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Les précurseurs : l’Agence schaerbeekoise d’information

Les pratiques informatives de Démocratie schaerbeekoise du et vers le pouvoir communal trouvent leur source dans l’expérience d’une agence locale d’informations qui publie de 1973 à 1976. L’intérêt pour la diffusion de compte rendus des séances du conseil communal y prend tout son sens démocratique.

Cet article a paru dans le n°116 de Politique (juin 2021).

Née en février 1973 au moment des sombres années Nols, à l’époque de l’Agence de presse Libération[1. L’APL était une agence de presse spécialisée dans l’actualité sociale et fondée dans la foulée des événements de Mai 68, sur le modèle du Centre Landry animé par Pierre Vidal-Naquet lors de la guerre d’Algérie et du Liberation News Service, agence de presse underground états-unienne.], l’Agence schaerbeekoise d’information (Asi) veut informer comme son nom l’indique et publie un bulletin à cet effet. Ses moyens financiers sont limités et les bons vieux stencils font l’affaire pour sortir le premier numéro.

Son éditorial précise : « Ce bulletin préparé par une équipe de militants (dont Alain de Wasseige, Christian Mélis et Marcel Xhaufflaire, les fondateurs du mouvement) poursuit les objectifs suivants :

  • diffuser suffisamment d’informations pour que l’ensemble des habitants des quartiers puissent exercer un contrôle du pouvoir en place ;
  • favoriser une clarification des décisions communales et des situations existantes pour en faire apparaître les intérêts politiques, économiques et sociaux ;
  • favoriser, à partir des situations locales et concrètes, un débat politique aux mains des habitants et non du pouvoir en place ;
  • susciter des groupes de pression capables de s’opposer à la main basse faite actuellement par certaines puissances économiques soutenues par l’actuel pouvoir communal. »

Une contre-information face au pouvoir

Le bulletin mensuel a tenu jusqu’en novembre 1976, soit une bonne trentaine de numéros. La fabrication était entièrement artisanale : tournant autour d’une grande table posée sur des tréteaux, les militant·es assemblaient les pages du bulletin pour l’envoyer à une centaine d’abonné·es. Chacun·e d’entre eux/elles est par ailleurs engagé·e concrètement sur le terrain : éducation populaire, travail social, comités de quartier… Mais l’Asi imprimait et affichait aussi des journaux muraux, Le journal des quartiers sur des questions d’actualité tel le chômage, le logement (refus de louer, voire même de vendre sa maison à des immigrés) ou encore Une école divisée… au service de qui ? sur l’enseignement technique et professionnel, ou encore l’extrême-droite. Quarante-cinq ans après, on pourrait les réafficher… malheureusement !

Tant le bulletin que le journal des quartiers (arraché par la police) évoquent aussi l’arrestation violente d’Alex, un jeune homme appréhendé par la police communale où les agents font usage de leurs armes. L’Asi avait également comme axe de travail la préparation et le suivi des conseils communaux.

Éducation populaire

Dès 1975, l’Asi, Hypothèse d’école (HE)[2. Né en 1970, le mouvement Hypothèse d’école regroupe des enseignant·es, élèves et parents convaincus de la justesse de la phrase de Paolo Freire : « L’éducation est toujours un acte politique ». Voir A. Deroitte, www.changement-egalite.be/Hypothese-d-ecole.] et le Centre d’action sociale italien Université ouvrière (Casi-UO)[3. Né au début des années 1970, le Casi s’est engagé dans la voie d’un travail d’éducation populaire et militante au service des communautés italiennes les plus fragiles. Il analyse l’immigration comme une « frontière de démocratie » révélant les insuffisances de cette dernière et veut œuvrer à leur dépassement par le biais d’un travail militant rigoureux et structuré. Voir https://casi-uo.com/archives.] se rejoignent dans leur analyse critique de l’enseignement dans son rapport aux milieux populaires.

Ces mouvements imaginent alors la création d’écoles alternatives sous forme d’écoles de devoirs pour assurer un soutien scolaire aux enfants des quartiers populaires. L’Asi a soutenu une école de devoirs créée pour et par des jeunes du quartier Nord sous le nom d’Ahl El Hijra, sise rue de l’Est puis 19, rue des Palais. Quelques années plus tard une troupe de théâtre est née de ce groupe de jeunes dont la plupart des acteurs en herbe étaient des jeunes ayant fréquenté l’école de devoirs.

Critique politique et luttes urbaines

Fin des années 1960, début des années 1970, c’est aussi l’époque de la destruction du quartier Nord de Bruxelles et l’éclosion des luttes urbaines[4. Voir notamment C. Melis et B. Hengchen, dans le dossier « Luttes Urbaines », Contradictions, n°5, 1974, et « Contribution to the study of the Brussels urban social movement », International Journal of Urban and Regional Research, 2009.]. L’Asi s’inscrit résolument dans ce mouvement de luttes dans une optique qui se veut révolutionnaire et critique d’autres mouvements actifs sur le sujet qui développent une approche de « développement communautaire ». Elle estime que ces mouvements sont trop « réformistes » et, selon elle, ne font qu’entretenir la domination et l’exploitation.

L’Asi exige le relogement des habitant·es expulsé·es par la commune et radicalise son action, notamment en créant un Front d’action occupant des maisons vides de la Société coopérative des locataires appartenant à la commune et en organisant des manifestations. Ce travail de vigilance à l’égard du pouvoir communal, spécialement grâce au suivi des conseils communaux, se retrouve quelques années plus tard et sous une autre forme, dans le mouvement Démocratie schaerbeekoise, mais sans ce volet de critique radicale sur le type d’action militante à mettre en œuvre.