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Le communautaire et le régional s’invitent au Pacte d’excellence : les propositions d’Aula Magna dans demain Bruxsels

pacte excellence
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Dans cet ouvrage collectif, inaugurant la petite collection Politique, Alain Deneef y propose une série de mesures structurelles pour l’enseignement à Bruxelles, Enseignement : préparer 2040. Cette contribution, solidement argumentée, reçoit tout son sens par sa mise en regard avec celle de Philippe Van Parijs, langues : mobilisation générale ! Comment caractériser cette irruption des imbroglios et du capharnaüm institutionnel belge dans un enjeu qui ne l’attendait guère ? D’évidence, les progressistes devront y revenir. Est-ce que la régionalisation partielle des compétences en matière d’enseignement constitue une condition nécessaire pour réaliser l’école moins inégalitaire de demain ? pas sûr. Il tombe par ailleurs sous l’évidence que cette régionalisation ne constitue guère une condition suffisante pour produire la bonne école de demain, au regard de l’école d’aujourd’hui bouleversée et déstructurée par des changements culturels, sociaux et économiques qui caractérisent une société fracturée par l’idéologie et les pratiques du mainstream néo-libéral. Si nous donnons quelque crédit à ce macro-concept, nous en déduirons qu’il désigne un vaste mouvement culturocide qui déstabilise en profondeur cette institution à la fois tournée vers l’intégration des apports du passé et orientée vers la production des citoyens de demain. Qui dit mondialisation libérale devrait intégrer les régulations sociales et culturelles réencastrées localement.

Régionaliser les compétences en enseignement

Deneef plaide vigoureusement pour une régionalisation presque totale des compétences de l’enseignement obligatoire de la Communauté française, démontant la lasagne institutionnelle qui opère dans le champ de l’enseignement. Cette lasagne se développe en 4 couches, le pouvoir régulateur, (programmes, encadrement, diplomation), le pouvoir subsidiant, (frais de fonctionnement et salaires), le pouvoir gestionnaire des infrastructures, (annexé au précédent) et le pouvoir organisateur qui administre les écoles. Si l’auteur concède que le pouvoir régulateur doit rester aux mains de la Communauté française, il en retire cependant la compétence programmatique, qui deviendrait de compétence régionale, sans doute pour mieux coordonner la formation de la main d’œuvre et les demandes spécifiques des marchés de l’emploi bruxellois. Concernant le pouvoir de gestionnaire des infrastructures, l’auteur a la plume aisée pour nous rappeler que les permis d’urbanismes relèvent des compétences régionales, ainsi que l’implantation des sites scolaires. Bon nombre d’équipements en matériel sont financés par des fonds régionaux et la coordination/coopération à Bruxelles entre les divers réseaux (libre subventionné, Communauté française, Communauté flamande, et enseignement communal), semble plus que souhaitable à partir d’un pouvoir spécifiquement régional. Certes, si la dégradation de l’enseignement est encore plus avancée dans la capitale, si les mesures, au demeurant positives, du Pacte d’excellence s’adressent uniformément à un territoire très disparate, qui prétend réunir Vaux-sous-Chèvremont et Molenbeek, la régionalisation de l’enseignement permettrait à la région d’effectuer des choix budgétaires ciblés en renforçant les moyens dévolus à l’enseignement et en configurant spécifiquement les avancées du Pacte d’excellence à la réalité culturelle, démographique et sociale de la Région : Henri Goldman rappelle que Bruxelles est la seconde ville la plus cosmopolite au monde, la population d’origine étrangère serait, à Bruxelles, de plus de 62%[1]. Le grand mérite de cette proposition régionalisante serait d’inscrire quasi de force la question scolaire à l’agenda politique bruxellois.

Des conditions nécessaires pour réformer l’enseignement à Bruxelles ?

