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« Jouer collectif »

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Cette année, Politique célèbre ses vingt-cinq ans. 25 ans de participation au débat politique, 25 ans de plumes engagées à gauche, 25 ans de dynamique collective en faveur de la et du politique en Belgique.

Cet édito a paru dans le n°119 de Politique (mai 2022).

 

Née dans le sillage et pour penser l’émotion de la « Marche blanche » de 1996, Politique s’est progressivement affirmée comme une revue d’analyse et de débat ancrée à gauche, cherchant à faire dialoguer les différents pans de cette dernière pour favoriser leur rassemblement. Depuis lors, la gauche s’est morcelée au point d’espérer la convergence des gauches (plurielles), et non plus de « la gauche » dans ses différentes dimensions (politique, syndicale, associative…). L’arrivée d’Ecolo et du PTB a redéfini le paysage partisan, c’est indéniable. À gauche, les frontières sont devenues mouvantes et les piliers – socialiste, catholique, libéral – de la société belge se sont lentement effrités. La distance entre les groupes d’acteur·ices continue de s’amplifier, éloignant progressivement des allié·es potentiel·es, comme l’indiquent les discussions autour des « nouveaux/elles » et « ancien·nes » des différents champs de l’action politique et militante.

Dans cette reconfiguration, notre utilité en tant que revue progressiste ne consiste pas à fournir une tribune politique aux organisations et associations mais bien à les mettre en présence, à les interpeller (au même titre que les politiques) et à les faire discuter entre elles. Ce n’était déjà pas facile en 1997, cela ne l’est toujours pas en 2022 mais quel beau et intense défi ! S’écouter mutuellement avant de parler de ses idées, porter attention aux arguments de l’autre sans asséner péremptoirement les siens, accepter de débattre des sujets qui fâchent à gauche, sans craindre en permanence d’y laisser des plumes électorales, toutes forces progressistes confondues. Sortir des slogans et des oppositions toutes faites qui sont offertes aux électeurs et électrices sur un plateau d’argent pour poser leur choix dans la binarité (rouge ou vert ? rouge foncé ou rouge clair ?).

Car en simplifiant à outrance le message pour appâter l’électorat supposément désintéressé de la politique, n’a-t-on pas renié un des fondements de la gauche : la volonté de « jouer collectif », de proposer une vision collective de ce que pourrait être notre société, de redonner un horizon commun auquel s’arrimer. La gauche, c’est aussi et surtout cette dimension collective dans son objectif et dans sa réalisation : on œuvre en commun pour toutes et tous. Le désenchantement politique des citoyens et citoyennes n’est-il pas aussi le résultat de l’absence de récit(s) collectif(s) proposé(s) à gauche ?

Un récit qui ne serait pas écrit par certains pour toutes et tous, un récit qui serait construit ensemble avec les premier·es concerné·es, c’est-à-dire les militant·es et les citoyen·nes. « Jouer collectif » ne s’applique pas seulement aux partis politiques mais signifie également retrouver le chemin du terrain, et donc revenir vers les organisations et associations qui font les corps intermédiaires et la société civile et les intégrer dans la dynamique. À la croisée du terrain militant, de l’action politique et de la réflexion théorique, Politique veut être un espace pour nourrir les débats, élargir les acteur·ices impliqué·es et croiser les intérêts, un lieu de rencontres des plumes et des verbes engagés à gauche, rencontres dont on espère qu’elles pourraient se poursuivre au-delà des textes et ainsi ouvrir un vrai échange sur des bases solides, en dehors des postures figées. Parce qu’écrire cisèle notre pensée, parce que lire façonne notre rapport au monde. Et parce qu’ensemble, on va plus loin.