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Le sofa de la discorde

© Pietro Naj-Oleari
6 avril 2021 : la présidente de la Commission européenne est mise à l’écart d’une rencontre entre la Turquie et l’Union européenne à Ankara.

Ce texte de la “chronique européenne” a paru dans notre n°116 (juin 2021).

L’Union européenne a manqué le coche le 6 avril dernier à Ankara lorsque la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est assise, déconcertée et esseulée, sur un divan situé à quelques mètres du président du Conseil européen Charles Michel et du président turc Recep Tayyip Erdogan. La scène a suscité de multiples commentaires sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #Sofagate. Elle a mis en lumière le brouillard enveloppant la représentation européenne, voire les valeurs que l’Union devrait inconditionnellement défendre, parmi lesquelles la place des femmes. À Ankara, et partout ailleurs, cette place n’est pas à l’écart sur un canapé.

On peut ergoter encore longtemps sur le protocole de l’Union européenne instaurant la préséance de la présidence du Conseil. Mais la diplomatie européenne n’est pas le protocole et la vraie interrogation porte davantage sur la réaction du président du Conseil européen à cet incident et sur l’attitude du président turc, installés à égalité sur des sièges dorés devant leur drapeau respectif. L’image est parlante et la vidéo l’est tout autant entre le « hum » d’Ursula von der Leyen, la normalité affichée par Recep Tayyip Erdogan et… le silence de Charles Michel.

Car c’est bien le silence et l’absence de réaction du président du Conseil qui posent question. Personne ne peut raisonnablement penser que Charles Michel n’ait que faire de l’égalité des genres. Il a d’ailleurs très vite regretté « l’impression de dédain donnée envers la présidente de la Commission européenne ou les femmes en général ». Faut-il dès lors y voir un manque de diplomatie, de réaction ou de sens politique ?

Quoi qu’il en soit, Charles Michel est passé à côté d’une occasion d’affirmer l’attachement européen à l’égalité des genres. À Ankara, l’heure n’était pas au scandale et au spectacle face au président turc mais demander ne fût-ce qu’un troisième fauteuil aurait permis à Charles Michel de sortir la tête haute. La cause des femmes aurait par ailleurs été portée jusqu’à Ankara, alors que la Turquie venait d’annoncer son retrait de la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

Cette occasion manquée, Ursula von der Leyen, elle, l’a saisie, certes après avoir exprimé son humiliation à plusieurs reprises. La première femme présidente de la Commission européenne a été invitée à s’exprimer lors d’un débat organisé au Parlement européen sur l’incident survenu en Turquie : « Je veux être traitée comme présidente de la Commission. À Ankara, cela n’a pas été le cas et c’est arrivé parce que je suis une femme », a-t-elle défendu. Elle a également demandé aux dirigeants européens d’exiger de la Turquie le respect des droits des femmes comme préalable à la reprise des relations avec Ankara. Elle s’est ensuite lancée, devant les députés, dans un véritable plaidoyer pour les droits des femmes.

Finalement, le sofagate aura bien plus alimenté les discussions que les gros dossiers à l’ordre du jour de la réunion d’Ankara, comme le futur pacte migratoire entre l’Union européenne et la Turquie ou la situation à Chypre. Un échec pour la diplomatie européenne.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY 4.0 ; Ursula von der Leyen au Parlement européen le 16 juillet 2019, photo prise par EP.)