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Le Luxembourg altermondialiste

Des altermondialistes au pays des banques et des gros portefeuilles ? Ils ne courent certes pas les rues, mais leurs idées circulent désormais. Avec, comme pour l’Espagne, quelques alliances improbables… qui font mouche.

Pour situer notre propos, il convient de rappeler que le Luxembourg est un pays très particulier. Très petit 2 586 km2 et environ 484 000 habitants.., il est le plus riche de l’Union européenne. Selon Eurostat cependant, le niveau élevé du PIB à Luxembourg est en grande partie dû au pourcentage important de travailleurs frontaliers (190 000 personnes) dans l’emploi total. Par ailleurs, beaucoup d’étrangers résident dans le pays, constituant 40% de la population. Les Portugais constituent la principale minorité. De nombreuses personnes d’Europe de l’Est sont également arrivées ces dernières années. En outre, du fait de la présence des institutions européennes et surtout des banques et autres institutions financières, comme la célèbre Clearstream, une population étrangère plus «nantie» s’est installée dans le pays. Cette hétérogénéité linguistique et sociologique explique pour une part les difficultés spécifiques du mouvement social en général et en particulier de toute organisation véritablement critique. Pourtant, ONG et associations de toutes natures fleurissent au Luxembourg. Bon nombre d’entre elles perçoivent des subventions de l’État ou sont des émanations directes de l’Église (Caritas, Frères des hommes…). La prééminence historique d’un activisme d’obédience catholique plus ou moins stricte constitue sans doute un frein à l’essor de formes d’organisation totalement émancipées. À quoi il faut ajouter, du fait de la petite taille du pays, le risque de «promiscuité» entre ces associations (mais aussi les syndicats) et les responsables politiques ou les entreprises. Néanmoins, cette mouvance complexe n’est pas dépourvue de ferments de radicalité. On en voudra pour preuve que c’est de la rencontre a priori improbable entre des membres du «Centre de pastorale en monde du travail», directement rattaché à l’Évêché, et des membres du groupe des Amis du Monde diplomatique qu’est née dès 1999 Attac-Luxembourg.

Du Forum social national…

Depuis quelques années, le mouvement altermondialiste n’est plus tout à fait étranger au Luxembourg. À l’automne 2002 s’est créé, sur la lancée de Porto Alegre, le Forum social luxembourgeois (FSL), qui a regroupé dès l’origine des associations très diverses, allant du syndicat des cheminots à un collectif féministe, de plusieurs organisations catholiques aux militants de la cause palestinienne, d’écologistes au principal syndicat étudiant… et auquel ont bien entendu participé le groupe d’Attac et celui des Amis du Monde diplomatique (AMD). La première action à laquelle le FSL ait très activement contribué a été la grande manifestation du 15 février 2003 contre la guerre en Irak. À cette occasion, tout ce que la «Grande région» (Luxembourg, Lorraine, province belge du Luxembourg, Sarre et Trêves) compte de voix critiques à l’égard du militarisme impérialiste dont se double la mondialisation libérale, était présent en une belle démonstration d’internationalisme !

… au «non» à la Constitution

Dès l’automne 2003 s’est mis en place un «Comité pour le non à la Constitution européenne», qui a pris provisoirement le relais du FSL. Au Comité se sont jointes de nombreuses personnes, à titre individuel ou représentant les organisations les plus diverses. Dès le départ, il avait été clairement affirmé que le Comité militait pour un «non de gauche», sans aucune compromission avec les souverainistes et autres nationalistes. Il se déclarait pro-européen, mais «pour une autre Europe», sociale, démocratique, écologiste, féministe, antimilitariste et ouverte. Si le miracle ne se produisit pas – le «oui» l’emporta finalement –, la campagne du Comité fut un événement unique au Luxembourg : face au matraquage incessant de la classe politique et des médias, il parvint à faire percer ses arguments dans l’opinion. L’activisme du Comité fut considérable : panneaux d’affichage dans tout le pays, collages «sauvages», et enfin deux meetings qui rassemblèrent chacun près de cinq cents personnes à quelques jours d’intervalle ! Le résultat final – 43,5% de «non» – était bien éloigné des pronostics officiels… Mais le plus important est que des idées se sont échangées au Luxembourg qui n’avaient jamais franchi le cercle des «gauchistes» ou altermondialistes. En mars 2005, puis en février 2006, le FSL a participé aux manifestations contre le projet de directive sur la libéralisation des services publics, dite Bolkestein, respectivement à Bruxelles et à Strasbourg. En mai 2007, il a organisé sa deuxième journée de débats publics, dans le cadre d’un projet des associations d’aide au développement, intitulé «All We Need», lui-même intégré au volet «social» de la Capitale européenne de la culture. Les cheminots syndicalistes du Landesverband/FNCTTFEL, ainsi que des syndicalistes de la Grande région, ont débattu avec les écologistes, les étudiants de l’Union nationale des étudiants du Luxembourg – alors mobilisés contre le projet de loi 5611, visant notamment à supprimer l’allocation de chômage pour les jeunes diplômés – et plusieurs associations de jeunes alternatifs.

