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Le purgatoire de l’égalité (présentation)

À force d’être reléguée dans la sphère de l’abstraction et déconnectée du réel, l’égalité – cette « étoile polaire de la gauche » selon Norberto Bobbio – avait disparu du champ des objectifs de l’action politique progressiste. Or, selon plusieurs indices, il semble que ce «purgatoire » est en train de prendre fin. Ce « thème » entend offrir une approche théorique, pratique et politique de la manière dont la question des inégalités socioéconomiques revient en force à l’avant-plan des débats.

Le niveau général d’inégalités d’une société affecte négativement toutes les classes de la population, et pas seulement les plus pauvres, comme on pourrait s’y attendre.

Théorique, dans la mesure où sont abordés les enjeux conceptuels qui traversent cette question : les tensions et convergences entre reconnaissance et redistribution, l’opposition majeure entre lutte contre les inégalités et lutte contre la pauvreté, ou encore le rapport entre inégalité et mobilité sociale. Pratique, puisque le choix a été fait de ne pas se limiter à des considérations abstraites mais de plonger, autant que le permettent l’appareil statistique et l’état des recherches, dans les données concrètes en matière d’inégalités et d’effets de celles-ci. Politique car, partant de l’hypothèse que la question des inégalités revient à l’avant-plan du débat intellectuel, nous avons essayé de voir en quoi ce retour connaissait déjà des traductions politiques concrètes. John Pitseys et Edgar Szoc commencent par s’interroger sur le sens à donner à ce retour de la question des inégalités et tentent d’y apporter une perspective historique, abordant la configuration et les termes nouveaux dans lesquels elle est désormais posée. Julie Ringelheim montre en quoi les questions de reconnaissance et de redistribution doivent être pensées ensemble, et pas séparément, et comment les différentes dimensions de l’égalité se doivent d’être articulées et pas opposées. Daniel Zamora dénonce les impasses politiques auxquelles mène le refus de prendre en compte la question des inégalités dans la lutte contre la pauvreté. Cette logique mène à prôner de façon absurde le respect du pauvre plutôt que l’abolition de la pauvreté. Aurélie Maréchal défie la faiblesse notoire de l’appareil statistique belge pour esquisser une cartographie des inégalités salariales en Belgique. Elle formule l’hypothèse que c’est en partie la méconnaissance des inégalités réelles et la perception erronée du problème qui empêche d’entamer sereinement le débat sur la limitation de la tension salariale ou le plafonnement des écarts de revenus. Laurence Weerts témoigne de l’importance nouvelle qui est accordée à cette question, y compris dans les lieux qui pourraient y paraître le plus insensibles, tels que l’OCDE ou la Commission européenne. Enfin, la parole finale est donnée à Richard Wilkinson, un de ceux « par qui le retour arrive ». The Spirit Level, le livre qu’il a coécrit avec Kate Pickett et qui vient d’être traduit en français sous le titre Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, a en effet fortement contribué à relancer le débat sur les effets délétères de l’inégalité. Sa spécificité tient sans doute dans sa très solide base empirique : il ne s’agit pas de s’interroger de manière abstraite sur la légitimité ou non de tel ou tel type d’inégalités, mais de montrer concrètement en quoi le niveau général d’inégalités d’une société affecte négativement toutes les classes de la population, et pas seulement les plus pauvres, comme on pourrait s’y attendre. Ce Thème a été coordonné par Edgar Szoc.