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Le dialogue entre jeunes femmes et mouvements féministes : inventer d’autres possibles

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Le 29 novembre dernier, se tenait à Bruxelles la 4ième édition de l’Assemblée participative Alter-Egales. Initié en 2015 par la Ministre des Droits des Femmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce lieu se veut être un espace de dialogue entre les organisations de femmes et la sphère politique. Chaque année, les associations de femmes sont invitées à  choisir un thème général qui est ensuite travaillé dans le cadre de sous-commissions chargées d’approfondir une partie de cette thématique. Cette année, le focus a été mis sur « Le droit à être présentée ».

Dans le cadre de la thématique générale, la sous-commission copilotée par le cabinet de la Ministre des Droits des femmes et Vie féminine, a proposé de travailler sur les enjeux de la participation des femmes et plus précisément sur la question de la participation des jeunes femmes aux luttes féministes aujourd’hui. Le souhait était de mieux connaître les collectifs de jeunes féministes actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles et réfléchir avec les jeunes femmes qui les composent aux conditions du dialogue avec les organisations féministes plus anciennes, de manière à faire émerger des stratégies et des objectifs communs. Suite à l’appel que nous leur avons adressé, 11 collectifs [2.Belges et Culottées, Afro-feminist in progress, Cercle féministe de l’ULB, Le collectif féministe Kahina, Les Cannelles, Be Cause Toujours !, Noms peut-être !,  Les Collectifs Jeunes-Femmes de Vie féminine, Le Mwanamke, Le Poisson sans bicyclette, L’Angela.] ont participé activement aux travaux de la sous-commission et à l’élaboration d’un texte final qui a  été présenté lors de l’Assemblée du 29 novembre 2018.

Les collectifs de jeunes féministes sont constitués de femmes partageant les mêmes intérêts ou préoccupations, relativement homogènes (au niveau de l’âge, de l’origine, du milieu social, etc.). Tous ces collectifs sont enracinés dans un contexte particulier. Chacun a son histoire, sa manière d’entrer dans le féminisme, ses définitions et son répertoire d’actions. Ils se caractérisent par leur choix de travailler et de s’engager sur des questions ou des problèmes qui les concernent directement, tel que le sexisme dans l’espace public, la mixité, l’autodéfense verbale, la taxe sur les tampons, la féminisation des noms, l’antiracisme, etc. Le militantisme est donc très situé au sens de l’expérience singulière et collective.

Les rencontres et les échanges avec les membres de ces collectifs nous amènent à prendre conscience de l’émergence de nouvelles forces au sein du mouvement féministe. Les recommandations finales de la sous-commission ont insisté sur une nécessaire reconnaissante de l’existence et l’importance des collectifs de jeunes féministes dont les revendications se fondent sur des réalités et des vécus qui remodèlent et enrichissent la réflexion et l’action féministe.  Une reconnaissance de la diversité des féminismes parce qu’elle est liée à la diversité des conditions de vie des femmes et à leurs expériences singulières. Celles-ci sont marquées par l’imbrication de différents rapports de domination (sexe, race, classe, orientation sexuelle, etc.). Toutes les femmes ne sont pas toutes égales entre elles.

D’autre part, l’accent a aussi été mis sur l’importance pour les différentes générations de féministes d’entretenir un dialogue constant, au risque de se priver d’outils précieux. Mais également que le mouvement féministe «mainstream» ne constitue plus la norme à laquelle doivent se conformer les collectifs.

Ces insistances ne sont pas anodines car elles témoignent à la fois de la difficulté de dialogue entre les différentes générations de féministes mais aussi d’un manque de prise en compte de la diversité des féminismes. Cette diversité ne doit pas être vue comme un obstacle mais plutôt comme une invitation à inventer, imaginer, trouver de nouvelles voies qui collent aux réalités et aux aspirations des femmes d’aujourd’hui.

[>> Sur la diversité des féminismes, lire « Diversité et féminisme : leçons d’Amérique » (POL#56 10/08)]

Inspirées par l’afro-féministe américaine, Bell Hooks[3.«Les femmes n’ont pas besoin d’éradiquer leurs différences pour se sentir solidaires les unes aux autres. Nous n’avons pas besoin d’être toutes victimes d’une même oppression pour toutes nous battre contre l’oppression.»], les participantes de la sous-commission ont également souligné l’urgence de construire des solidarités politiques, c’est-à-dire apprendre à lutter contre des oppressions qu’on ne subit pas soi-même.

Les écrits de la politologue Diane Lamoureux[4.Diane Lamoureux, Les possibles du féminisme. Agir sans « nous », Les Éditions du Remue-ménage, Montréal, 2016.] ont guidé à leur tour nos réflexions en proposant, dans le respect de l’autonomie de chacune, d’organiser la transformation du mouvement féministe via des coalitions sur de nouveaux enjeux et en renouvelant les stratégies de lutte.

En effet, si nous voulons considérer la diversité des conditions de vie et des identités des femmes, il est essentiel de penser de nouvelles formes d’alliances plus flexibles qui prennent la forme de coalitions ouvertes, éphémères, jamais considérées comme définitives ; sans programmes prédéfinis ; qui se construisent en fonction des objectifs et enjeux du moment ; qui questionnent et refusent les normes et permettent la coexistence de convergences et de divergences ; qui peuvent s’articuler avec les autres mouvements sociaux en lutte pour la justice sociale.

Ces coalitions peuvent émerger dans le cadre institutionnel (à l’initiative d’un.e ministre ou d’un organisme public) ou associatif (à l’initiative d’un groupe ou collectif féministe ou de femmes).

Mais quelle que soit la formule, il importe de mettre les conditions à la participation de chacune en instaurant des règles de bienveillance, de solidarité, de respect et de sécurité pour que les femmes dans leur multiplicité et leur diversité puissent se reconnaître comme différentes et égales, s’écouter, s’entendre et s’exprimer, y compris exprimer les différends et les divisions. Ces espaces doivent pouvoir être des lieux suffisamment sûrs pour que le conflit et les débats puissent être formulés et avoir lieu sans conduire à la rupture.

Mais il s’agit également de transformer la pratique et la théorie des groupes majoritaires peu habitués à se remettre en question. L’information et la formation (par exemple en matière de racisme ou d’hétérosexisme) sont des étapes dans ce processus de redéfinition des rapports sociaux entre femmes.

Et enfin, il ne faut pas perdre de vue que les rencontres et réflexions dont il est question ici ont été rendues possibles dans le cadre d’un espace participatif créé au sein du Ministère des Droits des Femmes. Cette année, encore plus que les autres années, Alter Egales a prouvé sa pertinence pour faire rencontrer des femmes ayant des ancrages, des modes d’actions et des intérêts diversifiés.
C’est pourquoi, la sous-commission a également émis une série de recommandations[5.Le droit à être représentée, Alter-Egales, Assemblée pour les droits des femmes, 2018.] afin de pérenniser Alter-Egales tout en insistant sur l’importance que ce lieu puisse à l’avenir répondre également aux conditions de participation permettant à TOUTES les femmes, dans leurs diversités, de s’y sentir bien.