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L’Espagne, à contre-courant

[Texte publié dans le numéro 105 de Politique, septembre 2018 – « La chronique intime de Delphine Chabbert »]

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6 juin 2018 : Pedro Sanchez prend les commandes du gouvernement espagnol à la tête d’une équipe majoritairement féminine

Parler de l’Espagne sans aborder la question catalane ? Oui, c’est possible, tant l’activité du nouveau Premier ministre espagnol étonne. Arrivé à la tête du pays presque par accident, dans un gouvernement de transition et sans majorité, avec seulement 84 députés sur 350, le défi pour le socialiste Pedro Sanchez est de taille. Il n’a d’autre choix que l’audace pour espérer encore exister après les élections de 2019.

Sur 17 ministres, deux tiers sont des femmes. À des postes importants : finances, économie, défense, justice, écologie, éducation, industrie, travail, santé, égalité ainsi que l’explosif portefeuille de la politique territoriale. Du jamais vu. Aucun gouvernement n’a été autant féminisé à des postes aussi décisifs. La Finlande en perd son record.

À peine arrivés au pouvoir, Sanchez et son équipe s’attaquent au caractère patriarcal du système judiciaire espagnol. Une réforme du Code pénal concernant les délits sexuels est en cours, assorti d’un programme de formation pour les juges. Le gouvernement a perçu le traumatisme de la société espagnole suite à la décision judiciaire de relâcher les cinq hommes coupables d’un viol collectif sur une jeune fille de 18 ans. Condamnés pour « abus sexuels » et non pour viol, ils sont aujourd’hui libres après paiement d’une caution. Cette affaire et les immenses manifestations qui ont suivi ont donc décidé le gouvernement à durcir la législation comme en Suède et à définir le viol comme tout acte sexuel sans consentement explicite. Autrement dit : « si une femme dit non, cela veut dire non. Et si elle ne dit pas oui, cela veut dire non. »

Autre décision qui portera l’Espagne dans le peloton de tête européen en matière d’égalité : l’extension de la durée du congé de paternité à 3 mois, d’une durée équivalente au congé de maternité. La chambre des députés a adopté à l’unanimité ce projet de loi élaboré par Podemos en 2011. Ce renforcement des droits des pères est un pas considérable vers l’égalité entre les femmes et les hommes.

En moins de trois mois, le gouvernement actuel avance sur des sujets difficiles et pose des actes forts en faveur des droits des femmes et de l’égalité. Des choix qui, s’ils sont durables, transformeront à coup sûr les relations entre les hommes et les femmes et pourraient inspirer d’autres pays. Comment ? Pedro Sanchez et son équipe ont l’intelligence d’écouter et de s’appuyer sur un très actif mouvement féministe dont la force de mobilisation et la capacité d’influence sont démontrées.
Ce qui vaut pour les questions sociales l’est aussi sur les politiques migratoires. Au plus près des mouvements citoyens et à contre-courant d’une Europe affaiblie par la montée des populismes, les Espagnols ont fait le choix d’accueillir les migrants des navires Aquarius et Open arms, et de restaurer l’accès à la santé publique pour les étrangers sans papiers.

Alors, bien sûr, le pari de Pedro Sanchez semble impossible tant les formations politiques à convaincre à la Chambre lui sont hostiles, tandis que Podemos ne ménage pas ses critiques sur son programme économique et pro-européen. Mais ce gouvernement doit tenir encore quelques mois, au moins pour imposer la présence des femmes aux plus hautes fonctions et proposer une alternative aux politiques de fermeture qui étouffent l’Europe. ET peut-être plus…