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Le miracle britannique

24 JUILLET 2019 : BORIS JOHNSON DEVIENT PREMIER MINISTRE DU ROYAUME-UNI

Alors que la croissance ralentit, le taux de chômage, à peine de 3,8 %, continue à refluer au Royaume-Uni. En ce mois d’août, pendant que le pays se déchire sur le Brexit, la presse d’outre-Manche se délecte du « miracle britannique de l’emploi ». Pourtant, les banques
alimentaires ne désemplissent pas et le Trussell Trust, équivalent des restos du cœur, a distribué un nombre record de colis alimentaires en hausse de 19 % par rapport à l’année précédente.

Il ne faut pas chercher loin l’explication de ce paradoxe. D’abord, sous l’effet des mesures prises par les gouvernements conservateurs successifs, les salaires ont subi une baisse de 5 % par rapport à 2008, soit une diminution inédite sur une décennie dans l’histoire récente du pays. Ensuite, le développement des emplois précaires (contrats 0 heure, autoentrepreneurs…) a dépassé les niveaux pourtant considérables des autres pays européens. Enfin, l’affaiblissement des syndicats complète ce tableau qui acte en réalité un « miracle » en trompe-l’œil dissimulant une régression sociale massive et un recul des capacités économiques du pays. Les entreprises qui ont une faible productivité préfèrent embaucher à bas prix d’autant plus qu’elles peuvent licencier sans que ça ne leur en coûte, plutôt qu’investir dans des équipements et des processus efficaces. La seule perspective du Brexit renforce encore la désagrégation qui frappe le pays.

Le « Brexit dur » que Boris Johnson s’est promis de faire aboutir ne se limiterait pas au seul Royaume-Uni. Sa politique ultralibérale voulant faire de son pays un Singapour européen précipiterait le continent dans un moins-disant social généralisé. Les effets seraient désastreux pour le Royaume-Uni comme pour l’UE.

Le gouvernement conservateur de Boris Johnson ne repose que sur une majorité d’une voix, insuffisante en raison des défections internes des opposants à un Brexit dur. Son plan vise en conséquence à quitter l’UE sans passer par le parlement avant la date fatidique du 31 octobre et à organiser ensuite des élections avec l’espoir de les remporter en gagnant à sa cause les partisans de l’ultrabrexiter Nigel Farage. Le chef de l’opposition Jeremy Corbyn, leader d’un parti travailliste à présent nettement à gauche, préconisait la constitution d’un vaste camp du refus transpartisan afin de renverser le gouvernement conservateur dès la rentrée parlementaire de septembre et de former un gouvernement pour un temps limité de manière à obtenir d’abord de l’UE le report de la date butoir. Il organiserait ensuite des élections anticipées et un nouveau référendum qui prévoirait l’option de rester au sein de l’UE.

« L’élite du pouvoir » britannique, favorable au maintien du pays au sein de l’UE, s’est trouvée ainsi face à un choix cornélien : le Brexit dur de Boris Johnson ou le remain (le maintien) ou à défaut le « soft Brexit » au prix du leadership de Jeremy Corbyn dont elle abhorrait le programme socialiste nettement à gauche et sa personne vilipendée et calomniée comme jamais par les tabloïds et les médias mainstream. Dominic Grieve, un des quatre parlementaires conservateurs pro-européens qui ont rallié immédiatement le camp de Corbyn, justifie ainsi son choix : « Entre deux diables, le no deal et Corbyn, je suis prêt à accepter le second ». L’establishement britannique, tétanisé par Corbyn et qui mise à présent sur les libéraux démocrates pour empêcher le no deal, sera-t-il conduit à faire le même choix ?

Il ne faut pas se tromper, le Brexit n’est pas seulement une affaire britannique, il conditionne tout autant l’avenir des pays européens. Si Corbyn devait réussir son pari, la perspective socialiste pourrait devenir crédible non seulement en Grande-Bretagne mais également en Europe. Un miracle britannique à l’heure des populismes nationalistes d’extrême droite ?