Sans doute que des réformes progressistes radicales de l’école pourraient, in abstracto, ignorer les spécificités belges, issues de l’histoire et de nos piliers : réseaux libres ou publics, réseaux néerlandophone ou francophone. Mais gageons que la régionalisation de ces compétences pourrait booster ce cheminement à partir de la densification spatiale qui rapproche à Bruxelles les décideurs et les acteurs, les problèmes et les solutions. L’auteur avance quelques propositions à mettre en discussion avec les acteurs de terrain : augmenter le nombre d’élèves par classe pour des professeurs mieux formés ? Inverser la tendance et envoyer les profs proches de la retraite enseigner aux élèves des classes difficiles, permettant aux jeunes de se faire les dents auprès des écoles à recrutement censé plus calme parce davantage embourgeoisé ? ces propositions sont sujettes à discussion et doivent être remises sur le métier par l’aval des acteurs concernés, associations de parents, comités d’élèves, associations tels que C.G.E., pouvoirs organisateurs et syndicats. Il faut l’affirmer, enseigner dans une école multiculturelle fournissant des pseudo-diplômes à des élèves réalistement démotivés s’avère une tâche autant héroïque qu’éreintante. Former davantage les professeurs à gérer des classes à recrutement multiculturel ? Oui. Valoriser les filières techniques et professionnelles, comme cela se pratique en Allemagne ou au Québec, oui encore, mettre fin à cette stupidité des 19 communes et faire de l’autorité régionale le pouvoir organisateur de son réseau scolaire, oui surtout. Nous pourrions enrichir la litanie : mettre fin à cet incroyable bureaucratie tatillonne qui a fabriqué plus de 700 barèmes, ce qui conduit une enseignante d’élite disposant de plus de 30 ans de pratique, à voir son salaire réduit de 300 euros net par mois, à partir d’une décision aveugle dont on a peine à comprendre la rationalité.

Mais encore

Mais le lecteur reste sur sa faim par rapport à ces propositions bien formulées mais qui ne mordent pas sur le noyau dur de la crise scolaire. L’auteur pointe certes les symptômes : difficulté de recrutement des enseignants, l’accroissement du nombre d’heures non enseignées et la hausse du nombre de jours de maladie. Sans doute que le Pacte d’excellence affronte pour partie les éléments qui produisent la crise structurelle de l’école : procès de domination et de violence symbolique, absence de calibrage entre la nécessaire autorité (auctoritas, ce qui augmente) qui devrait présider à l’apprentissage du passé et la toute aussi nécessaire création de collectifs d’écoliers qui enquêtent et expérimentent leur environnement d’aujourd’hui dans une communauté pré-scientifique tournée vers leur futur, difficulté d’établir des moments de skolé avec des élèves agités, (skolé : suspension apaisante de l’agitation et ouverture à la réflexion), et surtout nécessité de produire des réformes pédagogiques qui devraient, selon les mots du philosophe John Dewey, faire de l’école le terreau de la démocratie[2]. Nos politiques préfèrent acheter des bombardiers et construire de délirantes lignes de métro, persister dans un aménagement qui privilégie la bagnole, et dès lors, le citoyen n’a pas vraiment l’impression que l’école constitue un enjeu politique crucial : le nouveau président du C.D.H. n’en n’a rien dit lors de prise de charge ! Un effort intellectuel massif, percolant des échoppes de la pensée pure vers les pratiques de terrain, un investissement à consentir aujourd’hui pour les adultes de demain : l’école, Bruxelles n’y échappe pas, est autant négligée que surchargée, on lui demande de résoudre une crise civilisationnelle par des moyens pédagogiques affectés en première ligne par cette crise de civilisation : la relation pédagogique est autant déstabilisée par les processus de marchandisation des savoirs et des formations que par la crise de l’autorité contraignante délégitimée par la montée en force de l’individualisme démocratique.

