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Les syndicats, un truc de vieux ?

Manifestationnationale10112011
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Les syndicats ont été et demeurent l’un des plus importants corps intermédiaires entre les travailleur·euses et l’État belge. Mais intègrent-ils correctement la jeunesse et ses enjeux à leurs pratiques ? Face à un monde du travail toujours plus complexe et périlleux, il ne semble plus aussi « naturel » aux jeunes travailleur·euses de rejoindre une organisation souvent perçue comme dépassée ou vieillotte. Comment s’adapter ? Comment se renouveler ? Réponses croisées des Jeunes CSC, des Jeunes FGTB, de l’Union syndicale étudiante ainsi que de la Fédération des étudiant·es francophones.
Dans vos expériences respectives, comment les jeunes perçoivent-ils et elles la question syndicale ; le fait de se syndiquer et de se rassembler pour défendre/obtenir des droits ?

JEUNES FGTB/USE : On remarque sur le terrain que le syndicalisme ne va pas de soi pour les jeunes. Iels ont souvent du mal à comprendre de quoi il s’agit, en quoi c’est utile et leur premier réflexe n’est certainement pas de venir militer syndicalement. Malheureusement, les syndicats sont perçus comme des structures bureaucratiques, opaques, pas assez ambitieuses, pas assez en phase avec les combats actuels comme le climat ou l’égalité de genre. C’est en tout cas l’impression que l’on peut en avoir de l’extérieur. La réalité à l’intérieur de l’organisation est pourtant

bien plus nuancée, d’autant que les organisations syndicales sont gigantesques. En effet, un syndicat comme la FGTB représente 1,5 millions d’affilié·es, de travailleur·euses et des milliers de délégué·es dans les entreprises à travers tout le pays. Ce n’est pas un monolithe et il y a de grandes différences entre chaque sous-secteur, centrale, région, voire dans la même entreprise. Cependant, de manière générale, force est de constater que les syndicats ont du mal à innover et à s’adapter aux réalités du terrain. Le CDI temps plein est de moins en moins la norme, surtout chez les jeunes ; de nouveaux statuts ont émergé (ubérisation, faux-indépendants, etc.), les carrières sont discontinues, les travailleur·euses sans-papiers sont nombreux·euses, les jeunes s’insèrent de plus en plus tardivement sur le marché de l’emploi… En tant que syndicat nous essuyons souvent des critiques de la part de ces catégories de personnes, et à juste titre. Nous devons sans cesse nous réinventer pour pouvoir défendre tous·tes ces travailleur·euses. Plus important, il faut qu’iels se sentent intégrées dans nos structures, que leurs voix comptent réellement. C’est ce que nous tentons de faire avec les Jeunes FGTB, en organisant les jeunes précaires à la sortie de leurs études, et avec les étudiant·es à travers l’Union syndicale étudiante.

JEUNES CSC : La première étape est de sensibiliser les jeunes que nous rencontrons à l’importance de la question syndicale. Ils peuvent devenir membre pour des raisons individuelles : se protéger, accéder à leurs droits, bénéficier de services, par exemple. Après cette phase de sensibilisation, il est possible, lors d’une discussion plus approfondie, de convaincre les jeunes de l’importance de l’aspect « mouvement » du syndicat, qu’être membre d’un syndicat ne se limite pas à un choix individuel. En prenant conscience des enjeux collectifs, les jeunes peuvent rejoindre des groupes de militants en région et participer à des campagnes dont le but est de défendre nos droits et d’en obtenir des nouveaux. Pour décrocher des victoires, seules des mobilisations collectives peuvent être efficaces.

FEF : Nous remarquons que les jeunes qui militent avec nous sont volontaires à propos de cette question, ils et elles comprennent l’importance d’être uni·es et organisé·es. Cette organisation demande une certaine structure pour parvenir à faire entendre ses messages. On rencontre souvent les étudiant·es sur le terrain – une personne nous disait récemment que nos revendications étaient importantes mais qu’on n’arriverait jamais à les obtenir. Pourtant, nous lui avons rappelé la campagne Sauvez Wendy et les manifestations de 2010-2011 en faveur de la gratuité du minerval pour les étudiant·es boursiers, désormais acquise. Nous avons été capables de peser sur cette décision ! La plupart des jeunes que l’on rencontre ont confiance en l’esprit syndical, ils et elles ont conscience de pouvoir arriver à mobiliser et à s’intégrer dans le dialogue social. Nous rencontrons rarement une forte opposition à ce sujet.

Les jeunes sont-ils et elles des travailleur·euses comme les autres ? Ou alors développent-ils et elles des rapports spécifiques au travail (qu’il soit salarié, étudiant, etc.) ?

