Retour aux articles →

Les « alters » du Nord

Le paysage altermondialiste en Flandre n’a rien de très réjouissant. Revendications passéistes, acteurs groupusculaires… le tout dans un contexte politique peu porté à gauche. Seuls les syndicats et les ONG semblent à même de relever le flambeau. Mais avec quel projet?

L’analyse du ou des mouvements altermondialistes varie en fonction de la perspective adoptée. Le mouvement mondial a des caractéristiques différentes des mouvements européen ou latino-américain qui sont aussi très différents des mouvements nationaux ou locaux. C’est pourquoi, entre autres, il convient de parler d’un «mouvement de mouvements», tant est grande la diversité de ses composantes. En Europe, la dynamique des mouvements alter est plutôt mitigée par rapport à celle qui existe en Amérique latine, en Inde ou dans plusieurs pays africains. Sans doute, le vieillissement de la population en général et de la gauche en particulier y sont pour quelque chose. Tout comme le niveau de vie européen. Le continent qui a inventé la démocratie et les droits de l’Homme et qui a permis le développement de diverses tendances de la gauche, se voit actuellement dépassé par des revendications venues d’ailleurs dans un langage qui ne lui est pas familier. Habituée à raisonner en termes de gauche et de droite, de révolution et de réformes, de socialisme et de classe ouvrière, la gauche européenne doit se positionner aujourd’hui face à des demandes souvent formulées en termes culturels, d’horizontalisme (opposé au verticalisme des organisations centralisées et hiérarchiques), des demandes de dignité, de terres ou d’eau potable. L’enthousiasme en Europe est aussi considérable que sa capacité d’adaptation à cette nouvelle réalité est limitée. C’est un des éléments qui expliquent la difficulté de la gauche de se réorganiser et de s’ouvrir à de jeunes générations.

Acteurs

En Belgique, il existe un Forum social unique, regroupant le Nord et le Sud du pays. C’est un de ses grands mérites de ne pas avoir succombé aux demandes de séparation. Car les différences entre le Nord et le Sud du pays sont assez importantes et le Nord n’a rien à gagner en faisant bande à part. Les différences avec le Sud du pays sont sans doute en première instance d’ordre culturel et politique. La gauche est nettement plus faible en Flandre, le pragmatisme y est beaucoup plus important et les gens sont nettement plus difficiles à mobiliser. La gauche radicale est extrêmement faible et très divisée. En deuxième lieu, les différences tiennent aux caractéristiques de la vie associative en Flandre. Le taux de participation est assez élevé, mais il s’agit avant tout d’organisations socioculturelles et de mouvements de jeunesse ou de solidarité avec le Tiers-monde. Le résultat en est que le Forum social de Belgique est en fait assez déséquilibré. Si la participation francophone y est légèrement plus importante, du côté flamand, les acteurs les plus importants sont les syndicats et l’organisation 11.11.11. Pour le reste, il n’y a que quelques mouvements peu représentatifs, dont plusieurs issus de la gauche radicale. Par ailleurs, comme je m’en explique ci-après, le seul mouvement véritablement altermondialiste, à savoir Attac (Vlaanderen), a perdu en quelques années tout dynamisme et n’a plus aucune représentativité. Les grands mouvements écologistes, les mouvements pour la défense des droits de l’Homme et pour la défense des travailleurs immigrés ne sont pas présents au sein du Forum. L’association très dynamique Netwerk qui pratique et étudie des alternatives en matière financière, tout comme les nombreuses associations de lutte contre la pauvreté ne participent pas au Forum. Le mouvement féministe en Flandre est particulièrement faible. Enfin, un des mouvements explicitement anticapitaliste (Chéngetehworld) ne joue pas non plus de rôle actif dans le Forum.

