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Le tabou des salaires

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13 juillet 2021 : la FGTB lance sa campagne d’actions pour réviser la loi sur la norme salariale.

Cet article a paru dans le n°117 de Politique (septembre 2021).

« Le partage des revenus se déforme fortement au détriment des salariés (en faveur des profits) dans les pays de l’OCDE depuis le début des années 2000. De cette déformation, liée à l’exigence forte de rentabilité pour les actionnaires, résultent […] la hausse des inégalités, la pauvreté et en conséquence des tensions politiques et sociales.[1.Cette citation n’est pas de Michel Husson, économiste marxiste, qui vient de nous quitter brusquement, mais de Patrick Artus, directeur des études économiques de la banque Natixis et administrateur de Total. Natixis, Flash Economie, 6/1/2021, n°12. ] »

En Belgique, depuis 1996, la « loi pour la promotion de l’emploi et la sauvegarde préventive de la compétitivité » a constitué un carcan à la hausse des salaires. En durcissant encore cette loi en 2017, le gouvernement Michel a pérennisé le gel des salaires et inventé un « handicap salarial historique » qu’il faudrait rattraper. La compétitivité érigée en loi, les injonctions à augmenter le taux d’emploi et à réduire la pauvreté ont ringardisé les salaires. Augmenter les salaires dans cette modernité néolibérale frise non seulement l’indécence mais est devenu illégal.

Le début de l’an 2021 nous a réservé une surprise de taille : la CSC, la FGTB et la CGSLB ont refusé l’AIP et sa marge salariale dérisoire de 0,4 %. À la veille des vacances d’été, un accord a été trouvé au terme de laborieuses négociations pour sauver la coalition Vivaldi. Il a cependant fallu se compter dans les syndicats. Le « oui » ne l’a emporté qu’à 53 % à la CSC alors qu’à la FGTB « C’est un oui, mais… », selon Thierry Bodson et Miranda Ulens. Dans un premier temps en effet, seuls 49,06 % des votants se sont prononcés « pour » et 49,01 % « contre » l’accord. Ensuite, la prise en compte de votes retardataires a inversé le résultat. Si bien que le président et la secrétaire générale de la FGTB ajoutaient en sous-titre de leur éditorial : « Un oui qui en dit… non[2.Éditorial de Thierry Bodson et Miranda Ulens dans Syndicats, n°6, juin 2021.] ».

L’accord a été accepté en raison des hausses significatives du salaire minimum, ce qui n’était plus arrivé depuis 2008. Mais l’essentiel de ces hausses réside dans des réductions de cotisations qui fragilisent la sécurité sociale. La direction de la FGTB n’a pu obtenir l’aval de justesse des militants qu’en promettant des mobilisations et actions d’envergure contre la marge salariale et la loi de 1996 dès l’été avec la concentration militante du 13 juillet et, ensuite, la manifestation nationale du 24 septembre.

Le coût de l’augmentation du salaire minimum est supporté par la collectivité et non par les employeurs. Le patronat y consent, pour autant que la hausse n’affecte pas ses bénéfices. La question de la réduction des inégalités se limite en régime néolibéral à la sphère de la répartition (fiscalité et cotisations sociales) alors que le tabou reste entier sur la sphère de la production (revenus primaires), racine de l’inégale répartition des richesses entre capital et travail.

Les actions promises par les syndicats pour la rentrée sociale arriveront-elles à briser le tabou des salaires ?

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY 2.0 ; photographie d’une action de la FGTB pour le pouvoir d’achat, le 14 septembre 2012, prise par le SETCa BBTK.)