Les propositions de l’auteur font l’impasse sur le fait que l’école reconduit autant qu’elle produit des inégalités. Elles négligent d’autres enjeux cruciaux qui interrogent autant les acteurs de l’école que les citoyens critiques : l’école ne se limite pas, en effet, à produire des futurs travailleurs, elle ne se résume pas en une institution au service des employeurs, des marchés de l’emploi et de la croissance économique. Une finalité politique à vitaliser, à implémenter dans l’école du Pacte d’excellence doit reprendre la visée d’émancipation sociale, revendication oh combien pertinente dans une ville riche peuplée d’un tiers de pauvres et de précaires. Certains ajouteront à bon droit que cette visée d’émancipation doit respecter les traditions des parents et élèves au risque d’ajouter, par une visée de type république française assimilatrice, des pratiques culturocides : polyglottes anglicisés, oui mais à condition de respecter des traditions culturelles insérées dans la filiation et la souffrance exilaire.

Philippe van Parijs et la mobilisation générale pour les langues[3]

Le philosophe argumente avec pertinence relativement à l’apprentissage des langues, dans une ville où le français domine, d’un Etat où le néerlandais est la langue majoritaire et d’une Union dont la langue vernaculaire est l’anglais. La démonstration est imparable, il faut programmer la polyglottie et s’en donner les moyens humains et matériels, Mais le lecteur est abasourdi quant à la hauteur de la barre à sauter : dans la même phrase, van Parijs indique l’afflux d’une population dont la langue maternelle n’est aucune de ces trois langues (N.D.L.R. le français, l’anglais ou le néerlandais) et ce constat rendrait indispensable de viser la généralisation d’un « trilinguisme + ». Comment penser sérieusement à exiger à des jeunes, dont le parcours scolaire est déjà chaotique et périlleux, ce programme à peine soutenable pour des enfants privilégiés fréquentant les écoles européennes ? Les jeunes issus de familles immigrées parlent une langue dialectale à la maison, fréquentent les centres culturels où ils apprennent la langue officielle de leur pays d’origine et que signifie dès lors pratiquement l’exigence d’une maîtrise relative de 5 langues quand ils seront sommés d’en apprendre trois sur les bancs de l’école ! Adopter de telles mesures sans accompagnements spécifiques conduirait à casser davantage l’ascenseur social qui produit encore aujourd’hui des intellectuels critiques et des jeunes entrepreneurs nourris d’ancrages multiculturels apaisés. Cette critique n’enlève rien à la pertinence globale du constat et au sérieux de bon nombre de propositions. Les langues à Bruxelles restent plus que jamais un passeport pour l’emploi. Mais accroître les capacités linguistiques des Bruxellois se confronte à l’incroyable mobilité volatile de sa population : le dernier taalbarometer de la V.U.B. pointe qu’entre 2000 et 2019, 1.200.000 habitants sont venus habiter Bruxelles pendant que 1.100.000 la quittaient. La connaissance des langues est en chute libre mais la citoyenneté, qui fait la cohésion sociale, réclame sans doute une lingua franca où tous puissent communiquer ensemble en restant ensemble pendant un certain temps, le hall de gare ne se prête guère à l’agora. Une Babel citoyenne exige que l’on prenne le temps pour construire un récit commun et les délibérations demandent l’usage d’une langue connue de tous.

Du pacte d’excellence à de nouveaux pactes culturels et communautaires ?

