dit long sur la dérive idéologique de la démocratie israélienne.

La diplomatie israélienne a pourtant raison sur un point : depuis 1948, Jérusalem est fonctionnellement la capitale d’Israël. Le parlement, le gouvernement, la présidence y sont localisés, du moins dans sa partie ouest, la seule sous souveraineté israélienne jusqu’en 1967. Dans les différentes chancelleries, il était généralement considéré que, dans le cadre d’un règlement final, Jérusalem-Ouest resterait de toute façon sous souveraineté israélienne unique. Or, jusqu’à ce jour, aucun État n’y a implanté son ambassade. Jusqu’à aujourd’hui, même les soutiens politiques les plus constants de l’État hébreu avaient conservé leur ambassade à Tel-Aviv. Pourquoi ?

Retour au plan de partage

L’explication remonte à 1947. Le 29 novembre de cette année-là, l’Assemblée générale de l’ONU – qui ne compte alors que 57 États – vote le plan de partage divisant en deux États, l’un juif et l’autre arabe, la Palestine qui se trouve sous mandat britannique depuis 1922. Les frontières séparant ces deux États sont les seules qui disposent d’une reconnaissance internationale basée sur une décision de droit. Or, Jérusalem ne fait alors pas partie de l’État juif. Cette ville et sa banlieue constituent une petite zone sous contrôle international enclavée dans l’État arabe. Comme on sait, ce plan de partage particulièrement inégalitaire fut refusé par la quasi-totalité des acteurs arabes de la région. Israël gagna la guerre qui s’en suivit et engrangea d’importantes conquêtes territoriales. Dont la plus grande partie de Jérusalem (à l’exception des lieux saints).

La célèbre « boite bleue » du KKL (Fonds national juif) avec une carte qui couvre toute la Palestine

Jusqu’aux nouvelles conquêtes de 1967, la ligne du cessez-le-feu de 1948, qu’on appelle en Israël la ligne verte, a gardé tous les attributs physiques d’une frontière. Mais, en droit, ce n’en était pas une. Non d’abord par manque de reconnaissance internationale, mais pour la raison qu’Israël n’a jamais voulu fixer ses propres frontières, en se laissant toujours la possibilité de les étendre vers l’Est. N’oublions pas que le projet sioniste majoritaire concerne toute la Palestine et qu’il n’y a jamais renoncé. D’où une véritable difficulté diplomatique : comment reconnaître un État qui n’a pas de frontières ? Et si le réalisme politique commande de le reconnaître malgré tout, dans quelles frontières doit-il l’être ? En maintenant leur ambassade dans le périmètre de l’État juif de 1947, les États marquent leur attachement, au moins sur le plan des principes, au droit international. Ce droit n’est qu’une digue fragile, imparfaite, souvent inique, mais il marque néanmoins un progrès de la civilisation par rapport à la loi de la jungle et à l’expression unilatérale du rapport de forces.

C’est ce droit international que la décision de Trump bafoue. Cyniquement, on pourra dire que ça ne change rien en pratique : le désaveu massif de la communauté internationale à la dernière trumperie ne masque même pas son impuissance à agir contre les multiples dénis de droit et de justice commis par le gouvernement de Netanyahou. Mais il y a le symbole…