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Le marxisme culturel

Dans un ouvrage publié en 2002 et intitulé La mort de l’Ouest (The Death of the West, St. Martin’s Press), Pat Buchanan, commentateur bien connu de l’autre côté de l’Atlantique, trois fois candidat à la présidentielle américaine (en 1992, 1996 et 2000), expliquait qu’en 1933, Adolph Hitler est arrivé au pouvoir à Berlin, « et comme les leaders de l’École de Francfort étaient juifs et marxistes, ils n’étaient pas les bienvenus dans le Troisième Reich ». L’École de Francfort, ajoute-t-il, a alors mis son idéologie « dans ses bagages avant de s’envoler pour l’Amérique ». Et avec l’assistance de la Columbia University, « ils ont pu remettre sur pieds leur école à New York et rediriger leurs talents et leurs énergies pour saper la culture du pays qui leur avait donné refuge » (pp.79 et 80, c’est nous qui soulignons, traduction de l’auteur). En organisant les attentats de juillet 2011 en Norvège, Anders Breivik s’inscrit dans la longue et vaste « tradition » des auteurs comme Pat Buchanan qui voient dans l’École de Francfort la source de tous « les problèmes, dont notamment le déclin et l’islamisation de l’Occident ». Breivik a simplement ajouté son nom – certes de façon plus dramatique et plus spectaculaire que ses prédécesseurs – à une multitude de groupements politiques et religieux qui chacun à leur manière ont lutté contre le « marxisme culturel », bien avant lui ! Ce constat est important, car si ce drame est réduit demain à un massacre qui serait l’œuvre d’un fou, on passerait à côté d’un discours pourtant dangereux, efficace, et fort répandu en Europe et aux États-Unis. Si les objectifs réels de la lutte contre le « marxisme culturel » et les moyens à mettre en oeuvre varient d’un groupe à l’autre, on peut résumer l’analyse de Breivik de la façon suivante : (1) d’abord le constat : les marxistes d’hier ont beaucoup de difficultés à trouver aujourd’hui des « prolétaires » pour soutenir leurs visées révolutionnaires ; (2) ensuite la solution : pour récupérer le soutien populaire, les marxistes doivent étendre la défense des « prolétaires » aux « nouveaux prolétaires » que sont désormais les femmes à protéger contre les « hommes machistes » ; les étrangers contre les « nationaux racistes » ; les homosexuels contre les « homophobes » ; les humanistes contre les « chrétiens » ; les délinquants contre la « police violente et agressive » ; (3) comment procéder : pour y arriver, les marxistes culturels doivent accuser leurs ennemis de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, de fascisme, de nazisme, de conservatisme, ce qui permettra l’instauration du « politiquement correct » et l’interdiction de critiquer le marxisme culturel ; (4) pourquoi agir de la sorte : l’objectif des marxistes culturels est de discréditer la nation, la patrie, les hiérarchies, l’autorité, la famille, le christianisme, les valeurs, l’ordre et la morale pour favoriser l’émergence d’une « nation mondiale ultra-égalitaire et multiculturelle sans âme ni racine ». Et Breivik de citer plusieurs preuves qui ne laissent aucun doute selon lui sur la qualité de son analyse : le pouvoir démesuré des élites de Bruxelles composées de « gens non élus apatrides » témoigne du nouveau gouvernement mondial en place ; le « dogme de la société multiculturelle » dont on ne peut dire que du bien « sous peine de poursuites judiciaires » témoigne de la toute-puissance des organisations antiracistes qui sont l’avant-garde de la révolution ; et, enfin, la présence de populations étrangères et de confession musulmane sur le sol européen démontre l’arrivée « massive, organisée et volontaire des nouveaux prolétaires », les « nouveaux clients » des marxistes culturels. La doctrine selon laquelle le « marxisme culturel » a transformé l’Europe et les États- Unis est très efficace car elle est globalisante et flexible et permet à chaque groupe politique ou religieux de choisir et de développer dans sa propre propagande l’enjeu qui le dérange le plus : certains mettront l’accent sur la « menace islamiste », d’autres sur le « recul des valeurs et le danger du féminisme ou de l’homosexualité », d’autres sur le « pouvoir des élites anonymes de l’Union européenne », d’autres enfin sur le fait que l’École de Francfort – considérée comme le berceau du marxisme culturel – abritait les Juifs Theodor Adorno et Max Horkheimer…