JEUNES FGTB/USE : Oui, les jeunes sont des travail­leur·euses comme les autres, qu’iels soient étudiant·es, apprenti·es ou sous contrat, et c’est important de l’affirmer. Ce qui diffère, c’est le statut et c’est pourquoi il faut bien distinguer emploi et travail. En effet, il est difficile de nier que toutes ces personnes travaillent. Plus d’un·e étudiant·e sur deux « jobent », l’écrasante majorité des cursus intègrent des stages (non payés) sans parler des apprenti·es et des formations en alternance. Par ailleurs, le simple fait de suivre un cursus d’enseignement supérieur classique est un travail. Pour prendre un exemple parlant, de nombreux·euses professeur·es s’inspirent de travaux d’étudiant·es pour leurs propres productions : il y a alors production de valeur et la rémunération de celle-ci revient à l’enseignant·e uniquement. En conclusion, la jeunesse travaille mais ne jouit (souvent) pas de la sécurité et de la protection liée à l’emploi… Les jeunes sont donc des travailleur·euses, mais c’est surtout la fréquente précarité de leur statut qui les définit.

JEUNES CSC : Les jeunes sont des travailleuses et travailleurs comme les autres car ils produisent de la richesse et leurs intérêts convergent avec ceux de leurs collègues plus expérimentés : notamment l’emploi de qualité, le pouvoir d’achat, la sécurité sociale forte, la sécurité au travail, des pensions dignes et décentes tant du point de vue de l’âge que du montant. Il n’y a pas une jeunesse homogène qui a un rapport unanime au travail : le rapport au travail dépend de la réalité économique du jeune.
Aujourd’hui, les jeunes qui ont un rapport de force individuel important sur le marché du travail, comme de très bons diplômes et une nécessité économique moindre, vont mettre la question du sens de leur travail comme prioritaire dans leur carrière. Cette réalité existe mais n’est pas prépondérante parmi la jeunesse. Plus de la moitié des intérimaires ont moins de 30 ans, les contrats journaliers se multiplient et plus de 20 % des jobistes travaillent par nécessité absolue, afin d’assurer leurs dépenses quotidiennes : pour eux, le rapport au travail est celui de la nécessité qui crée une dépendance, qui est accrue par l’accès très restreint, voire absent, à la sécurité sociale. Pour les jeunes en début de carrière, le fait d’être privé de sécurité sociale toute la durée du stage d’insertion, c’est-à-dire un an, ainsi que l’accès fort restreint aux allocations d’insertion après ce stage, font qu’ils courent après la tartine, acceptent des jobs en-dessous de leurs qualifications ou hors de leurs domaines et font face à une flexibilité exacerbée. Cette précarisation fort inquiétante de l’emploi des jeunes entraine les conditions de travail de toutes et tous vers le bas.

FEF : Pour la Fef, les étudiant·es ne sont pas des travailleurs et travailleuses comme les autres. Ils et elles ne devraient pas être jobistes, les étudiant·es s’y résignent pour financer leurs études. Ce sont des travailleurs et travailleuses précaires, mais qui sont en plus étudiant·es, ce qui représente déjà un job à part entière qui va bénéficier à la société en termes d’innovation et de production de savoir. La précarité du statut d’étudiant·e jobiste reflète d’ailleurs une certaine vision politique. Différents assouplissements au régime du travail sont le fruit d’un lobbying des fédérations interprofessionnelles qui y voient une main-d’œuvre bon marché. Il y a un rapport de nécessité dans le travail étudiant, cela nous amène au fait que tout le monde ne travaille pas par passion, qu’il y a des jobs alimentaires que l’on exerce pour survivre. C’est le cas pour les étudiant·es qui se retrouvent dans des emplois très peu qualifiés, considéré·es comme une main-d’œuvre flexible et pas chère. Il y a du dumping social[1.Le dumping social est la mise en concurrence par les employeurs de travailleurs et travailleuses – ici les jobistes étudiants – avec une main-d’œuvre moins chère.] qui se crée avec le travail étudiant.

Comment intégrer efficacement les jeunes dans des processus syndicaux ou de représentation ? N’est-ce pas difficile, parfois, au sein de structures assez gigantesques ou dans des contextes institutionnels complexes ?

JEUNES FGTB/USE : On cherche constamment la réponse à cette question. Ce qui est certain c’est qu’il faut aller sur le terrain, rencontrer les jeunes, communiquer et s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Nous devons sans cesse nous réinventer pour

