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Les damnés de la terre et les maudites de la moquette

«Vous savez quel est le point commun entre la vie artistique, les débats télévisés et les luttes des sans-papiers… ? Non ? Eh bien, c’est simple : l’invisibilité des femmes ! – Tu exagères ! Les femmes sont bien présentes dans les actions, les occupations d’églises, les grèves de la faim… Elles ont même un lieu spécifique, l’église Sainte-Suzanne, où elles organisent régulièrement des repas conviviaux… – Je n’ai pas dit qu’elles ne participaient pas aux actions – tout comme il y a des femmes artistes ou des débatteuses de haut vol : le problème n’est pas leur absence, mais leur invisibilité. Combien de femmes parmi les porte-parole ? Combien de représentantes des assemblées de voisins – où les voisines sont pourtant nombreuses – dans les médias ? A croire que la seule femme, dans ce dossier, c’est Annemie Turtelboom !! – On s’en fout un peu, non ? Il y a un tel vide, actuellement, la situation paraît tellement bloquée, que la moindre avancée ne peut que profiter à tout le monde. Aux femmes comme les hommes. Visibles ou pas. – Eh bien, détrompez-vous. Regardez ce qui se passe en France. En avril dernier, des sans-papiers se sont mis en grève pour exiger leur régularisation, avec le soutien des syndicats… et parfois de certains de leurs patrons. Le mouvement s’est rapidement étendu. On s’est alors aperçu – d’aucuns ont fait mine de le découvrir… – que beaucoup d’entre eux travaillaient, payaient des impôts et des cotisations sociales, dans des secteurs comme la restauration, le bâtiment – certains même sur les chantiers de centres de rétention, l’équivalent de nos centres fermés ! En quelque sorte, ils construisaient leur propre prison… Bref, à la suite de ce mouvement, une minuscule porte s’est ouverte dans la politique répressive de Sarkozy : ceux qui avaient une promesse d’embauche d’un an minimum, dans un secteur dit «en tension», pouvaient espérer une régularisation. – Une goutte d’eau… – Oui, mais importante pour ceux qui font partie de la goutte. Aux dernières nouvelles, quelque 8 à 900 de ces travailleurs ont obtenu leur régularisation. Et là-dessus, combien de femmes… ? Une dizaine ! – Tu nous diras que c’est du sexisme… ? – Non, la simple conséquence de la division du travail entre hommes et femmes. Ces femmes travaillent en effet dans des «boulots de femmes», comme le nettoyage, la garde d’enfants, les travaux domestiques ; avec des horaires de femmes, et des salaires de femmes. Souvent, elles cumulent plusieurs emplois, plutôt chez des particuliers, car la rue est réputée plus dangereuse. Elles sont nombreuses dans un de ces secteurs «en tension», les services à la personne. Elles comblent le manque de crèches, de services aux personnes âgées ; ou alors elles nettoient des bureaux, des chambres d’hôtel… le plus souvent à temps partiel. Aussi, même quand elles obtiennent le fameux sésame de promesse d’embauche, les préfectures rejettent beaucoup de dossiers parce que, avec leurs salaires partiels, ces femmes n’ont pas de quoi vivre décemment en France. Or justement, sans papiers, elles n’ont aucune chance de trouver un emploi mieux rémunéré… – Comme quoi, si les sans-papiers sont nos nouveaux damnés de la terre, il y a pire encore : les maudites de la moquette. D’après des informations données par L’Humanité (13 août 2008) et Le Figaro (8 septembre 2008).