Mouvement en crise

Il est évident que ce contexte particulier définit également les relations par rapport aux partis politiques. Les verts et une partie de la social-démocratie ont des sympathies pour le mouvement qui n’est pas toujours très ouvert à leur égard. Certes, les syndicats et le mouvement de solidarité avec le Tiers-monde ont leurs propres canaux de transmission, mais les autres composantes restent plutôt sceptiques. L’écart en termes de revendications politiques est effectivement considérable et le mouvement est trop faible pour se faire valoir. Une exception toutefois : le Fan («Financieel Actie Netwerk»), le réseau d’action financière avec les syndicats, Attac et quelques ONG. Ce réseau a joué un rôle important – avec les collègues francophones – pour l’adoption de la législation sur la taxe Tobin. En fait, les grands acteurs de l’altermondialisme en Flandre, à savoir les syndicats et les ONG, tiennent entre leurs mains la survie ou la mort du mouvement. Souvent ils semblent être tentés d’abandonner, comme ce fut le cas après le Forum social européen d’Athènes en 2006 où l’extrême gauche avait été omniprésente. Actuellement la coopération au sein du Forum est assez bonne, à la veille de la journée d’action du 26 janvier 2008, mais l’avenir est incertain. Les syndicats et les ONG se sont rencontrés et ont appris à travailler ensemble, ils n’ont plus vraiment besoin des autres petits mouvements pour organiser leurs actions. L’année prochaine, ils vont organiser ensemble une campagne autour du «travail décent» de l’OIT et il n’est pas à exclure que la formule du forum social disparaîtra progressivement de leur agenda. Une telle évolution serait regrettable. Néanmoins, il faut aussi se demander ce que le mouvement altermondialiste a signifié en Flandre en termes de rénovation des mouvements progressistes, de leurs revendications et de leur façon de faire de la politique. Comme il vient d’être évoqué, le seul mouvement réellement altermondialiste est Attac (Vlaanderen). Le mouvement a connu un certain succès à l’occasion de la présidence belge de l’Union européenne en 2001. Après, et malgré la présence d’un certain nombre de jeunes, l’ancienne «culture de gauche» s’est installée avec jeux de pouvoir, jalousies et monopolisation de certains thèmes. Les débats et les prises de position sur le projet de constitution européenne ont mis fin à une expérience au potentiel énorme mais à capacité humaine restreinte. L’incapacité de parler et de penser en termes politiques au-delà du «non» a porté un coup grave à un mouvement qui n’a jamais su trouver les moyens pour rénover la politique. La contribution d’Attac se limite au débat important sur la fiscalité nationale et internationale. Attac n’a pas pu commencer à construire un «autre monde» parce qu’on n’y a jamais compris que cela impliquait une autre façon de faire de la politique. Les autres mouvements n’ont que peu été influencés par l’émergence du Forum social. Certes, aujourd’hui, ils se connaissent mieux et ils ont appris à travailler ensemble. Mais leur importance numérique n’est pas de nature à faire la différence pour le paysage politique flamand. Plusieurs mouvements qui sont restés en dehors du Forum font un excellent travail mais ne réussissent pas nécessairement mieux dans leurs efforts de mobilisation.

Remise en question

Cet aperçu plutôt pessimiste ne veut pourtant pas dire qu’il n’y a aucune dynamique progressiste en Flandre. La résistance au «pacte de génération» de 2006 a donné lieu à des réactions positives, mais, une fois de plus, la gauche de la gauche n’a pas été capable de s’entendre et ces réactions ont donné lieu à trois initiatives différentes : un Comité pour une autre politique, qui a tout de suite voulu participer aux élections fédérales de juin 2007, avec un résultat assez médiocre, le Mouvement du 15 décembre, des syndicalistes qui ont pris la sage décision de se renforcer d’abord en tant que mouvement, mais qui ont une capacité d’analyse peu développée, et le SP.a Rood, une tendance de gauche au sein de la social-démocratie qui a présenté un candidat à la présidence du parti et qui a obtenu un tiers des votes. Ces exemples montrent la faiblesse du mouvement «alter» en Flandre. Trop enfermés dans des idéologies et des non-idéologies d’un autre temps, trop peu ouverts au débat politique, trop peu conscients du chemin que l’on pourrait faire ensemble. Aura-t-on besoin d’un gouvernement de droite ou d’une réelle crise économique pour se rendre compte de l’urgence d’un véritable rajeunissement des forces du progrès ? Après la journée d’action du 26 janvier 2008 le Forum social de Belgique devra s’interroger sur sa stratégie à plus long terme. Car aujourd’hui, l’«autre monde qui est possible» se fait toujours attendre.