défendre efficacement la jeunesse et être le plus en phase possible avec ses préoccupations. La manière la plus simple reste d’organiser des assemblées où les premier·es concerné·es peuvent s’exprimer et construire leurs propres campagnes et revendications. Les syndicats sont effectivement des structures gigantesques, mais ce sont aussi des organisations qui peuvent être extrêmement puissantes. Notre capacité de mobilisation et de mise en place d’un rapport de force efficace est énorme.
Le corollaire est que les choses avancent lentement, ça prend parfois beaucoup de temps avant de pouvoir faire bouger la structure. La jeunesse doit justement jouer son rôle, secouer le cocotier et se saisir de cet outil qu’est le syndicat. Par ailleurs, le syndicalisme peut se trouver partout : dans ton école, dans ton entreprise, dans ton bloc. C’est avant tout une méthode et un outil. Il n’est pas nécessaire d’attendre que ton syndicat décide de se mobiliser pour te bouger : tu peux/dois agir et t’organiser à ton niveau avec, comme base, les liens que tu noues avec tes collègues, camarades, voisin·es, etc. Le rôle de l’institution syndicale sera alors de t’outiller, de te soutenir dans cette démarche et de te mettre en réseau avec d’autres syndicalistes. N’hésite pas à donner de la voix en interne si ton syndicat ne remplit pas ce rôle !

JEUNES CSC : Nous aimerions avoir la recette magique mais il ne nous semble pas qu’elle existe. La porte d’entrée la plus efficace est celle des délégations syndicales en entreprises qui assurent un accueil efficace des jeunes dès leur premier jour de travail. Ce sont les membres des équipes syndicales qui sont nos meilleurs ambassadeurs. Sur le terrain, la méthode la plus efficace est sans doute d’aller à la rencontre des jeunes là où ils sont, d’être avant tout à l’écoute de leurs préoccupations, de leurs réalités et de les impliquer dans la construction et la mise en œuvre des campagnes qui les concernent dans une logique de syndicalisme par et pour les jeunes. Ensuite, cultiver la convivialité et célébrer toutes les victoires, grandes et plus modestes – aucune n’est petite – est sans doute un facteur de cohésion et d’engagement important.

FEF : Au sein de notre organisation, la représentation étudiante est faite par les étudiant·es, mais on considère qu’il faut se former sur le sujet. Nous devons vulgariser certains concepts car nous vivons dans un contexte institutionnel complexe. Chacun·e doit pouvoir se saisir de cette complexité pour prendre position. Dans cette structure, nous essayons donc de créer des espaces de discussion et de débat. On pousse également les conseils étudiants à le faire et lors des assemblées générales, nous donnons des clés de compréhension pour intégrer intellectuellement un maximum de personnes. Notre Conseil fédéral est également un point de rencontre important mais nous nous basons aussi sur un fort ancrage local : avant d’être discuté au niveau fédéral, les points sont d’abord discutés dans les régionales qui sont au plus proche de notre base.

Cela nous assure une grande diversité de points de vue. Cette année par exemple, nous menons une campagne contre la précarité étudiante, sur le coût des études, et dans le comité étudiant de Mons, la question s’est surtout portée sur la gratuité des transports en commun. Cela s’est concrétisé par la mise en place d’une action lors de laquelle un bus a été affrété dans le but de faire la navette gratuitement pour les étudiant·es, pendant une journée, et nous permettre de dialoguer avec elles et eux. À la Fef, il y a une force de centralisation, mais nous savons aussi que les opinions sont nuancées et diverses car elles ont pu s’exprimer d’abord dans des structures plus petites et locales. On prend en compte chaque réalité.

Propos écrits recueillis par Camille Wernaers en novembre 2021.


La Fédération des étudiant·es francophones (Fef) est une organisation représentative communautaire des étudiant·es qui affilie les conseils étudiants de 26 établissements d’enseignement supérieur. Fondée en 1973, la Fef défend le projet d’un enseignement démocratique et émancipateur. À ce titre, elle porte et a porté de nombreux combats pour les droits des étudiant·es (lutte contre toute hausse des droits d’inscription, pour le refinancement de l’enseignement, contre le numerus clausus en médecine…).

Les Jeunes CSC et les Jeunes FGTB regroupent au sein de leur syndicat respectif les jeunes travailleur·euses (jusqu’à 35 ans) et les étudiant·es du secondaire et du supérieur (à la FGTB wallonne, les jeunes constituent une centrale à part). Ils portent la voix des jeunes aussi bien au sein des instances syndicales socialistes et chrétiennes que dans la société où ils défendent leurs droits sociaux et académiques. Ils fonctionnent par affiliation individuelle et sont reconnus comme des organisations de jeunesse par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

L’Union syndicale étudiante (USE), fondée en 2013 dans le sillage de la section autonome des Étudiants FGTB de Bruxelles active depuis 2010, est une fédération de syndicats étudiants affilée aux Jeunes FGTB. Construite sur un modèle autogestionnaire, l’organisation se donne pour mission d’aider les étudiant·es et de lutter pour une démocratisation de l’enseignement supérieur. Elle fonctionne par affiliation individuelle dans ses sections locales et se veut anticapitaliste, féministe et antiraciste.

Les Jeunes FGTB et l’USE ont choisi de répondre ensemble aux questions de Politique.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-SA 2.0 ; photographie d’une manifestation pendant les grèves étudiantes québécoises de 2011, prise par PE Auger.)