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Le manifeste de Charta 91

Charta 91 est lancé en février 1992 après le premier « Dimanche noir », qui vit la première percée électorale du Vlaams Blok en novembre 1991, fut un véritable cataclysme pour toute la part progressiste de la société flamande. Trois figures de la génération 1968, Paula Burghraeve, Eric Corijn et Paul Verbraeken, prirent alors l’initiative de lancer un contre-feu. Ce fut Charta 91, qui fut à la base d’une mobilisation extraordinaire du monde intellectuel et artistique.

Cet article a paru dans le n°111 de Politique (mars 2020).

 
La crise s’exprime aux niveaux politique, socio-économique et culturel.

La politique est perçue comme un spectacle peu crédible, au service d’intérêts particuliers, et qui fonctionne selon des règles qui laissent la majorité de la population sur la touche. Impuissante, cette majorité est réduite au rôle de spectateur et voit triompher l’opacité, un mélange éhonté d’intérêts particuliers et d’inefficacité. Pour s’y opposer, il faut s’atteler à la construction d’une nouvelle culture politique crédible, basée sur la transparence, une meilleure justice et une meilleure qualité du fonctionnement politique. De nouveaux organes et de nouvelles institutions doivent favoriser l’autogestion, le contrôle et la participation directe du citoyen.

Au cours de ces quinze dernières années, la situation socio-économique a connu une profonde modification. La richesse du pays a été redistribuée au détriment des plus défavorisés et l’État providence a été remplacé par une société duale. Il n’est donc pas étonnant que, dans certains quartiers urbains, le chômage, une politique de logement inadéquate et l’exclusion sociale se traduisent par l’intolérance et la xénophobie. Dans les prétendus beaux quartiers, le malaise s’accroît également en raison de l’insécurité croissante quant aux perspectives professionnelles et du manque de reconnaissance.

Des institutions telles que l’enseignement, les soins de santé, les activités socioculturelles et la recherche scientifique sont victimes de restrictions budgétaires et de marginalisation. Le climat culturel se détériore rapidement, ce qui favorise un glissement idéologique vers la droite. La médiocrité de la culture de consommation n’engendre ni le renouveau ni la diversité. La progression de l’analphabétisme, le retard scolaire, la dépréciation de l’enseignement et la culture de jeux médiatiques ont ouvert des plaies profondes dans le tissu mental de la société.

II faut un renversement de ce climat politique, social et culturel. La situation ne changera pas toute seule. Quelles sont les priorités ? Est-ce l’unification économique et monétaire de l’Europe, qui se fait d’une manière non démocratique, ou la réponse aux besoins sociaux et culturels de la population ? Et s’il faut en arriver aux thérapies de choc, qu’elles touchent les groupes dont le seuil de la douleur n’a pas encore été dépassé. Charta 91 veut contribuer à ce changement de cap. Charta 91 n’est pas l’embryon d’un parti politique ni un substitut aux nombreux signes d’indignation qu’expriment manifestations et pétitions diverses. Elle se veut complémentaire.

Nous proposons une action en trois parties. Premièrement : une discussion de fond en termes politiques clairs. L’organisation et le fonctionnement des structures locales, nationales et internationales deviennent de moins en moins démocratiques. Un renversement de la situation ne peut se faire qu’à partir d’une analyse politique sérieuse, non par des ripostes superficielles ou par quelque idéologie miracle. Deuxièmement : cette nouvelle prise de conscience politique exige stratégie et persévérance. La nature des problèmes déterminera les modalités de la riposte. Tout cela suppose un travail en profondeur et à long terme. Troisièmement : nous voulons promouvoir un mouvement indépendant de citoyens autonomes. Leur appartenance à des organisations ou à des mouvements n’empêche pas qu’ils puissent travailler ensemble sur la base d’un diagnostic commun du malaise social et qu’ils puissent aboutir ensemble à une meilleure intelligence des problèmes.

La situation est trop grave pour que l’on s’en remette aux structures de pouvoir qui sont un des éléments du problème. Des citoyens responsables peuvent contribuer à combattre cette dégradation, source d’intolérance, de xénophobie, d’exclusion sociale, d’angoisse et d’insécurité. Charta 91 rassemble des personnes de milieux, d’intérêts, de professions et de cultures différentes, des citoyens aux rêves et aux espérances les plus divers qui veulent, dans le pluralisme, œuvrer pour la liberté, l’égalité et la solidarité.

Il faut inverser le courant !