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La menace qui vient du ciel

La saga des nuisances sonores autour de l’aéroport de Zaventem ne concerne pas seulement la région bruxelloise. C’est une question planétaire qui est mise ici en évidence. Le film de Davis Guggenheim, «Une vérité qui dérange», dans lequel l’ancien vice-président américain Al Gore met en garde contre les effets apocalyptiques du réchauffement climatique, fait partout dans le monde un véritable tabac. Les conséquences des modifications climatiques induites par l’activité humaine ne sont plus seulement dénoncées par une poignée de scientifiques relayés par quelques ONG : elles sont discutées par chacun. Dans ce contexte, les allers-retours des crevettes au Maroc en 24 heures pour y être pelées ou les billets offerts par Ryanair à un prix dérisoire pour aller passer un week-end à Dublin posent quelques questions. Comme pour se situer dans l’air du temps, la Commission européenne vient d’annoncer qu’à partir de 2011 les compagnies aériennes devraient elles aussi entrer dans le système de limitation de l’émission de gaz à effets de serre installé en vertu du Protocole de Kyoto. Cette évolution a réjoui beaucoup de riverains incommodés par les nuisances de bruit et de pollution générées par le trafic aérien. En effet, si la plupart d’entre eux se mobilisent initialement en raison d’une gêne plus ou moins grave ressentie dans leur environnement immédiat, nombreux sont ceux qui développent à partir de ce constat une réflexion sur l’impact du trafic aérien sur notre environnement dans sa globalité, voire sur l’avenir de la civilisation. Cependant, la prise de conscience du public et du politique à propos de la contribution des avions au réchauffement climatique n’annonce même pas le début d’une solution pour les riverains de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, qui mènent depuis quinze ans un combat contre des nuisances très importantes eu égard au caractère indiscutablement urbain de l’aéroport. La gestion des trajectoires aériennes au départ et vers cet aéroport est devenue depuis 1999 une question politique importante. Elle a empoisonné la vie des deux gouvernements Verhofstadt et du gouvernement bruxellois de Charles Picqué. Ce dossier semble devenu quasi insoluble en raison de sa transformation en pomme de discorde communautaire. Les mesures que le politique peut prendre pour améliorer le sort des riverains se heurtent tout naturellement à l’opposition des travailleurs de l’aéroport ou des entreprises qui gravitent autour de celui-ci, comme l’affaire DHL en fut l’illustration. Il est vrai que nous sommes là face à des choix de société sans doute incompatibles. Si le transport et la logistique sont un créneau important pour la Belgique, ils représentent également des activités dont le coût environnemental est important, et dont les nuisances pour les habitants (sans oublier les travailleurs eux-mêmes) peuvent être également très importantes. La densité de notre population rend en effet la relocalisation de ces activités dans des zones non peuplées illusoire. Dimensions environnementale, économique, politique, institutionnelle… les nuisances sonores ne sont pas le problème de quelques riverains fortunés de l’aéroport qui se trouveraient gênés dans leurs activités de loisir. Ils concernent la société dans son ensemble. Toutefois, à Bruxelles, la question prend un relief particulier parce qu’elle s’insère dans l’imbroglio institutionnel qui régit la région centrale du pays. En outre, il y a ici une coupure radicale entre les bénéficiaires du développement de l’aéroport, qui ne sont pas bruxellois, et les survolés qui en récoltent les nuisances, qui le sont en majorité. Tandis qu’à Bierset ou à Charleroi (aéroport jusqu’à présent préservé des vols de nuit), les bénéfices et les nuisances touchent les mêmes familles, qui sont alors contraintes de faire la part des choses en fonction de leurs intérêts les plus immédiats. Pour cadrer le débat, Pierre Ozer et Dominique Perrin analysent le coût environnemental du trafic aérien. Michel Allé nous parle de deux choix politiques particulièrement contestables : celui d’une énergie à bon marché, décidé dans les années 1970, et celui de la libéralisation totale du secteur du transport aérien quelques années plus tard. Véronique de Potter se penche sur le problème particulier des vols de nuit à l’échelle européenne. Contrepoint syndical : Roberto Parillo, Thierry Grignard et José Verdin manifestent à propos du développement des aéroports la difficulté de respecter les impératifs du développement durable quand il manque tragiquement d’emplois pour les travailleurs les moins qualifiés. Christian Delcourt plaide pour une meilleure gestion des politiques aéroportuaires en Belgique et pointe une incohérence : alors que les pouvoirs publics investissent massivement dans le développement des aéroports régionaux, l’État fédéral a vendu au privé l’aéroport de Bruxelles-Zaventem. Précisément, David Germani revient sur les conditions de la privatisation de la Biac. La seconde partie de ce dossier est consacrée au problème particulier que constitue l’exploitation de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem. Caroline Sägesser rappelle les circonstances qui ont transformé cette question en problème politique majeur. Le médiateur de l’aéroport, Philippe Touwaide, explique son rôle et sa vision du dossier. Jean-Pierre Nassaux résume le débat au sein de la Région de Bruxelles-Capitale et Maurice Seewald analyse la façon dont la question est perçue par les médias et l’opinion flamandes. Yvan Vandenberghe rappelle l’origine et les objectifs du combat des riverains. Enfin, deux personnalités politiques qui ont joué un rôle important dans ce dossier, le flamand Jos Chabert et le francophone Didier Gosuin, persistent et signent. Ce THÈME a été coordonné par Caroline Sägesser.