Attac-Lux et les autres

Il n’est pas aisé de circonscrire la «scène» altermondialiste au Luxembourg car ses contours varient quelque peu au gré des événements et des actions. Il existe toutefois des associations durables et assez présentes. Queesch, qui publie un magazine du même nom, est une association de jeunes, créée en 2003 en référence explicite au mouvement altermondialiste. Il constitue une plateforme d’expression sociale, culturelle et artistique libre et alternative, qui organise des ateliers et des festivals de musique. Nombre de ses membres s’associent régulièrement aux actions collectives (FSL…). Par ailleurs, Infoladen, basé à Esch-sur-Alzette, ville industrielle du sud du pays, ouvrière et de gauche, offre aux jeunes des espaces de réflexion et d’action dans tous les domaines, et surtout des informations en rupture avec le discours dominant. Dans cette même ville, un lieu joue un rôle d’accueil important – outre son excellente et abondante programmation musicale et artistique propre – pour les manifestations alternatives, telles que la Fête de la Résistance, dont nous reparlerons. Il s’agit de la Kulturfabrik, anciens abattoirs convertis en centre culturel sur le mode berlinois. Au niveau des médias, il faut citer la présence d’Indymedia et de Woxx, hebdomadaire écologique et social fondé en 1988, très attentif à rendre compte d’une actualité sociale et militante peu éclairée par les grands journaux nationaux. Le syndicat des cheminots, déjà cité, est en bien des points proche des altermondialistes, car son action dépasse le cadre de la défense «corporatiste» des intérêts de ses adhérents : il se bat pour la préservation des biens et des services publics, contre la politique de libéralisation effrénée des institutions européennes. Il a en particulier participé avec Attac à la mobilisation contre la directive postale en 2007. Parmi ses responsables figurent plusieurs membres du parti Déi Lenk (La Gauche), lié au parti de la Gauche européenne, qui s’efforce d’impulser d’autres politiques à l’échelle de l’Union européenne. Il est aussi le seul parti politique de gauche à avoir appelé à voter «non» au référendum sur le projet de constitution européenne de 2005. Dès 1999, Attac-Luxembourg s’est illustrée par un certain nombre d’actions spectaculaires visant à informer sur le «paradis fiscal» luxembourgeois. Elle a notamment organisé plusieurs «grandes lessives», joyeuses parades didactiques à travers la capitale, destinées à faire réagir public et médias au problème du blanchiment de l’argent sale. Mais la manifestation la plus importante, organisée depuis 2000 à la Kulturfabrik d’Esch, est la Fête/Faites de la Résistance, coopération d’Attac et des AMD. Journée de débats, conférences, films, stands de littérature militante et de produits d’agriculteurs locaux et/ou bio, terminée par un concert et une fête, elle constitue une occasion d’échanger idées et projets d’action avec les mouvements des pays voisins et permet d’entrer en contact avec des personnes qui ne participent pas nécessairement aux actions militantes ordinaires. Attac-Luxembourg est désormais une référence dans le paysage «alter» du Luxembourg. Elle participe, souvent au côté des AMD, à de nombreuses manifestations ou activités régulières : Festival des migrations du Comité de liaison des associations d’étrangers, Journée sans OGM organisée par Greenpeace, son festival «Cinérésistances», son émission mensuelle sur Radio Ara, «radio libre et alternative du Luxembourg»… Bref, un tableau contrasté… Si l’audibilité des analyses et des propositions altermondialistes est à la mesure de la difficulté d’existence des classes populaires et du sentiment d’urgence face à la dégradation sociale et écologique, il faudra probablement attendre encore quelques années pour que les voix critiques soient vraiment entendues au Luxembourg. Mais, au rythme où se succèdent les attaques, y compris contre des classes moyennes qui se sentaient jusqu’à présent protégées par la prospérité du pays, on peut être certain que ce moment approche !