Retour aux articles →

Les fesses de Simone

«Bienvenue en 2008, l’année où on se souviendra de nos rêves d’antan: l’espoir — ou l’illusion — de «changer la vie»! — Ah oui, je te vois venir, les quarante ans de mai 68, on n’y coupera pas… — Je sens que ça sera encore une affaire de mecs se congratulant ou s’insultant sur leur révolution manquée… Moi je préfère célébrer le centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir. Car pour ce qui est de «changer la vie», en tout cas celle de nos mères, elle y a contribué, et pas qu’un peu. — C’est vrai, on n’y échappera pas non plus. C’est Le Nouvel Obs qui a été le plus rapide Le Nouvel Observateur, 3 janvier 2008 , en lui consacrant un dossier et sa couverture dès son premier numéro de l’année, sous le titre «Beauvoir la scandaleuse». Mais qu’est-ce qui est le plus scandaleux ? Ses livres, où elle a impitoyablement traqué toute ce fatras idéologique qui infériorisait les femmes, de la pseudo «nature féminine» au sacro-saint instinct maternel, en passant par le mariage et les joies du foyer? La façon dont son ouvrage fondamental, Le deuxième sexe, a été traîné dans la boue, taxé de «manuel d’égoïsme érotique», ou de «basse description graveleuse, l’ordure qui soulève le cœur» Cité par Sylvie Chaperon, Le Monde diplomatique, janvier 1999 ? Ou encore sa vie personnelle, qu’elle a vécue en femme libre et engagée dans les combats de son époque ? Ou bien le plus grand scandale se trouve-t-il dans la couverture du magazine, qui a choisi une photo prise par un ami en 1952, dans une salle de bain, où l’on voit l’écrivaine de dos, nue à l’exception des pieds ? — Oui, et ça marche, on ne parle plus que de ça, la preuve : nous aussi… — L’Obs se justifie en écrivant que «cette photo symbolise parfaitement la liberté de cette femme et tout ce qu’elle représentait. (…) On la voit sous son vrai jour, naturelle et à l’aise» Lu sur Marianne2.fr. Et c’est vrai que la photo est belle… — … d’autant plus belle que, selon certains, Photoshop serait passé par là pour «gommer» quelques imperfections, genre rides, graisse ou boutons http://www.desordre.net/blog/blog.php3?debut=2007-12-30#1503..… — Bon, mais quand même, il n’y a pas de quoi monter sur ses grandes juments et entonner l’atteinte à la «dignité des femmes», comme le font certaines associations féministes… Les fesses de Simone me paraissent beaucoup plus dignes que, disons, la millième photo de la tête de Sarkozy avec ou sans cravate, avec ou sans Carla, avec ou sans sourire carnassier… — Essaie d’inverser les rôles : tu imagines un dossier consacré à Sartre, avec sa photo les fesses à l’air… ? Et qu’en penserait Beauvoir elle-même, si elle voyait ça…? — Eh bien, il suffit de l’interroger: «Les mœurs incitent (la femme) à s’aliéner ainsi dans son image. Les vêtements de l’homme comme son corps doivent indiquer sa transcendance et non arrêter le regard : pour lui ni l’élégance ni la beauté ne consistent à se constituer en objet (…). Au contraire, la société même demande à la femme de se faire objet érotique. Le but des modes auxquelles elle est asservie (…) est de la couper de sa transcendance pour l’offrir comme une proie aux désirs mâles» Le deuxième sexe, éditions Folio, p 393. Tout est dit. — Ou plus prosaïquement, Le Nouvel Obs nous rappelle que les fesses sont aux femmes, fussent-elles grandes intellectuelles, ce que le foie gras est au canard et les oreilles au taureau de combat : le meilleur morceau et l’éventuel trophée du conquérant.»