Si à Bruxelles, l’espace des problèmes et les institutions vouées à les résoudre doivent se coller à l’espace des solutions, les apports de Deneef et de van Parijs y convergent, il faut dès lors qu’une région forte et autonome fournisse à ces jeunes, qui en ont moins, des compétences scolaires-linguistiques solides pour construire le Bruxelles de 2040. Les employeurs sont demandeurs d’une hausse de la formation et notamment par l’allongement d’un tronc commun d’enseignement allongé. Mais les efforts à produire, les analyses à affiner et les choix politiques à effectuer se ressemblent pourtant au-delà des frontières régionales : les récentes analyses montrent d’ailleurs une baisse de qualité significative des résultats scolaires en Flandre. La crise de l’institution scolaire, puissamment arraisonnée par des pratiques de marchés, déborde largement les configurations institutionnelles, même repensés au sein d’une mécanique affinée recentrée sur des réformes opportunes que certains qualifieront cependant d’égoïsme régional impensé. Le ton général de l’ouvrage plaide pour une prise en compte vigoureuse du cosmopolitisme bruxellois mais pour le réencastrement, est-ce le mot, ? de ces données empiriques incontestables au sein d’une institution scolaire bruxelloise centrée sur ses enjeux multiculturels spécifiques. Le Pacte d’excellence devrait-il, à Bruxelles, se redoubler d’un nouveau pacte scolaire, associant étroitement les écoles néerlandophones, les écoles européennes et les écoles francophones ? Les plans de pilotage repris dans le Pacte d’excellence formulent des objectifs d’amélioration généraux, mais ces plans de pilotage reconnaissent le désir, le contexte, les besoins et difficultés propres à chaque établissement et à chaque équipe éducative[4]. Ils constituent au sens de la C.G.E. une réponse pratique et solide aux demandes de régulation et d’autonomie des acteurs éducatifs locaux. Sans doute que dans cette perspective, la proposition de Van Parijs, plus radical que Deneef, prendrait alors son sens, transférer des Communautés à la Région de Bruxelles-Capitale la compétence en matière d’enseignement obligatoire[5], ce qui repositionnerait les avancées du Pacte d’excellence à un nouveau round de négociations association la Vlaamse Gemeenschap au débat. Que vaudrait, dès lors, une régionalisation des compétences scolaires à Bruxelles alors que le Pacte d’excellence rencontre bon nombre de spécificités locales et régionales ? Sans doute que l’ensemble des propositions de l’ouvrage vise à (re)faire de Bruxelles une ville monde, cosmopolite, multi et inter culturelle. Bruxelles, ville francophone, cède démographiquement la place à Bruxsels Babel 2040. Une nostalgie aux accents québécois gagne les fins lettrés qui firent les beaux jours du F.D.F. : Bruxelles n’est plus une ville majoritairement francophone. Le nouveau monde bruxellois est babélien mais que restera-t-il de l’ancrage en Fédération Wallonie-Bruxelles avec une Wallonie encore accrochée à la culture et à la langue française ? La mort, annoncée et souhaitée par certains, de la Belgique, sera-t-elle une mort à deux ou à trois ? Le défi est de taille pour une ville riche dont le tiers des habitants sont pauvres, une ville où les trajets pendulaires périphérie-Bruxelles s’avèrent dispendieux, en coûts horaires, monétaires et de santé, dont les espaces publics sont détruits par l’envahissement quotidien de 190.000 voitures qui s’ajoutent aux 175.000 voitures bruxelloises. La transe mobilitaire, autant gage de liberté que prescription issue des pratiques de domination, gagne dès lors les cerveaux et l’usage des langues. Que nous réservent dès lors ces nouvelles Pentecôtes à l’atmosphère climatique, culturelle et sociale incertaine ?

 

 

[1] Henri Goldman, « assumer son cosmopolitisme » ibid., p. 31.

[2] Cette illusion qui consiste à croire qu’instaurer des cours de citoyenneté va contribuer à produire des citoyens ! Lire notamment John Dewey, Expérience et éducation, Paris, Armand Colin, 2011.

[3] Philippe van Parijs, « Langues : mobilisation générale ! », in Demain Bruxsels, op. cit. pp. 57-70.

[4] Merci à Frédérique Mawet et à Thomas Michiels, respectivement directrice et chargé de projets et d’études, CGé, Bruxelles, pour leurs observations et remarques.

[5] Philippe Van Parijs, Langues : mobilisation générale ! ibid. p. 65.