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Le journalisme n’a pas bonne presse

4 FÉVRIER 2019 : LE PARQUET PARISIEN TENTE DE PERQUISITIONNER MEDIAPART

[Chronique médiatique publiée dans le numéro 107 de Politique, mars 2019]

Traitres, laquais à la botte du pouvoir, «merdias», voilà ce que l’on peut notamment lire sous les articles relatant les agressions, de plus en plus nombreuses, ciblant des journalistes. À l’heure où les fake news et autres infox ont le vent en poupe, autant dire que se présenter, carte de presse à la main, est un exercice de plus en plus périlleux. Mais si les médias n’ont pas bonne presse auprès du citoyen lambda, il y a plus inquiétant encore : la censure de la part des autorités publiques.

«La presse est libre, la censure ne pourra jamais être établie.» C’est ce que stipule l’article 25 de la Constitution belge. Cela ne signifie pas que la parole est libre au point de laisser la haine se répandre puisqu’un « contrôle » existe pour, par exemple, engager la responsabilité de la presse a posteriori. Avant publication, un tel contrôle s’appelle censure.

Pourtant, le Collège des procureurs généraux, notamment chargé de diffuser des circulaires concernant la politique criminelle en Belgique, ne semble pas très en phase avec l’article 25. Le dernier texte de cette institution n’est pas encore d’application mais il suscite l’indignation, notamment de l’Association des journalistes professionnels (AJP). Et pour cause, la circulaire prévoit que les journalistes (traitant des affaires judiciaires) devront signer une convention rédigée par le parquet qui contiendra obligatoirement une clause permettant de censurer de façon inconditionnelle le contenu du reportage. Autrement dit : un magistrat de presse pourra, sans devoir se justifier, effacer ou interdire la diffusion de textes, paroles ou images réalisées par un journaliste. Pour l’AJP, il s’agit purement et simplement de censure préalable. Des discussions à ce propos sont en cours mais le ton semble très clair : si la presse est libre, un contrôle a priori semble plausible.

En France, ça ne va pas mieux. Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron évoquait sa volonté de voir naître des «structures», financées par l’État,
qui contrôleraient les médias. Objectif : «assurer une neutralité» et «vérifier l’information». Cette bonne attention vis-à-vis du public qui, dans
le flot d’informations, risque de se perdre, ressemble pourtant à une mise sous tutelle du journalisme. Plus récemment encore, c’est la tentative de
perquisition dans les locaux de Mediapart qui mettait en alerte les garants de la liberté de la presse. Perquisition refusée par le rédacteur en chef du
journal, Edwy Plenel, qui dénonce une violation du secret des sources, pierre angulaire du journalisme. L’opération de police visait en fait des documents sonores liés à l’«affaire Benalla», potentiellement gênants pour l’Élysée, mais aussi pour Matignon. Ce qui alimente plus encore les craintes de pression de la part des autorités et de censure qui pèsent sur le journalisme.

Nous ne sommes pas confrontés à de simples faits divers mais à des alertes qui doivent faire réagir au-delà du monde des médias. Car la liberté de presse est indétachable à la liberté d’expression, baromètre d’une démocratie. Et toucher à la liberté de la presse, c’est en fait toucher à la liberté, tout simplement.