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Les jeunes femmes à l’avant-plan de la lutte climatique

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Dans le monde entier, les jeunes femmes lèvent leur voix contre le changement climatique dans une perspective intersectionnelle. Une lutte dont les violences sexistes ne sont malheureusement pas exemptes.

Cet article a paru dans le n°118 de Politique (décembre 2021).

« Arrête de niquer ta mer ! », « Ma chatte, la planète, protégeons les zones humides », « Léchez nos clitos, pas le cul de Monsanto ». Ce ne sont que quelques-uns des slogans éco-féministes que des jeunes militantes belges arboraient fièrement lors des marches pour le climat, et notamment celles qui accompagnaient les grèves scolaires du vendredi en 2019, dans le sillage d’une autre jeune femme, l’activiste Greta Thunberg, 18 ans. Dans notre pays, Adélaïde Charlier, 20 ans, du mouvement Youth For Climate, a pris, et prend toujours, publiquement la parole pour lutter contre le changement climatique et l’inaction des responsables politiques, accompagnée en Flandre par Anuna De Wever, 20 ans, qui se définit comme non-binaire. Outre les marches, certains combats moins médiatiques ont été menés – et remportés – par des filles dans leur école. Elles s’y sont organisées et ont porté des revendications écologistes auprès des professeur·es et de la direction, telles qu’avoir accès à un compost ou à des fontaines à eau au sein de leur établissement scolaire. « C’est plus facile d’en parler avec les filles. Les garçons se sentent moins concernés. Ce n’est pas normal. La question climatique concerne tout le monde ! », s’insurgeait l’une d’entre elles, Chloé Ledune, 18 ans, dans un article du magazine axelle[1.C. Wernaers, « Belgique : À la rencontre de jeunes marcheuses pour le climat », axelle magazine, juillet-août 2019.].

Des filles et des femmes en première ligne

L’intérêt des femmes pour les luttes écologiques est un fait historique[2.C. Wernaers, « Aux racines de l’écoféminisme », Politique, 14 décembre 2020. ] et peut certainement s’expliquer : les femmes et les filles sont en première ligne du changement climatique[3.C. Wernaers, « Pourquoi le risque environnemental est pire pour les femmes », Politique, n°114, décembre 2020.]. C’est encore plus vrai quand elles se situent à l’intersection de plusieurs discriminations, par exemple si elles sont racisées, ce qui fait dire à de nombreuses activistes que la lutte pour le climat ne peut pas se faire sans une perspective intersectionnelle, qui lie les approches féministe, anti-raciste et décoloniale.

Dans son livre Une écologie sans frontières[4.V. Nakate, Une écologie sans frontières, Harpercollins, 2021.], l’activiste écologiste ougandaise Vanessa Nakate, 24 ans, développe ce thème. « Il faut plus d’inclusion dans la façon dont les médias couvrent le mouvement pour le climat. Les journalistes ont la responsabilité de dire ce qu’il se passe, mais aussi de relayer le parcours des activistes qui viennent des régions du monde les plus touchées. Les jeunes militants africains ne restent pas silencieux face à ces souffrances, ils s’expriment. Mais qui les écoute ? Qui va amplifier leur voix ? […] Il y a une intersection avec les questions raciales puisque les Noirs et les gens de couleur sont plus exposés à la pollution de l’air et de l’eau, et les communautés indigènes sont victimes de l’avidité de grandes compagnies. Il y a une intersection avec les inégalités de genre, puisque les femmes et les filles sont les premières victimes du changement climatique et des inégalités dans le monde en général », explique-t-elle[5.J. Gonnet, « Vanessa Nakate : « Qui écoute les activistes africains pour le climat ? » », Jeune Afrique, 1er novembre 2021.]. Sur le continent africain, d’autres jeunes femmes ont levé leur voix pour porter ce message, comme la Kényane Elizabeth Wathuti, 26 ans, ou la Nigériane Adenike Oladosu, 27 ans.

Ces prises de parole et ces luttes des filles pour le climat ont lieu dans le monde entier. Aux États-Unis, Alexandria Villaseñor, 16 ans, a lancé le mouvement Youth Climate Strike. En Inde, Disha Ravi, 22 ans, a fondé Fridays For Future India. Aux Philippines, deux sœurs, Melati (19 ans) et Isabel (17 ans) Wijsen luttent contre la pollution plastique qui déferle sur les plages de leur pays. Au Canada, Autumn Peltier n’avait que 8 ans lorsqu’elle a prononcé son premier discours en faveur de l’accès à l’eau potable dans les réserves autochtones. Aujourd’hui, l’adolescente de 16 ans qui appartient à la Première Nation Wikwemikong est devenue une porte-parole mondiale de cette cause.

Des femmes moins présentes…

Cette place importante des jeunes femmes dans le combat est pourtant souvent niée. Une analyse[6.Which countries have sent the most delegates to COP26?, Carbon Brief, 3 novembre 2021.] a montré que 65 % d’hommes et seulement 35 % de femmes étaient enregistré·es à la COP26 qui s’est tenue à Glasgow en novembre 2021. « On ne peut pas parler de l’humanité, et de son futur, sans parler des relations de pouvoir qui sévissent entre les humains », soulignait aux Grenades-RTBF[7.C. Wernaers, « COP26 : focus sur les enjeux genrés du changement climatique », Les Grenades-RTBF, 8 novembre 2021. ] Alba Saray Pérez Terán, experte sur les questions genrées et chargée de plaidoyer chez Oxfam Belgique – qui fait partie de la Coalition Climat. « Il n’existe pas de manière neutre ou objective de parler du réchauffement climatique, le fait d’être un être humain, de vivre certaines choses ou pas, influence nos positions en permanence. Ce que l’on constate, c’est que la plupart des personnes enregistrées à la COP, et qui y parlent, sont des hommes. Et si on affine encore un peu plus, on peut penser que ce sont en majorité des hommes blancs, riches, qui viennent des pays du nord. Ce sont des représentants d’entreprises ou de gouvernement qui ont des raisons d’être présents. Cela crée des soucis, par exemple pourquoi ne comprennent-ils pas que le marché carbone, tel que discuté actuellement, ne fonctionnera pas ? Parce que les rapports de pouvoir sont inégaux entre les pays. Comme ils ne vivent pas ces rapports de pouvoir et ne connaissent pas ces oppressions, cela fait partie de leurs angles morts », expliquait-elle. En réaction, plusieurs actions féministes ont été organisées lors de la COP26. Dès le début de l’événement, qui rassemblait 196 pays, deux photos allaient d’ailleurs devenir symboliques : celles du président américain Joe Biden (79 ans) et du Premier ministre britannique Boris Johnson (57 ans) piquant un petit somme en plein milieu des discussions…

Violences sexistes

Pour les filles, cette lutte à l’avant-plan n’est pas sans risque : Greta Thunberg fait l’objet de caricatures immondes. En 2019, le journaliste français Bernard Pivot (86 ans) écrivait sur Twitter, à propos de l’adolescente, mineure à l’époque : « Dans ma génération, les garçons recherchaient les petites Suédoises qui avaient la réputation d’être moins coincées que les petites Françaises. J’imagine notre étonnement, notre trouille, si nous avions approché une Greta Thunberg… » Des propos qui avaient poussé le climatologue belge Jean-Pascal Van Ypersele à la soutenir : « Je crois que ceux qui la critiquent sont bien souvent de vieux messieurs qui n’ont pas envie de changer leur vision du monde. Il faudrait beaucoup plus écouter ces jeunes qui sont très préoccupés par leur avenir. Il faut accepter de répondre à leur interpellation et ne pas les mettre dans un tiroir comme on a trop souvent fait avec les rapports du GIEC. »[8.A. Tabankia, « Van Ypersele : Greta est la cible « de vieux messieurs qui n’ont pas envie de changer leur vision du monde » », RTBF.be, 26 septembre 2019. ] Anuna De Wever a été violemment harcelé·e sur les réseaux sociaux. Les jeunes femmes qui portent des pancartes évoquant leur sexualité dans les manifestations pour le climat sont vertement raillées et critiquées pour cette seule raison.

Lors du Forum économique de Davos, en janvier 2020, Vanessa Nakate a été coupée d’une photo où elle posait aux côtés de Greta Thunberg et d’autres activistes blanc·hes. « Vous n’avez pas simplement effacé une photo. Vous avez effacé un continent », avait réagi l’activiste ougandaise. Disha Ravi, quant à elle, a été arrêtée par la police indienne après la diffusion d’un guide des manifestations à l’intention des agriculteurs indiens. Elle a finalement été libérée le 23 février 2021, une semaine après son arrestation.

Face à ces violences, les femmes et les filles répliquent par la sororité, facilitée par les réseaux sociaux. Elles se parlent entre elles et dénoncent ce qui arrive aux unes et aux autres. « C’est totalement inacceptable », avait par exemple écrit Greta Thunberg sur son compte Instagram en postant la photo coupée de Vanessa Nakaté. Pour ne pas faire mentir un autre slogan des manifestations pour le climat : « On veut un changement de système, pas un changement climatique ».

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY 2.0 ; photographie d‘une marche pour le climat à Paris, prise le 21 septembre 2019 par Jeanne Menjoulet.)